Les adolescentes douées et les difficultés qu'elles rencontrent parfois
Il a toujours été admis que les petites filles douées savent s'adapter et n'attirent donc pas l'attention. Les garçons rebelles passent tôt des tests, les parents ont déjà une piste pour les comprendre et les aider. Ils se réjouissent du calme et de la sagesse de leur sœur : elle travaille bien sans qu'on soit obligé de l'y contraindre par toutes sortes de moyens. Elle est appréciée dans son école et elle a des copines que leurs parents trouvent convenables.
Les petites filles douées sont comme les autres si ce n'est qu'elles adorent lire, mais elle ont toujours une ou deux amies qui partagent cette passion, elles se prêtent leurs livres, elles en discutent. C'est à l'adolescence que la situation se modifie, subrepticement tout d'abord, puis par un coup d'éclat qui désarçonne complètement les parents. Brutalement, les amies disparaissent, l'adolescente, qui continue à dévorer les livres, explique que ses amies l'ennuient. Leurs discussions sont devenues sans intérêt, elles parlent vêtements, maquillage, séries, et surtout garçons, tout sujet qui, pour l'adolescente douée, ne mérite pas qu'on s'y attarde. Elles n'utilisent plus le même langage. Si, par hasard, elle éprouvait un tendre sentiment pour un de ses camarades, elle se garderait bien de leur en parler : ensuite, c'est toute la classe qui suit pas à pas les méandres de l'idylle, les commente, attend un éventuel échec ou bien la rivale qui ne manquera pas de surgir, ravie de cette situation et du défi particulier à relever.
L'adolescente douée s'agace vite de les entendre gloser à l'infini sur des faits tellement dérisoires qu'ils en perdent toute signification et surtout sur des adolescents qui ne savent pas très bien eux-mêmes comment se comporter dans ce mode nouveau de relations. Il est parfois reposant d'entendre évoquer des sujets plus futiles, mais il ne faut pas qu'ils prennent toute la place. L'adolescente douée s'amuse à se maquiller de temps à autre. C'est une activité manuelle artistique qui demande une forte concentration d'esprit, avec l'effet de détente que provoque ce genre d'exercice. Elle fait attention à ses vêtements, sans suivre ce qui doit impérativement être porté et sait quelles couleurs et quel style lui conviennent. Elle n'a pas besoin d'y penser souvent et longtemps.
Elle préfère continuer à lire des livres de plus en plus sérieux et passionnants, mais elle se rend bien compte qu'ils n'intéresseront pas ses amies, les sujets qu'ils abordent leur paraîtront trop austères, ennuyeux sans doute, rien n'oblige à les lire, ils ne sont pas au programme.
L'enseignement scolaire
Ces lectures enrichissent incroyablement ses connaissances : l'enseignement scolaire lui semble de plus en plus fade, elle n'apprend rien. Son ennui et son dédain commencent à se voir, les professeurs vexés de ne plus capter l'attention de cette élève, qui semblait prometteuse, ne sont pas très gentils avec elle. Ses camarades ne recherchent plus sa compagnie, mais cette mise à l'écart ne la gêne pas sauf si, parfois, elle s'accompagne d'un discret harcèlement. Tous les éléments sont en place pour que s'installe ce qui apparaît comme une phobie scolaire. L'adolescente ne sait pas pourquoi elle doit continuer à aller en classe, elle a bien compris que ce n'est pas là qu'elle trouvera des réponses aux questions profondes, existentielles, qu'elle se pose.
Ses parents, désemparés, tentent d'y répondre de leur mieux, mais il y a longtemps qu'ils ont négligé la philosophie, même s'ils gardent une tendresse pour ce domaine qui les a enchanté en son temps. Ils se sentent un peu faibles quand il s'agit de physique quantique. Ils ont gardé le souvenir flou et trop léger d'un chat intermittent, bien insuffisant pour en parler sérieusement.
Chute des notes et troubles du comportement alimentaire
L'adolescente éprouve le sentiment de se heurter à des murs de quelque côté qu'elle se tourne. Elle n'a plus d'amies, plus d'interlocuteurs. Elle se sent fondamentalement différente des autres, c'est-à-dire de la norme, seule avec ses interrogations, ses rêves d'avenir malgré tout, sans savoir comment les concrétiser puisque le passage obligatoire par l'école lui semble rédhibitoire. Avec la meilleure bonne volonté du monde et malgré son ardent désir d'avancer, elle ne peut plus retourner en classe. C'est trop difficile, rien ne l'y attire.
Pour certaines, qui ont toujours été de bonnes élèves sans réellement travailler, l'angoisse atteint un sommet lorsqu'elles sont confrontées à la nécessité de l'effort, alors qu'elles en ignorent tout. Leurs notes commencent à baisser, elles ne savent pas toujours comment réagir, elles ne se reconnaissent plus. Non seulement l'école ne leur apporte pas les réponses qu'elles en attendent, mais elle risque de les placer dans cette insupportable situation d'échec, même relatif, dont elles se demandaient comment les autres pouvaient l'affronter sans en mourir.
Commencent alors parfois ce qu'on appelle des " troubles du comportement alimentaire ". L'adolescente douée est anorexique, boulimique et alterne sans trouver d'apaisement et encore moins de réponse dans cette recherche d'extrêmes et des chemins à emprunter pour y parvenir. Elle peut s'adonner à un sport jusqu'à l'épuisement. Ce perfectionnisme qui avait imprégné toute sa vie s'exprime maintenant différemment, comme si elle cherchait au fond d'elle-même des réponses à tous ses questionnements en essayant d'aller jusqu'au bout. Elle ne sera jamais assez mince puisque ce serait dans l'extrême maigreur, débarrassée de toute chair encombrante, qu'elle touchera l'essence de ce qu'elle est, quitte à en mourir. C'est une quête absurde, désespérante, alors elle se remplit pour connaître la paix donnée par la satiété, et au-delà. Elle, qui s'étonnait de voir ses amies devenir bien rondes et ne s'en inquiétaient pas, les dépasse parfois, mais elle se déteste, elle ne voit pas d'issue à sa quête, elle mange pour ne plus penser.
Des angoisses
Ses parents désemparés consultent des médecins, parfois recommandés, parfois pris au hasard, pour la proximité ou la disponibilité. Alors, tous les verdicts sont possibles. Les personnes douées désarçonnent souvent ceux qui les connaissent mal. Elles présentent bien des aspects de leur personnalité souvent attribués à un syndrome d'Asperger. Elles sont facilement considérées comme "borderline" ou alors c'est une amorce de bipolarité qui se traduirait par ces comportements aberrants, l'adolescence en quête, aux exigences excessives, marginalisée par sa remarquable maturité d'esprit, évoluant avec délice dans les méandres d'un raisonnement complexe, à la condition qu'il suive une rigoureuse logique, se voit cataloguée et surtout mise sous médicaments afin d'atténuer ses angoisses et de réguler son appétit.
Il est vrai que ces plongées dans des abîmes d'angoisse sont impressionnantes. Ces adolescentes demandent implicitement de l'aide, mais ne veulent rien savoir quand on leur propose une rencontre avec un psychologue. Elles craignent une conclusion qui les placera dans la catégorie des malades à jamais condamnés à vivre dans ce malaise. Un médecin classique serait finalement plus rassurant, il ne va pas explorer une âme, plongée dans de sombres nuées. Ces adolescentes savent donner le change et paraître raisonnables, elles rencontrent les difficultés ordinaires propres à leur âge, un comprimé pour mieux dormir leur convient.
Elles s'affolent tout de même quand on parle d'hospitalisation, leur peur horrible d'être considérées comme définitivement malades risque de les faire basculer dans un état cette fois véritablement dépressif. Elles sont impuissantes avec des parents terrifiés et tout aussi impuissants.
Conseils : il est vraiment essentiel de savoir qu'il s'agit bien d'une adolescente douée, elle-même doit le savoir. C'est une grille de lecture indispensable pour apporter de la cohérence à ces manifestations excessives de malaise. Elle a impérativement besoin de se sentir comprise, et donc rassurée. Elle aura traversé un passage difficile, mais c'était seulement un passage. |