Fashion week automne-hiver 2017-2018 : en mode politique

Pour l'automne-hiver 2017-2018, les must-haves sont des t-shirts à slogan, les bonnets font des clins d'œil à Trump et le bandana est un accessoire militant. Féminisme, paix et défilés, retour sur une fashion week où la mode a levé le poing.

Fashion week automne-hiver 2017-2018 : en mode politique
© Imaxtree.com

Outre les irréductibles Vivienne Westwood ou Agnès b, la mode a, ces dernières années, paisiblement laissé de côté son esprit engagé en faveur de sa course au profit. Davantage industrie rangée que forme d'art militant, les défilés subissaient le plus souvent des happenings, sans en être à l'origine. On se souvient notamment des irruptions des Femen ou du mannequin chouchou de Rick Owens débarqué sur le podium avec la pancarte "Please kill Angela Merkel not" en juin 2015. Printemps-été 2015, Chanel haute couture, Karl Lagerfeld met les pieds dans le plat avec une fausse manifestation dans l'esprit du cliché du Français revendicateur. Sur le podium, les slogans féministes "He for she", "History is her story" côtoyaient les bien plus légers "Fashion for all" et "Be different" pour un effet surtout pas sérieux. En 2016, la création semble sortir de la pantomime et passer à l'action avec ses moyens. Mais quelle mouche l'a piquée ?

"We should all be feminists"

30 septembre, 14h30, la mode, et par extension le monde, est invitée à découvrir les premiers pas de Maria Grazia Chiuri chez Christian Dior. Personne ne le sait encore, mais la première femme à la tête de la maison légendaire entend faire bon usage de sa position. Les silhouettes se succèdent et une pièce particulièrement expressive fait son entrée. C'est un simple t-shirt blanc, mais sur lequel s'inscrit en lettres majuscules le message suivant : "We should all be feminists". Avec cette it-pièce engagée adulée par les stars qui cite l'écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie, Maria Grazia Chiuri réintroduit le politique prêt-à-porter, cartonne d'un point de vue commercial et ouvre la voie à ce qui sera, la saison d'après, un déferlement militant sur podium. 

Les "Pussy hat" de Missoni , évoquant la marche pour les femmes au lendemain de l'élection de Trump aux Etats-Unis © Imaxtree.com

Le féminisme, nouvelle fashion victime ? La cause, avec laquelle la mode entretient des relations fluctuantes, entre diktats et sexisme et outil de libération de la femme, surgit alors comme une urgence absolue sur les catwalks. Outre-Atlantique, négligées, abîmées, humiliées, les femmes ont été mises à mal dans la campagne présidentielle de Donald Trump, qui s'est soldée par son élection. Une victoire que le gotha a eu du mal à supporter. Confère le soulèvement qu'a engendré la question de la garde-robe de la première dame Melania Trump. Réaction presque immédiate lors de la fashion week de février, Donatella Versace couvre ses mannequins de mantras puissants "Love", "strenght", Julie de Libran salue chez Sonia Rykiel avec un pull "Les nanas au pouvoir", Missoni fait un clin d'œil à la Women's March avec un Pussy hat porté au final. Parallèlement, les podiums passent à l'action. New York voit un nombre record de mannequins grande taille défiler et le premier mannequin voilé marche pour Kanye West. Des actes forts symboliquement mais également des coups d'éclats dont sont friands les médias et réseaux sociaux. Retournement de veste ou opportunisme marketing ?

#visibilité

Guerres, attentats, année présidentielle en France et aux Etats-Unis, la mode est perméable à une forte actualité. Outre le féminisme, frustrations et rébellion infusent les shows automne-hiver 2017-2018. Business of Fashion, site référence dans le milieu, a débuté les hostilités du mois des fashion weeks en lançant #tiedtogether, un mouvement pour l'égalité, l'unité et l'inclusion, symbolisé par un bandana blanc. Le message, sincère, universel et à but non lucratif (les bénéfices du foulard sont reversés aux associations américaines ACLU et UNHCR), touche ce milieu international et ouvert en plein cœur. Porté fièrement par le gotha, des designers aux mannequins, sur les podiums comme en front row et même repris par H&M Studio, l'idée est un succès médiatique. C'est aussi le cas de l'initiative de W Magazine "I Am an Immigrant" qui regroupe les témoignages de 81 personnalités de la mode immigrées aux Etats-Unis contre l'initiative de Trump de bannir les migrants de certains pays musulmans. Clé dans la propagation d'un message, la visibilité l'est aussi dans le succès commercial d'une collection. C'est pourquoi il est difficile, voire inutile de distinguer les deux intentions. Sublime exemple, Prabal Gurung, a ouvert le bal lors de la fashion week new-yorkaise avec des t-shirts "We will not be silenced" et "I'm an immigrant". Portée et relayée par une armée d'influenceurs étrangers, la collection de t-shirts n'en est pas moins cohérente de la part de cet Américain d'adoption, touché par les mesures xénophobes du président Trump. Bien souvent, entre pièces taillées pour le succès et réel engagement, la frontière reste floue. 

Une mode prête-à-penser

Après avoir pris position sur les réseaux sociaux, les créateurs ont couché leur engagement sur tissu de la manière la plus crue. Mais, preuve que le contexte a infusé leur sensibilité créative, d'autres vont au-delà de l'exercice facile –et très lucratif- du t-shirt militant. Les étoffes, les coupes, se mettent à traduire l'humeur fébrile. Les vêtements véhiculent un message de paix chez Alexis Mabille sous forme de colombe et de brin d'olivier. Maria Grazia poursuit son combat chez Dior en faisant défiler une armée de bérets noirs résistants. Plus généralement, la tendance est à l'"empowerment", l'individualité est célébrée dans l'asymétrie, le féminin se renforce grâce aux vestes aux larges épaules et joue un jeu sérieux avec les étoffes empruntées au vestiaire masculin. En backstage, on ne compte plus les créateurs à citer, comme Jeremy Scott, les "temps difficiles", pour justifier, aux antipodes, un immense besoin de fantaisie. Sans parler des idéalistes pudiques comme Karl Lagerfeld, qui ferme la fashion week avec Chanel, et, sans jamais s'impliquer, propose simplement de viser la Lune (ou de quitter cette planète). Une mode prête-à-penser pour l'hiver prochain. 

La paix ! Demande Alexis Mabille © Imaxtree.com