Prépa : un seuil difficile

Nombre d'enfants doués ont connu une scolarité facile. Des dons répartis de façon homogène, un caractère accommodant et le souci d'éviter tous les ennuis qu'entraîne une scolarité chaotique leur ont permis de traverser sans dommage cette période qui peut, parfois, prendre les allures d'un parcours du combattant, épuisant pour tous les protagonistes.

Prépa : un seuil difficile
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Ces enfants aux dons prometteurs envisagent un avenir serein, ils ont le goût des études, ils savent affronter les obstacles et les surmonter au prix d'un léger effort, la mention obtenue au Bac couronne une scolarité heureuse. La suite vient tout naturellement : intégrer une " bonne " Prépa, grâce à leurs notes, à leur habileté à se débattre dans la jungle des choix et à une bonne dose de chance. Ils ne seront pas trop dépaysés puisqu'ils restent dans un cadre scolaire et ils seront enfin dans la compagnie de semblables, ayant suivi le même parcours et partageant leurs rêves d'avenir, même s'ils restent encore flous pour le moment. La Prépa, justement, leur laisse le temps de réfléchir avec une meilleure connaissance des voies qui s'ouvrent devant eux.

La prépa : une course en haute montagne

Dans ce ciel sans nuage, l'ouragan qui se déchaîne laisse tout le monde sidéré. Les exigences de la Prépa ne sont plus du tout les mêmes, la somme de travail à fournir est sans rapport avec ce qui était exigé auparavant, y compris pour le Bac. La promenade dans un paysage agréablement vallonné se transforme en course de haute montagne, sans avoir suivi d'entraînement préalable. L'étudiant prometteur est essoufflé, submergé, il ne se reconnaît plus et certains semblables, dont il attendait tant, se révèlent uniquement centrés sur leur réussite et sur l'avenir lucratif qu'elle leur permettra. Ils s'entraînent déjà à se battre pour leur seul profit, grâce à une réussite qui écrasera celle de leurs condisciples.

L'étudiant, certes doué en mathématiques, mais aussi un peu rêveur, un peu poète, peu intéressé par une réussite matérielle du moment qu'il travaille dans un domaine qui lui plaît, se sent décalé, étranger, venu d'un autre monde et peut-être même d'une autre espèce. Il lui faut beaucoup de chance pour rencontrer de vrais semblables, eux aussi perdus parmi ceux qui ont tout sacrifié pour leur réussite. L'organisation des cours renforce encore ce sentiment. Telle Prépa prestigieuse offrait il y a encore quelques années des cours de Grec ancien, pas directement profitables, mais c'était un luxe qui contribuait à nourrir différemment l'esprit, il a donc été considéré comme inutile. Le plaisir que l'étudiant escomptait éprouver en explorant plus avant des domaines qui lui avaient toujours plu, et l'avaient même fasciné, se dilue dans toutes les exigences vécues comme stérilisantes alors qu'il les espérait fécondes. 

Un sentiment d'imposture

Sa réaction est alors à la mesure de sa déception : en réalité, ce sont ses espoirs qui se fracassent, son avenir a sombré dans cet effondrement qui ne laisse plus aucune voie ouverte, pense-t-il. Son image qui s'est disloquée, laissant la place à un énorme sentiment d'imposture. Il serait ramené brutalement à sa nature propre, après avoir bénéficié d'une chance indue, il a abusé tout le monde et surtout ses parents, heureux de voir leur fils tracer sa route avec aisance : ils ont fait des envieux et maintenant ils seront la risée de ceux qui les jalousaient. Il a trahi leur confiance. C'est une situation intolérable, cet effondrement tient du cauchemar, il ne peut pas être réel. L'hypersensibilité des individus doués lui rend toutes ces émotions encore plus douloureuses. Il bascule dans une telle détresse qu'on doit se résoudre à l'hospitaliser : il ne se supporte plus et, au fond de lui, il ne peut s'empêcher de penser qu'il a peut-être changé de nature et qu'il entre dans une voie de vraie pathologique, avec un avenir de médicaments qui anesthésieront des pensées devenues mortelles. 

L'idée de rencontrer un psychologue le terrifie, sous son regard perspicace, il apparaîtra tel qu'il est : fragile, hésitant et presque tremblotant, une pauvre chose qui ne doit nourrir aucun espoir et qui s'est bercée d'illusions durant toute sa scolarité. Il est plus sage et plus prudent d'éviter une telle rencontre, elle ne fera qu'aggraver sa situation en confirmant ses pires craintes, celles qu'il n'ose énoncer tant elles sont terribles. On dira que tous les élèves de Prépa ne connaissent pas cette plongée en enfer : beaucoup en sortent victorieux et prêts à affronter, avec panache, les embûches de la vie, heureux d'avoir partagé ce parcours ardu avec des semblables.

Ce serait une accumulation de faits qui risqueraient de conduire l'étudiant anéanti à ce désastre : sa scolarité a été excellente, mais, justement, il n'a jamais eu besoin de fournir un véritable effort, celui qui oblige à puiser tout en fond de soi une force qu'on ignorait posséder. Aucun professeur ne l'y a incité, puisque il réussissait bien. Ce procédé n'a jamais été utilisé. Il aimait les math, la solution lui apparaissait d'emblée, il fallait ensuite la justifier, c'est un entraînement aisé à acquérir quand l'univers des mathématiques est familier, presque amical. Il s'est transformé en jungle hostile.

Des remarques faussement objectives

Il a pu aussi y avoir un environnement proche qui a subtilement sapé sa confiance en lui par des remarques faussement objectives et apparemment formulées pour son bien, afin qu'il apprenne à se battre et à s'affirmer, mais il les a entendues à un âge où les armes ne sont pas encore forgées. Ces remarques dévastatrices rendent cette construction définitivement fragile, à moins de les identifier et de les combattre pour leur ôter leur pouvoir destructeur. Parfois, la situation au sein de la fratrie renvoie au plus jeune une image irrémédiablement inférieure, justifiée par des faits apparemment objectifs si on oublie la différence d'âge. Mais ce peut être aussi un cadet particulièrement déterminé qui a consacré toutes ses forces à dépasser son aîné, parfois avec un apparent succès. Les enfants doués amplifient les effets de leurs émotions qui les marquent plus profondément et plus durablement, ils conservent alors au fond d'eux-mêmes une fêlure, source de doutes déstabilisateurs, sans que ce processus soit identifié comme tel.

La Prépa constitue un autre univers, beaucoup s'adaptent et conservent le souvenir d'un travail intense, mais aussi celui d'une classe où, enfin, tous les élèves fonctionnent au même rythme. Certaines amitiés solides remontent même à cette période où on fourbit ses armes sous la conduite de professeurs passionnés par leur métier.

Conseils : il est indispensable d'entraîner les enfants à exécuter des tâches très difficiles, afin qu'ils prennent l'habitude de donner le meilleur d'eux-mêmes, presque étonnés de parvenir à de tels résultats. Il est aussi préférable d'être attentif aux relations dans la fratrie à cause des conséquences parfois très néfastes qu'elles peuvent entraîner. L'entrée en Prépa ne doit pas être considérée comme une année de plus en classe, c'est un changement radical auquel on ne s'attend pas forcément. Préparer cette rentrée, si possible avec d'anciens élèves peut constituer une aide appréciable.