La notion de justice chez l'enfant doué

On se plaît à répéter que les enfants doués ont très tôt le sens de la justice ou, pour être plus précis, qu'ils réagissent vivement à l'injustice.

La notion de justice chez l'enfant doué
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Ce serait une caractéristique perdue parmi toutes les autres telles que la curiosité d'esprit ou une sensibilité trop vive et on ne s'attarde pas sur cet aspect de leur personnalité : ses conséquences sont le plus souvent négligeables et tout est toujours tellement compliqué avec ces enfants qu'on ne va pas donner trop d'importance à cette qualité discrète, perdue parmi des traits caractéristiques bien plus problématiques.  On la mentionne par souci d'être le plus précis et exhaustif possible.

Pourtant, elle se rattache à l'élément essentiel de leur être : le besoin de cohérence, impératif pour eux. Tout ce qui ne s'insère pas dans un tout cohérent, quel que soit le domaine abordé, ne convient pas : il faut alors rechercher pourquoi un fait ne s'accorde pas avec les autres et, par la suite, comment agir pour que tout rentre dans l'ordre.

C'est une démarche naturelle pour un enfant doué qui ne peut se contenter d'une situation floue, lésant peut-être des protagonistes. Les enfants doués sont essentiellement préoccupés par la recherche d'harmonie, ils supportent mal sa destruction, souvent gratuite, injustifiée, et l'injustice rompt dramatiquement l'harmonie d'un ensemble. Elle interdit sa cohésion. Pour un enfant doué, ce manque est presque douloureux, comme le serait une fausse note persistante dans une symphonie pour l'oreille exercée d'un musicien. Elle le bouleverse profondément, tandis que les auditeurs ordinaires la remarquent, tressautent, mais ne restent pas si longtemps écorchés.

L'injustice leur est proprement insupportable, ce qui les conduit à se mettre dans des situations impossibles en classe, quand ils réagissent exagérément, du moins aux yeux des adultes, à une décision qu'ils considèrent injuste. Une classe toute entière sanctionnée par la faute de quelques-uns les met hors d'eux et ils le font savoir s'ils n'ont pas peur d'affronter les adultes, avec les retombées négatives que cette révolte va entraîner. Ceux qui sont plus timides, peu expansifs et même timorés quand il s'agit de se rebeller, souffrent en silence et en concluent que les adultes se trompent, qu'on ne peut pas leur faire confiance et que leurs décisions n'ont pas de valeur, elles ne marquent pas la loi comme on s'y attendrait et ils en restent à cette constatation.

Ceux qui se rebellent ne prennent pas le temps de se poser ces questions, ils sont pressés de rétablir l'ordre et la justice : les adultes ont commis une erreur, ils ont été mal informés, ou distraits, ou préoccupés par d'autres problèmes plus graves, il faut les aider à revenir dans le droit fil de la justice. Les enfants s'imaginent un peu trop longtemps que les adultes ne se trompent pas et, s'ils commettent une erreur, ils ont une bonne excuse :  il suffirait alors de leur indiquer la voie juste. Il leur faut quelques années de plus pour comprendre que des adultes peuvent persévérer dans une fausse voie par entêtement ou par un aveuglement persistant. Ils ne recherchent pas l'équilibre ni l'éclairage que procure la recherche de la vérité, ils se contentent d'une approche superficielle, pensant qu'elle sera suffisante et qu'il serait trop fastidieux de tenter d'aller plus avant dans la compréhension d'une situation. Ils ne veulent pas s'embarrasser de détails, sans intérêt à leurs yeux.

Une telle attitude révolte l'enfant doué qui recherche justement la vision la plus claire, précise, et aussi complète d'une situation, pour s'en forger l'image la plus juste possible. Il lui paraît impensable que les adultes ne suivent pas cette démarche évidente. Lorsqu'un enfant doué rencontre un adulte qui agit de cette façon rationnelle, il lui voue une admiration absolue, et il lui témoignera une fidélité sans faille. Ce peut être un professeur, un éducateur, un ami de la famille, toute personne qui lui prouve qu'il n'est pas le seul à estimer inconcevable de ne pas favoriser la recherche de tous les éléments qui permettront à la justice de s'exercer sans rien laisser dans l'ombre.

Ils ont vite compris que la justice était souvent malmenée et qu'ils étaient peu nombreux à souffrir de ces mauvais traitements. Des vocations trouvent leur origine dans ce constat lucide et précoce, pour une fois ce mot de " précoce " tant décrié est bien adapté à la situation. Il leur faudra rétablir l'ordre puisqu'il semble que cette notion est si peu respectée et ils pensent leur voie toute tracée, sans imaginer un seul instant qu'ils risquent de s'épuiser en route.

Être un preux chevalier guerroyant inlassablement pour faire régner la justice est exténuant et souvent décevant. Ils ne savent pas encore que ce goût pour la vérité peut les mettre gravement en danger. Adultes et plongés dans la société, ils s'insurgent, parfois trop bruyamment, contre des pratiques qui les choquent. Au mieux, ils perdent leur travail et ont du mal à en retrouver dans le même domaine, mais le plus souvent ceux qu'une manœuvre a révolté n'ont pas envie de se retrouver dans une situation identique, ils envisagent donc une reconversion vers un univers moins féroce dans ses stratégies commerciales ou autres. 

Ceux qui ne veulent pas se dérober et qui se pensent peut-être même chargés d'une mission, paient parfois le prix fort parce qu'ils se sont trop ouvertement exposés, ils se sont mis en danger et se retrouvent curieusement bien seuls dans la position périlleuse qu'ils ont adoptée parce qu'ils pensaient qu'ils ne pouvaient pas agir différemment, ils ne voulaient pas se trahir, ni se dérober, ni se compromettre, ils ont suivi la seule route qui leur semblait possible. Il n'y avait pas d'autres choix pour eux.

Il est évidemment délicat de tenter de modérer l'indignation d'un enfant face à une situation effectivement faussée, il s'insurgerait contre des adultes qui semblent l'accepter et il serait gravement déçu si ces adultes ne réagissaient pas, sans imaginer un instant qu'une réaction trop vive pourrait les mettre en danger dans certains cas que les adultes identifient, mais qu'il est difficile d'expliquer à un enfant. Les très jeunes enfants savent bien répéter "ce n'est pas juste" surtout quand ils sont punis pour avoir trop vivement réagi à une agression de la part d'un frère ou d'une sœur, réglant sournoisement d'interminables contentieux. Ils en gardent longtemps le souvenir et plus longtemps encore d'infimes traces. Il est alors souhaitable de se montrer vigilant dans cette configuration.
On voit bien que cette caractéristique, négligemment citée dans " l'inventaire " des spécificités des enfants doués, est d'une grande importance, on ne doit pas l'ignorer.

Conseils : il est préférable de garder en tête l'importance de cette notion de justice pour un enfant doué, puisqu'elle oriente parfois sa vie entière. On évitera de se montrer amer, désabusé, résigné ou enclin à un humour noir dont les jeunes enfants   ne saisissent pas toujours le sel. Pour le rassurer, on lui parle des professions consacrées à la défense de la justice…