Une inquiétante recrudescence de bébés secoués en 2021

Publié dans la revue JAMA Network Open, le rapport de l'hôpital Necker est édifiant : en 2021, le nombre d'enfants victimes du syndrome du bébé secoué a explosé en région parisienne. Un triste record, lié à la pandémie de Covid-19.

Une inquiétante recrudescence de bébés secoués en 2021
© dolgachov-123rf

[Mise à jour du 5 septembre 2022 à 11h48] Le syndrome du bébé secoué a des conséquences terribles sur le développement de l'enfant. Chaque année, près de 200 bébés seraient concernés et ceux qui parviennent à survivre à ce choc traumatique provoqué par de violentes secousses risquent malheureusement de conserver des séquelles à vie.

Le nombre de bébés secoués a doublé en région parisienne

Dans une étude menée par l'hôpital pédiatrique Necker à Paris et l'Inserm, et publiée dans la revue scientifique Journal of the american medical association, les chiffres concernant les bébés secoués tirent la sonnette d'alarme à propos du syndrome, en nette recrudescence. En effet, pendant la pandémie, le nombre de bébés secoués a doublé et la mortalité a été multipliée par 9" Non seulement il y a eu plus de cas, mais ils étaient plus graves " a confirmé le professeur Gilles Orliaguet, chef de l'anesthésie-réanimation à Necker au Parisien. Concrètement, cela donne 32 bébés admis à cet effet en 2021, dont neuf en sont décédés. Une mortalité qui a doublé par rapport à la période pré-Covid, où 50 cas étaient enregistrés entre 2017 et 2019, et 17 en 2020. Et si les chiffres ne font état que de la situation en île-de-France, la hausse d'enfants victimes du syndrome du bébé secoué n'est pas un épiphénomène circonscrit à la région parisienne. En effet, l'étude préconise d'en faire une à échelle nationale, pour voir si "l'augmentation a été hétérogène géographiquement".

Pourquoi une telle augmentation ?

En 2020, année du premier confinement, le nombre de bébés secoués a été plutôt stable. Ce n'est qu'après, avec la multiplication des périodes d'isolement et les différentes instabilités qu'elles ont suscitées (émotionnelle, professionnelle, personnelle...), que le phénomène s'est accentué. En cause : l'isolement, la promiscuité familiale, le relâchement de la prévention. Une détresse parentale, à laquelle s'est ajouté l'effet pervers des confinements successifs : la difficulté d'accès à l'IVG, qui a engendré nombre de grossesses non désirées et des parents peu avisés de la question, moins tolérants : "Autant de facteurs qui favorisent la violence sur les plus petits. On a vu plus de bébés secoués, une maltraitance immédiate, impulsive. Mais aussi plus de violences dites chroniques d'adultes chez des enfants un peu plus grands" a analysé le pédopsychiatre Stéphane Clerget, pour le Le Parisien.

Quelles séquelles risque d' avoir un bébé secoué ?

Répertorié comme un traumatisme crânien non accidentel, le syndrome du bébé secoué entraîne la mort de 10% des 400 à 500 nourrissons qui en sont frappés chaque année. Selon l'étude de Necker, l'âge moyen des petites victimes est de 4 mois, et concerne principalement des garçons. 75% des bébés admis à l'hôpital pour cette forme de maltraitance n'en ressortent pas indemnes. Le Parisien a ainsi classifié les séquelles qui ont touchés les 32 bébés touchés en 2021 : 88% ont subi une rupture des veines ponts, 75% ont eu des hémorragies rétiniennes (pouvant entraîner une cécité), 32% ont eu des fractures, 28% des blessures de la peau et 38% une épilepsie ; des conséquences graves, qui impacteront pour certains leur vie entière.

Comment mettre un terme à cette dangereuse augmentation de bébés secoués ?

Le contexte sanitaire a beau s'être apaisé pour un retour à la normale effectif depuis plusieurs mois, les chiffres 2022 sur les bébés secoués n'augurent pour leur part aucune amélioration. Entre janvier et août, 16 cas ont déjà été admis rien qu'à l'hôpital Necker. Aussi, une nouvelle opération massive de prévention s'avère urgente, quand nombre de parents ne savent pas qu'un geste apparemment anodin peut être si grave. Notamment auprès des papas, auteurs dans la plupart des cas des secousses. Pour le pédopsychiatre, il faut aussi mettre fin à cette ambition perverse de parent parfait, responsable de burn-out et de surmenage. Les parents ne doivent pas avoir honte de demander de l'aide, ni d'en parler avec la personne en charge de la garde quotidienne -ou occassionnelle- du tout-petit. Enfin, il importe aussi d'en faire une responsabilité collective, en intervenant quand un entourage proche semble traverser une crise.

Des erreurs judiciaires et des parents accusés à tort

En 2021, pour permettre aux médecins de mieux diagnostiquer le syndrome du bébé secoué, la Haute Autorité de santé avait actualisé ses recommandations. La HAS a notamment pris en compte "le mécanisme causal et la datation des lésions", la version de l'adulte qui accompagne l'enfant, et a affiné le reste des critères. Rappelons qu'en cas de doute, l'enfant est hospitalisé en soins intensifs pédiatriques, tandis que les médecins ont pour obligation de signaler le cas de bébé secoué auprès du procureur de la République, et de demander l'avis d'un autre médecin.

Selon l'association Adikia, qui regroupe plus de 130 familles accusées à tort de maltraitance infantile, ces recommandations relatives au syndrome du bébé secoué seraient responsables de nombreuses erreurs judiciaires. Car d'autres cas comme les chutes accidentelles, ou encore les maladies génétiques ne sont pas toujours pris en compte. Résultat : les parents sont accusés d'avoir secoué leur bébé. En février 2020, l'avocat Grégoire Etrillard et l'association Adikia avaient alors saisi le Conseil d'Etat pour réclamer l'abrogation des recommandations de la Haute Autorité de santé. En 2019, il rappelait que les conséquences sont souvent terribles, car "à cause d'un diagnostic présenté comme "certain" et que nul ne peut remettre en cause", les décisions de justice conduisent "au placement d'enfants, à la séparation d'avec la famille et à la condamnation d'innocents à de lourdes peines". En effet, les parents sont nombreux à témoigner sur le site de l'association Adikia, comme Denise, dont le fils a été diagnostiqué à tort "bébé secoué" après une chute, ou Bella, innocentée lorsqu'un expert a enfin reconnu l'hydrocéphalie de son fils.

Les recommandations de la HAS concernant le diagnostic des bébés secoués maintenues

Le Conseil d'Etat a décidé de rejeter la demande de l'association Adikia. "Contrairement à ce qui est soutenu, la recommandation n'indique pas (…) qu'une chute de faible hauteur ne peut occasionner des symptômes similaires à ceux du syndrome du bébé secoué, mais relève que les lésions associées à une telle chute ne peuvent présenter les caractéristiques et la localisation des lésions associées à un secouement" justifie la haute juridiction française. Elle estime par ailleurs que la préconisation des experts de la Haute autorité de santé permettant de mieux diagnostiquer les cas de bébés secoués "ne peut être regardée, au regard des connaissances médicales avérées à la date de la présente décision, comme étant entachée d'erreur manifeste d'appréciation".