Le souci d'harmonie guide les enfants doués

Il y a bien des situations où l'enfant doué, comme tous les autres, basculera dans des réactions peu rationnelles, souvent provoquées par des rivalités fraternelles dont la violence échappe parfois à la raison. Pourtant, au sein d'une fratrie, il peut y avoir un des enfants, ignorant toute rivalité, qui s'emploiera, au contraire, à apaiser ces conflits éternels et stupides.

Quand il est doué pour les relations amicales, il ignore les querelles motivées justement par la jalousie, puisque c'est un sentiment qu'il méconnaît et continuera à méconnaître toute sa vie, il ne veut pas prendre parti dans des affrontements qu'il estime dérisoires, quitte à finir parfois par se tenir à l'écart de ces querelles avec les conséquences néfastes que cette distance peut entraîner. Cette "sagesse" tôt acquise, ne l'empêche pas de vivre de façon dramatiquement douloureuse une trahison, ou ce qui lui semble telle, de la part d'un enfant qui n'avait pas de l'amitié la même conception absolue. Pour lui, dans ce cas, l'harmonie résidait dans leurs échanges qu'il croyait sincères. Il voit dans cette trahison une marque de désamour et il ne comprend pas ce qui l'a provoquée.

Un tel enfant, lorsqu'il se trouve dans un milieu amical qui lui reconnaît ses qualités et ne le considère pas comme un extraterrestre, occupe néanmoins une place à part : souvent il est élu délégué de classe, justement à cause de sa sagesse, de sa capacité à comprendre les adultes, de son expression verbale aisée, et de cette propension à chercher un terrain d'entente au lieu de se braquer. Plus tard, si ses qualités orientent son choix, il ne peut oublier ce souci d'harmonie, qui prend une autre dimension maintenant qu'il est presque adulte. Il a élargi sa vision du monde et constaté tous les désordres qui le détraquent, la notion d'ordre semble oubliée, les habitants de certains pays sont pris dans des conflits ou des drames qui les dépassent, ils ont besoin d'aide, sinon ils vont disparaître. Sans chercher si loin, il voit bien autour de lui toutes sortes de troubles et il se demande comment y remédier. Il réfléchit déjà suffisamment pour imaginer les multiples causes provoquant ce chaos. 

Pour une personne douée, le constat de cette incohérence et de ce désordre qui semblent maintenant envahissants est intolérable, mais l'étudiant doué se sent encore bien mal armé pour agir. il tient à faire les études qui l'intéressent, elles vont lui être utiles, quelle que soit la voie qu'il empruntera, elle reste d'ailleurs encore floue dans son esprit, mais il lui faut de toutes façons des armes pour se frayer son chemin : les études fournissent certaines de ces armes, elles  assurent une solidité plus grande, le savoir est souvent nécessaire, il permet de bénéficier des connaissances des autres et dont c'est le métier  de les transmettre, de leur permettre de progresser et peut-être d'aller plus loin dans la réflexion que leurs professeurs eux-mêmes après qu'ils leur ont donné l'élan et le goût pour la matière enseignée.

Ce refus de l'injustice, qui empêche toute harmonie de s'instaurer, ne peut disparaître : tout comme l'enfant doué ne comprenait pas la trahison de celui qu'il pensait être son ami,  l'adulte doué refuse de se trahir lui-même en acceptant des situations qui le heurtent. S'il pense pouvoir agir, il cherche comment procéder, il met toutes ses qualités au service de cette entreprise avec le sentiment apaisant de se sentir utile. Toutes sortes de causes peuvent ainsi être défendues : sans aller jusqu'aux guerres injustes où ce n'est généralement pas la cause la plus noble qui l'emportera, mais c'est elle qui a constitué un appel irrépressible, les causes à  défendre sont multiples et n'exigent pas toujours un engagement aussi total que celui où le risque de perdre la vie est réel.

Il existe un autre risque, plus perfide et plus sournois : il y aura toujours des êtres malfaisants aux aguets, tout prêts à profiter de ce bel élan de générosité pour conduire celui qu'ils ont réussi à berner dans des chemins tortueux. Ils profitent des qualités qu'ils ont bien perçues et qui leur seront utiles en manifestant une reconnaissance trompeuse, mais efficace, du moins un temps. D'infimes signes finissent par alerter celui qu'on ne peut duper trop longtemps, mais il en conservera une amertume longue à disparaître.

On a vu des personnes douées faire merveille en se montrant des organisateurs hors pair au sein d'une secte qui les avaient attirées par de fallacieux prétextes, jusqu'au moment où elles se ressaisissaient au grand dam du gourou qui avait su les séduire et ne voulait pas perdre une si précieuse aide, mais on voit aussi des gens proches du burn out travaillant au sein d'une ONG tout ce qu'il y a de plus officielle où leurs qualités étaient exploitées sans mesure. Le désir de rétablir un ordre malmené peut parfois mener dans des impasses dramatiquement destructrices. Des causes, apparemment nobles, généreuses et justifiées, se révèlent manipulées par certains qui voient là une façon d'assurer leurs profits ou leur pouvoir, mais il faut du temps pour que ces manipulations souterraines apparaissent. On le voit, la générosité, le besoin de contribuer à rétablir un ordre perturbé et celui de rendre sa cohérence au monde risquent d'entraîner dans les pièges tendus par des individus soumis eux-mêmes à de sombres idéaux.

De façon plus conventionnelle, la plupart des étudiants doués s'engagent dans des voies plus classiques et moins dangereuses : de nombreux domaines d'action sont possibles, toutes les professions dont la motivation première est la recherche de cette harmonie essentielle peuvent convenir. Partout où on cherche à rétablir un ordre perturbé, une intervention efficace est bienvenue. C'est le plus souvent un combat constant à mener avec une énergie sans faille parce qu'il répond à un impératif auquel il est impossible de se soustraire quand on a choisi cette voie. Il serait forcément réducteur d'évoquer tous ces domaines qu'il faut inlassablement remettre en ordre, qu'ils se rapportent au plan individuel ou à celui d'une société toute entière. Si ces vocations n'existaient pas, ou bien si elles restaient sans écho, car trop fatigantes, peu gratifiantes, peu rentables, interdisant une vie familiale régulière et paisible, la société serait vite envahie par un chaos sans nom.