Pourquoi les enfants doués se mettent la pression à leur contrôle, alors qu'ils connaissent tout par cœur ?

On s'étonnera toujours de voir des enfants doués, souvent reconnus comme tels par des tests, c'est-à-dire de façon objective et non pas seulement par l'amour aveugle de leurs parents, s'angoisser à l'idée de rater le contrôle du lendemain, alors qu'ils connaissent les cours par cœur, ou bien de ne pas avoir une bonne note à leur devoir de math, alors que c'est leur matière préférée.

Pourquoi les enfants doués se mettent la pression à leur contrôle, alors qu'ils connaissent tout par cœur ?
© Dall E

D'une façon générale, ils anticipent des catastrophes et ils en sont terrifiés. Les élèves médiocres qui comptent surtout sur la chance pour éviter une trop mauvaise note leur semblent d'une autre espèce ; peut-être les envient-ils, mais ils ne le reconnaîtront jamais.
Que ne donneraient-ils pas pour aller, eux aussi, d'un pas léger vers ce contrôle qui les glace d'effroi. Il leur semble que leurs connaissances vont s'effacer ou bien s'enchevêtrer dans leur esprit au point de devenir inutilisables. Ainsi, en Histoire, où ils évoluent habituellement avec délice, les dates, les noms, les victoires et les défaites, les traités vont devenir des données abstraites, en français, matière où ils excellent, les accords des participes passés et l'ensemble des règles de grammaire vont échapper à leur maîtrise et auront perdu toute signification.

Ils sont presque résignés à subir cette tempête à chaque événement qui diffère un peu de l'ordinaire, puisqu'ils ne savent pas comment la combattre, mais ils remarquent, avec épouvante, que cette pression s'accroît, même quand il s'agit du quotidien. Leur défiance vis-à-vis d'eux-mêmes devient envahissante, ils ne possèdent aucune arme pour l'affronter et la vaincre et leurs parents se trouvent, eux aussi, impuissants pour venir à leur aide.

L'impression d'être un équilibriste, jusque-là d'une audace et d'une habileté admirable qui lui étaient toutes naturelles, devenu, sans raison reconnue, d'une affligeante maladresse les envahit tout entier, ils ne peuvent plus se défaire de cette image, ils vont perdre l'équilibre quand ils seront tout en haut et ils s'écraseront sous les yeux des spectateurs horrifiés, venus spécialement pour un merveilleux acrobate et ses voltiges aériennes.

Ils n'envisagent pas d'autre remède que de renforcer encore leur préparation, de rabâcher ce qu'ils savent déjà par cœur, de s'entraîner avec des exercices semblables à ceux qu'ils auront à effectuer, mais leur peur est si grande qu'elle peut devenir paralysante et ils finiront par donner l'image d'un élève désinvolte qui n'a pas pris la peine de réviser parce qu'il compte sur sa facilité, que ses professeurs avaient bien détectée, c'est-à-dire exactement l'inverse de la réalité vécue comme un cauchemar par l'enfant doué.
On peut penser que cette notion de don reste abstraite : quand on lui en a parlé, il a, certes, été rassuré, il saisissait mieux son fonctionnement, des points obscurs s'éclaircissaient et ses parents semblaient mieux le comprendre, mais le don intellectuel comme tel reste une idée isolée, sans rapport avec le quotidien d'un élève.

Il n'a pas l'impression d'avoir véritablement travaillé : par exemple, au début du Primaire, il lui suffisait d'entendre une récitation ou bien de la lire une ou deux fois pour la savoir par cœur et cela lui semblait naturel, à peu près comme la table des 2 une fois la numération bien intégrée. Il ne sait même plus comment il a su lire, bien avant d'entrer à la Grande Ecole : tout le monde lisait autour de lui, il a fait comme tout le monde, c'est, du moins, ce qu'il pensait avant de se rendre compte que les autres enfants étaient obligés d'apprendre de façon progressive.

Maintenant qu'il est plus raisonnable, il se rend compte que ce n'est pas naturel : ce qui est entré aussi facilement dans son esprit pourrait s'en échapper tout aussi facilement sans qu'il ait un quelconque pouvoir sur ces mouvements. Il n'est plus seulement un équilibriste devenu maladroit, mais aussi un insecte recommençant inlassablement le tas de sable qui effondre dès qu'il a atteint une certaine hauteur, encore bien loin de celle qu'il désirait obtenir, jamais assuré de la solidité de sa construction. Depuis cette période de grâce, si lointaine, il est devenu lucide, réaliste, il a ouvert les yeux et vu comment agissaient les autres enfants, il n'a vu personne comme lui, il se sent seul et sans modèle, ses amis eux-mêmes doivent passer du temps pour apprendre leurs leçons, ils demandent des explications et, pour certains, lire les fatigue.

Cette facilité qui semble l'accompagner serait peut-être seulement fortuite, due à un heureux hasard, elle échappe donc à toute volonté et à tout contrôle. Pour la conserver et rester fidèle à son image, l'enfant doué pense qu'il est obligé de consacrer toutes ses forces à son travail.  Il se voit faible, ignorant, dépourvu de toute expérience, il a même le sentiment que les autres enfants en savent plus que lui, perdu dans ses rêves et ses interrogations quasi métaphysiques. Il a peur de se montrer distrait, perdu, d'avoir oublié le mode d'emploi des écoliers, de ne plus comprendre les questions. Il a, d'ailleurs, des souvenirs cuisants des moments où il s'était ridiculisé parce qu'il n'avait pas compris une consigne que tous les autres avaient appliquée sans se poser de questions. Il sait que ces accidents peuvent toujours survenir, il lui faut rester vigilant et construire une défense inébranlable en ne laissant aucune faille dans sa préparation.

Même alors, il peut encore se trouver piégé par une question qui le laissera dans l'incertitude totale. L'enfant doué est doté d'une imagination qui aurait tendance à tout amplifier, aussi bien l'étendue de ses ignorances, les conséquences de son manque de réaction et de sa faiblesse en général, que l'extrême complication des questions qu'il devra affronter. En effet, tout est extrême pour lui. Très vite, il peut sortir de la réalité et imaginer des voies tortueuses empruntées par les professeurs quand ils élaborent un contrôle.