Barbara Butch, DJ et militante pour les droits des invisibles : "Mon objectif, c'est d'être Oprah Winfrey"

Pendant toute la durée du confinement, la DJ et militante Leslie Barbara Butch a enchanté les internautes avec des mix virtuels par écrans interposés. Elle relance l'expérience le 13 juin prochain, à l'occasion du Champs-Élysées Festival, organisé en ligne du 9 au 16 juin et accessible gratuitement.

Barbara Butch, DJ et militante pour les droits des invisibles : "Mon objectif, c'est d'être Oprah Winfrey"
© Barbara Butch

Difficile de définir Leslie Barbara Butch en quelques mots : DJ avant tout, militante LGBTQ chevronnée, "gouine" et "grosse" assumée, selon ses mots…. Fière de tout ce qu'elle devenue, cette artiste de 38 ans se bat avec humour et tendresse contre tous ceux qui ne la trouveraient pas à sa place. Beaucoup l'ont découverte grâce à ses mix audacieux, mêlant Diam's et France Gall à l'électro, le plus souvent sur les toits de Paris. D'autres (comme nous) ont entendu son coup de gueule, en février dernier, alors que la Une de Télérama, dans laquelle elle posait topless, avait simplement été censurée d'Instagram. Mais les internautes ont su ressusciter Barbara Butch, désormais à la tête d'une armée de 26 000 followers, dont les mots d'ordre sont "amour" et "partage".

À l'occasion de sa participation au Champ-Élysées Festival, Leslie Barbara Butch nous a laissé entrer dans son univers anticonformiste, composé de musique, de tolérance et de patience...

Barbara Butch, comment allez-vous ? Comment vous avez vécu cette période de confinement ?
Barbara Butch :
En ce moment, je suis dans le sud avec ma petite amie. Ça fait du bien après 11 semaines à Paris. Depuis le début du confinement, j'ai fait des sets virtuels. C'était une manière de lâcher prise pendant cette période très anxiogène. J'ai fait ça le samedi soir, le moment détente de la semaine où on sort les paillettes, les gens peuvent se coucher tard et on danse tous ensemble. Et on continue même après parce que les établissements de nuit n'ont pas repris leur activité. 

Le 13 juin, j'organise la treizième soirée "L'appart chez moi" pour le Champs Élysées festival. On sera avec mes amis dans l'appart où l'on s'est réuni pendant le confinement. Et pour cette occasion, j'ai décidé de faire un set avec des musiques de films seulement.

Quelle est votre routine avant de " monter sur scène " ou commencer un DJ Set depuis chez vous ?
Barbara Butch :
J'ai vraiment un trac monstre avant de mixer, que ce soit quand je mixe de manière virtuelle, ou devant 5 000 personnes. J'ai vraiment envie que les gens s'amusent donc je me mets une petite pression. En général, je pose du sel de l'Himalaya à côté de mes ordis. Puis,je fais une petite méditation et des exercices de respiration avant de commencer. 

Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans cet exercice ?
Barbara Butch :
L'exercice virtuel est compliqué parce que je ne vois pas bien le public. Il y a beaucoup d'écrans et ça va très vite. Et je n'entends pas les gens crier et chanter comme dans une salle. Mais j'adore le challenge. Ce qui me plaît le plus, c'est de voir les gens s'unir et créer un espace de bienveillance et d'amour autour de la musique. 

"On me demande toujours : 'Il n'y a pas un moment où tu as envie de te poser, faire des enfants ?'"

Quelles ont été vos armes au moment où il a fallu s'imposer dans le monde de la nuit ?
Barbara Butch :
Ça a été long. Quand on est une femme, c'est déjà dur de s'imposer dans la société. Ça l'est encore plus dans le milieu de la nuit, qui est encore largement dominé par les hommes. On me demande toujours 'Il n'y a pas un moment où tu as envie de te poser, faire des enfants ?', alors qu'un homme peut continuer à mixer, et on ne va jamais lui demander s'il veut fonder une famille. Pour briser ces injonctions, je me suis servie de mon corps comme un objet militant, et je suis sortie des sentiers battus. On attend souvent d'un DJ qu'il soit cantonné dans un style particulier. Moi j'ai décidé de briser tous les codes.

Pendant vos DJ Sets, vous écrivez des mots sur votre corps, principalement des insultes. Qu'est-ce que cela apporte à votre performance ?
Barbara Butch :
Grâce à ça, je me réapproprie les insultes dont j'ai toujours été victime. Ces insultes font partie de mon identité, et j'en suis fière. Oui je suis gouine, oui je suis grosse, oui je suis une salope et etc. Je reprends le contrôle sur la manière dont on me catégorise. Si je ne l'écris pas, les gens vont le dire. Je me réapproprie ces stigmates à mon avantage. 

© Leslie Barbara Butch

Vous jouez de la nudité et de la sensualité sur les réseaux sociaux. D'où vous vient cette assurance ?
Barbara Butch :
Je ne l'ai pas toujours eu. Moi aussi, j'ai subi l'injonction à la minceur, et on ne se réveille pas du jour au lendemain en ayant confiance en soi. J'ai pris conscience de mon corps et de son pouvoir en allant sur l'Île du Levant, qui est une île naturiste. Je me suis mise à poil et j'ai vu toutes ces personnes avec des corps différents, qui se regardaient avec bienveillance. J'ai pris du plaisir à être nue, et j'ai voulu montrer aux personnes grosses qu'on a le droit de montrer son gros ventre, ses grosses fesses, sa cellulite, qu'on a le droit d'être désirable, et qu'on fait partie de cette société.

Sur les réseaux sociaux, le fait de poser nue me permet de montrer qu'un corps nu est juste un corps, qu'il n'est pas forcément un appel à la sexualité.

Qu'est-ce que voudriez voir changer dans les mentalités ces prochains mois ? Ces prochaines années.
Barbara Butch :
Je voudrais qu'on développe un élan de solidarité. Je suis pour la convergence des luttes, et je voudrais qu'on apprenne à écouter l'autre, à lui donner la parole, à le regarder et à ce qu'on construise des choses ensemble. Et que l'on mette fin au patriarcat.

Le 11 février dernier, vous avez fait la Une de Télérama contre la grossophobie, et vous vous êtes rendu compte que les photos de cette Une avait été censurée sur les réseaux sociaux. À ce moment-là, vous avez lancé le #Barbarabutchchallenge, et des internautes ont commencé à poser avec la Une dans les mains...
Barbara Butch :
Il fallait faire rentrer le loup dans la bergerie, et Télérama a été mon loup. Ça faisait deux ans que je n'arrêtais pas de dénoncer le manque de visibilité sur les réseaux sociaux. Après avoir posté la photo de Télérama, mon compte a été désactivé. Ça a été incroyable de voir les médias en parler et voir les internautes reprendre le #BarbaraButchChallenge. Cet événement a mis en avant la grossophobie, mais aussi les défauts des réseaux sociaux. Grâce à ça, j'ai pu discuter avec les gérants d'Instagram, et on a fait sauter cet algorithme défectueux qui censurait les photos en fonction de la quantité de peau dessus.

Maintenant, il y a le problème de la loi Avia qui est censée protéger les internautes du cyberharcèlement. À cause de cette loi, les comptes de personnes LGBTQ qui se réapproprient les hashtags #pédé ou #gouines, sautent automatiquement. Idem pour des comptes féministes qui utilisent des hashtags. Je pense que c'est parce que les modérateurs ne sont pas formés. C'est un sujet sur lequel je suis en train de travailler avec Instagram. 

"Mon objectif, c'est d'être Oprah Winfrey !"

Et qu'est-ce qui a changé depuis ce moment ?
Barbara Butch :
J'ai gagné 12 000 followers pendant le confinement, grâce à mes lives, et 10 000 avec Télérama. Mais le gros changement a été d'accepter d'être visible. Prendre la parole et répondre à des interviews, a été nouveau et je me suis découvert une passion pour les talk-shows. Mon nouvel objectif, c'est d'être Oprah Winfrey.

Vous avez l'air d'être une vraie pile électrique. Est-ce que vous vous reposez de temps en temps ?

Barbara Butch : En vérité, je ne suis pas vraiment une pile électrique. J'adore être seule et ne rien faire. Pendant le confinement, je me suis dit que la solitude devait être dure pour certaines personnes. Donc j'ai décidé de m'investir pour divertir ces gens. À la fin du confinement, j'ai culpabilisé de ne plus rien faire, mais j'ai décidé de lever le pied et de me consacrer à ma vie amoureuse.

Retrouvez Leslie Barbara Butch au Champs-Élysées Festival pour un DJ Set live le 13 juin à 20h30.

© Champs-Élysées Festival - Leslie Barbara Butch