Quand les enfants doués pensent à la mort

C'est souvent de façon fortuite que des parents, pas particulièrement investigateurs, tombent par hasard sur un écrit effrayant de leur enfant et plongent alors dans un état de sidération désespérée : ils se remettent sur le champ en question, ils se reprochent de n'avoir rien vu venir, ils ne comprennent pas la situation, ils constatent bien que quelque chose leur a échappé, sans savoir dans quelle direction orienter leur recherche

Quand les enfants doués pensent à la mort
© jackf-123RF

C'est dans un état indescriptible d'effroi qu'ils lisent des mots terribles : de sa petite écriture enfantine, leur enfant écrit avec un grand naturel qu'il ne sait pas ce qu'il fait là, que c'est trop dur, qu'il n'y arrivera jamais et qu'il préfère en finir tout de suite. Pas un mot sur le chagrin qu'il pourrait causer à ses parents et à ses frères et sœurs, il écrit comme s'il était seul et qu'il pouvait donc prendre les décisions qu'il désirait, ce qui pourrait prouver qu'il n'est pas tout à fait dans la réalité quand il se confie à un carnet ou à une feuille quadrillée d'allure bien scolaire.

Le jour où des pensées sombres apparaissent

Tout à coup, la vie lui est apparue sous un jour sombre, sans même une petite lueur à l'horizon, il a l'impression qu'on lui raconte des histoires quand on lui fait miroiter de joyeuses perspectives : des découvertes, des voyages, des moments heureux en famille ou avec des amis. Ses parents se mentent à eux-mêmes quand ils évoquent de bons moments du passé et qu'ils affirment à leurs enfants qu'ils en connaîtront de semblable. Ils racontent des histoires pour ne pas voir en face la dure réalité : la vie est une suite d'exigences finalement impossibles à satisfaire sans prendre en considération les désirs et les préférences de ceux qui doivent la subir.

Ce serait une interminable succession de devoirs de toutes sortes à accomplir, les brefs éclairs de bonheur illuminant quelques secondes ce parcours harassant seraient uniquement destinés à empêcher de sombrer dans un désespoir absolu, ils entretiendraient l'espoir fallacieux que l'avenir sera plus souriant. Seuls les plus crédules et ceux qui ne réfléchissent pas se laissent prendre, ceux qui sont plus lucides savent bien que tout est illusion.

Le poids des devoirs à remplir

Ces "devoirs" à remplir vont se suivre, en changeant de nature selon l'âge, ceux qu'on donne à l'école et qui sont aussi ennuyeux qu'inintéressants servent d'entraînement, la suite sera toujours ennuyeuse et contraignante, et les devoirs auront seulement changé de nature. Si les exigences deviennent plus complexes, l'enfant découragé n'est pas du tout assuré de pouvoir y répondre, il sait au fond de lui qu'il n'est pas aussi bon qu'on le dit, il a de la chance, c'est tout.

Cet exposé, jamais si détaillé, mais on y trouve des indices de cet état d'esprit, est rédigé dans un moment d'abattement où apparaît la tentation doucereuse de s'enfoncer dans l'oubli de tous les désagréments de l'existence et de la somme monumentale et écrasante des obligations à remplir pour accéder à un accomplissement accompagné d'amertume à l'idée de tous les renoncements auxquels il a fallu consentir. Ce flou grisâtre où toutes les émotions se noieront semble tentant, alors pourquoi ne pas se laisser aller à y céder et s'endormir paisiblement, mais le moyen d'accéder à ce paradis incolore est rarement envisagé ou alors il conserve quelque chose de fantasmatique. 

L'écriture pour se libérer...

On pourrait penser qu'en écrivant ces lignes, leur auteur se décharge d'un fardeau : il se sentait fatigué non par le poids actuel de ses charges mais par l'idée qu'elles allaient se succéder à l'infini, comme s'il était pris dans un tunnel d'où il serait impossible de sortir et qu'il faudrait donc suivre jusqu'à la fin. Dans ces conditions, une seule issue s'imposerait...

Confier ces idées à une page ne leur donne pas plus de réalité, mais libère l'esprit de celui qui les écrit, il peut mettre une certaine distance entre ce qu'il est au quotidien et les idées qui lui traversent l'esprit de temps à autre, presque comme si ces lignes étaient écrites par quelqu'un d'autre, qui serait un peu son double, mais ailleurs, dans un environnement un peu différent. C'est aussi la certitude rassurante qu'on garde une liberté d'agir, on n'est pas soumis à un sort aveugle qui décide tout et impose une destinée sans échappatoire possible. En définitive, c'est la personne elle-même qui choisit la trajectoire qu'elle veut suivre. 

La peur de décevoir reste malgré tout

Même alors, peut se mêler à ces idées l'impression qu'on ne sera jamais capable de donner satisfaction : on sera définitivement décevant, même vis-à-vis de soi et des ambitions qu'on avait pu nourrir quand on se faisait encore des illusions sur sa valeur parce qu'on n'était pas dans la réalité. Il ne s'agit pas seulement de la peur de décevoir les attentes de tout l'entourage, mais le pénible constat de sa faiblesse. Le sentiment d'imposture exerce ses ravages à tout âge.

Toutes ces idées que l'enfant se garde bien d'exprimer de peur qu'on le rassure d'une façon qui serait pire que son tourment, en lui disant qu'on n'attend pas forcément qu'il se surpasse dans ses réussites, ou encore que tout ce qu'il fera sera bien du moment qu'il a limité ses ambitions, l'essentiel étant qu'il soit heureux… Même si ses paroles apaisantes sont prodiguées avec les meilleures intentions du monde, elles provoquent un abattement encore plus grand.

Que faire face à ces pensées ?

Il est préférable d'évoquer l'apport de l'apprentissage, celui des découvertes à venir qui enrichiront l'expérience et l'habileté. La joie d'avancer dans la voie du savoir est inégalable, ce serait regrettable de s'en priver et on acquiert ainsi des moyens d'affronter les obstacles et de poursuivre sa route, malgré tout. On peut mentionner en passant que certains enfants paraissent parfois tristes et tourmentés, que ces réactions sont bien normales à leur âge, quand on se sent bien petit et ignorant face à l'immensité qu'il faudra affronter un jour, mais ils ont encore devant eux de longues années de découverte de la connaissance avec le plaisir qu'elle procure.

Dans tous les cas, mieux vaut s'assurer qu'il n'y a aucun harcèlement : il détruit l'image de soi, vide l'enfant de toute capacité de se reprendre et le conduit vers une issue fatale puisqu'il pense ne pas être capable de trouver une autre voie. Les injonctions quotidiennes des harceleurs ont raison de sa conscience de soi.

Conseils : passé le choc à la lecture de ce terrible texte, il est préférable d'examiner soigneusement toute cause extérieure pouvant l'avoir inspiré. (Trahison d'ami, remarque trop critique d'un professeur dans une matière aimée…). Comme en passant, on évoque les joies, les bonheurs, les plaisirs qu'on rencontre au cours de sa vie, les siens propres, ceux de l'entourage et on cherche le domaine qui pourrait éveiller un intérêt passionné.