Les peurs des enfants doués

Tous les jeunes enfants éprouvent des peurs, surprenant seulement les adultes qui ont oublié en avoir connu de semblables dans leur enfance. Ces peurs font naître des cauchemars, eux aussi vite refoulés par les enfants eux-mêmes.

Les peurs des enfants doués
© Nicoletaionescu-123RF

Quand on leur demande négligemment s'ils font des cauchemars, les enfants doués répondent immanquablement "plus maintenant". Désormais, ils sont devenus sages, raisonnables, réfléchis. Ils savent que les sorcières n'existent pas, et c'est heureux, mais le Père Noël n'existe pas non plus, ce qui est tout de même regrettable, même si cela signifie qu'ils sont à présent grands et qu'on peut, sans dommage, leur enlever leurs illusions, réservées aux jeunes naïfs : des bébés qui croient tout ce qu'on leur dit.

Cette négation de l'existence du Père Noël est ennuyeuse : il est plus facile de lui faire une lettre avec les souhaits les plus fous que de demander à des parents d'acheter un jouet qu'ils abandonneront très vite, qui ne leur plaira plus, qui encombrera encore davantage leur chambre. Dans le même temps qu'ils expriment leurs souhaits, ils entendent les remarques que leurs parents ne manqueront de leur adresser en retour. Le Père Noël existait pour faire plaisir aux enfants, exaucer leurs souhaits et il ne se préoccupait pas du devenir de ces objets de rêve qu'on lui demandait. Ce n'était pas dans ses attributions. 

Les enfants se font une raison au sujet du Père Noël, puisque la révélation de sa non-existence représente une étape flatteuse pour ces enfants qui grandissent, mais, finalement, ils restent plus dubitatifs concernant les sorcières. Ils entendent bien les grandes personnes parler de quelqu'un en affirmant "c'est une sorcière" sans que personne leur rappelle qu'elles n'existent pas. Au contraire, les autres approuvent en disant "c'est le mot exact".

La prudence est de mise

Alors, que faut-il penser ? Les enfants, surtout quand ils possèdent, tout à la fois, une imagination débridée et une logique imparable, pensent qu'il vaut mieux rester prudent. Si la sorcière n'existe pas sous sa forme caricaturale, elle peut se déguiser, et n'en être que plus dangereuse. Elle ne prendra pas forcément l'aspect d'une charmante jeune femme, qui se révèle ensuite diabolique, comme celles dont parlent les adultes. Elle prend des formes bien plus sournoises, elle se dissimule dans les objets par exemple, mais elle se trahit quand l'objet fait du bruit : il craque, il change de température, il tombe sans raison, il bouge subrepticement de place, il est sournois, pourtant les adultes ne voient rien, n'entendent rien, ne comprennent rien. Pour eux, la sorcière c'est celle qui déploie ses manigances pour prendre leur poste au bureau. Les enfants, eux, savent que l'environnement n'est pas aussi pacifique qu'on veut leur faire croire. Des pièges perfides se cachent un peu partout, dans la cuisine par exemple, où des machines font du bruit et peuvent faire très mal au maladroit, des plaques ou d'autres appareils peuvent brûler. Les parents les ont mis en garde et puis ils n'en parlent plus, sans doute ont-ils oublié qu'ils avaient décelé un éventuel danger. "Ils ne se rendent pas compte " pense l'enfant méfiant à la mémoire infaillible : il a retenu les mises en garde de ses parents, il a bien compris que le danger réside au-delà de ces machines bruyantes ou brûlantes.

"L'enfant doué adore les histoires"

Hors de cette cuisine redoutable, le danger rôde aussi, il affectionne les rideaux, avec leurs plis incertains qui bougent au moindre courant d'air ou bien à quelque chose qui y ressemble. La cachette la plus banale, celle qu'on vérifie en premier, sous le lit, est tellement connue qu'on la vérifie seulement de temps à autre, par routine, parce qu'on ne sait jamais. Justement, le danger compte peut-être là-dessus pour aller y prendre ses aises. L'enfant doué adore les histoires, il a même appris très vite à lire pour ne plus dépendre de la disponibilité de ses parents. Il y a trouvé l'évocation d'un foisonnement de dangers possibles et il n'a aucune raison de mettre en doute leur existence bien réelle. Ce sont les livres qui apportent la connaissance, comment alors faire le tri ? Il est vrai que les livres ne parlent pas des ours qui attendent au détour d'un couloir ou du monstre marin, tapi dans la salle de bain qui sait reprendre, dans la seconde où on y entre, sa forme énorme et terrifiante, surtout s'il s'agit d'un petit enfant, si facile et si agréable à croquer.

Les idées stupides de toute puissance, propres aux très jeunes enfants et à quelques adultes mal finis, sont bien oubliées. L'enfant doué, lucide et réaliste, sait, sans aucun doute, qu'il est fragile, faible, naïf, totalement dépourvu de défense. C'est seulement dans certains contes que les enfants se montrent particulièrement astucieux et retors, dans la vraie vie, livré à lui-même, il est incapable d'affronter un danger avec une chance de l'emporter et le danger est partout. C'est épouvantable.

S'entraîner à dominer sa peur

Évoquer ce sujet avec ses parents est délicat. Ils risquent de ne pas le croire, d'ailleurs, quand ils effleurent discrètement ses craintes par quelques mots qui les atténuent, ils s'emploient aussitôt à minimiser ces dangers, et même à en nier la réalité, mais leur enfant sait bien qu'ils agissent ainsi pour l'apaiser, pour qu'il puisse s'endormir tranquillement sans être réveillé par d'angoissants cauchemars. On lui dit aussi qu'il doit apprendre à garder la bonne distance entre son imagination et la réalité : ses peurs ne sont pas fondées, elles ne se justifient pas, elles ne correspondent à aucun fait. " Dors en paix mon ange, tu n'as aucune raison d'avoir peur" disait une habitante de Pompéi à son enfant qui tremblait sans raison en octobre 79. Depuis, on sait que ces irruptions mortelles arrivent dans toutes les parties du monde, le feu, la mer, la boue détruisent tout sur leur passage, la terre qui tremble, avec ces maisons qui s'écroulent et le sol qui se dérobe, font de l'univers un environnement effrayant. Ces catastrophes étant souvent illustrées par la photo d'un enfant terrifié et solitaire. Il en connaît la liste et, encore, il est sûr de ne pas les connaître toutes. Pour alimenter encore davantage ses terreurs, finalement étayées par la réalité, il a appris qu'on risque de mourir dans la rue, parce que des gens en tuent d'autres, sans que les raisons soient bien claires pour lui. Malgré tout, il tente de s'entraîner à dominer sa peur, il risque une incursion dans le jardin pas éclairé ou au fond de l'appartement obscur, avec toutes ces ombres terrifiantes qu'il ose braver parce qu'il est ennuyé, et même honteux, d'avoir tellement peur. Les parents ont fait tout leur possible pour protéger leur enfant en évitant les informations, mais c'est, bien évidemment, impossible quand tout le monde en parle, parce que chacun connaît une victime dans la ville où survient cette folie meurtrière. On ne peut pas atténuer la cruauté de ces événements, on doit faire appel à tous les moyens pour que le sommeil soit tout de même paisible en tentant soi-même de ne pas être trop manifestement, bouleversé et démuni.

Conseils : il est préférable d'éviter toute source de peurs, en gardant en mémoire que les images sont bien plus inquiétantes qu'un récit. Les films sont encore plus dévastateurs, ils peuvent laisser des traces durant des années. L'enfant doit se sentir complètement protégé, confiant et rassuré, entouré de parents eux-mêmes rassurés. Les enfants doués, encore plus que les autres, ressentent les émotions, même les plus cachées, de leurs parents.