Ces enfants devenus confidents de leurs parents

Avec leurs qualités d'empathie et leur intuition, les enfants doués sont très tôt d'excellents interlocuteurs, leur maturité d'esprit fait qu'ils ne s'étonnent pas si l'un de leurs parents commence à s'épancher sur ses sentiments d'adulte et à le prendre à témoin de l'inconfort de sa situation.

Ces enfants devenus confidents de leurs parents
© jackf

Il peut même dévider tous ses griefs, assuré d'être compris, sans songer un instant qu'il parle du père ou de la mère de celui qui l'écoute, comme s'il cherchait à le mettre dans son camp, donc opposé à l'autre parent. C'est alors une situation intenable pour cet enfant qui finit par ne plus savoir ce qu'on attend de lui. Il y a, bien entendu, des cas extrêmes où le parent défaillant l'est vraiment, l'enfant n'a pas besoin qu'on lui explique l'abomination de la situation, il la vit lui-même au quotidien, il apprécie d'être compris et de voir ses sentiments partagés, même s'il entend raconter des faits qu'il aurait préféré ignorer.

Ces cas extrêmes, qui se terminent généralement assez mal et parfois de façon réellement dramatique, sont plus souvent évoqués, justement à cause de leur aspect impressionnant, même pour ceux que leur fonction habitue à des situations effrayantes. La société prend d'ailleurs le relai pour tenter de mettre de l'ordre dans un désordre qui dépasse les protagonistes, au grand soulagement des enfants qui ne se sentaient plus la force et le savoir-faire nécessaires pour faire face à ces catastrophes.

Le plus souvent, il s'agit de querelles d'apparence banales, en réalité très graves en profondeur, parce qu'elles révèlent une conception fondamentalement différente de l'existence, mais dont les conséquences sont moins bouleversantes : tout événement, même mineur et dérisoire, devient une cause d'affrontement comme si les protagonistes ne connaissaient que cette seule route pour régler une divergence d'opinion et le premier arbitre auquel ils s'adressent est leur enfant, toujours présent et qui n'ose se dérober. Il se pense chargé d'une mission, il se dit que la détresse qu'il perçoit bien chez ce parent dans la peine doit être apaisée et si on s'adresse à lui, c'est parce qu'il n'y a personne d'autre.

En fait, celui qui extériorise, parfois de façon un peu trop spectaculaire, sa contrariété ou sa colère, ne cherche pas de confident plus éloigné ou plus neutre, il va au plus proche, assuré d'être compris sans qu'il soit nécessaire d'être obligé de faire un exposé de toute la séquence. Cette situation est d'autant plus pénible pour le confident qu'il a le sentiment constant de trahir celui qui est ainsi critiqué : le défendre reviendrait à trahir en direct celui qui le prend pour confident, dans tous les cas, il occupe une position de traître, lui qui aime l'ordre, la justice et surtout l'harmonie.

"Personne ne se rend compte de l'immensité de cette charge"

Personne ne se rend compte de l'immensité de cette charge, on finit par trouver normal ce rôle qu'il ne devrait pas endosser dans une configuration familiale classique : les enfants ne doivent pas être concernés par les histoires des adultes, mais le pli a été pris et chacun est bloqué dans sa position.

Dans une fratrie, il y a le plus souvent un des enfants qui occupe cette place qu'on peut difficilement qualifier de " privilégiée " puisqu'elle lui impose un poids qu'il se croit longtemps obligé de supporter avec le sentiment que personne d'autre ne peut tenir un rôle qu'on n'a pas envie de lui disputer. Parfois même, il est jalousé par sa fratrie à cause de cette situation apparemment privilégiée d'interlocuteur préféré. Il n'a alors plus aucune position de repli : tout à la fois, traître, soi-disant préféré, confident horrifié à cause de la transgression qu'on lui impose, contraint de se maintenir dans une neutralité en réalité impossible à conserver, il ne trouve de repos nulle part.

Il faut parfois attendre l'adolescence pour que le confident s'insurge, mais il doit être plutôt rebelle de nature et avoir un caractère bien dessiné pour oser se révolter contre cette situation nocive qui le met en porte-à-faux vis-à-vis de chacun de ses deux parents.
S'il n'a pas le cœur de faire cesser ces plaintes interminablement ressassées, pour ne pas faire souffrir davantage, celui a le sentiment de connaître un peu de répit en se confiant sans retenue, il doit trouver par lui-même une position où il peut se ménager. Trop sensible et sans défense, il subirait cet éternel bombardement sans avoir le temps de se reprendre.

Les enfants doués, qui occupent d'ailleurs cette place à cause de leur qualité d'écoute, sont contraints de rechercher par leurs seuls moyens des stratégies de défense : ils mettent à distance ces confidences gênantes comme si elles ne concernaient pas ses parents, ils laissent s'écouler le flot libérateur en opérant un infime glissement des protagonistes : il ne s'agit plus vraiment de leurs parents, mais de personnages qui leur ressemblent par bien des aspects, tout en restant un peu abstraits, comme dans une comédie ou un roman où les protagonistes paraissent réels, avec de subtiles différences qui indiquent bien qu'il s'agit d'une fiction. C'est alors qu'il peut conserver un calme inébranlable en entendant des récriminations et des plaintes peu à peu vidées de leur signification.

Ce mécanisme de défense est si bien installé qu'il imagine que ce rôle lui est assigné à vie : adulte, il faut parfois que ce soit son conjoint qui, entendant ces discours plaintifs, s'étonne de cette situation en se demandant comment il la supporte. Expliquer qu'il s'agit d'un autre circuit, spécifique et uniquement consacré à cet échange, est certainement délicat pour quelqu'un qui ignore tout de ce genre de situation. Le confident à vie risque de donner de lui une image faussée, alors qu'il s'agit d'un système de défense indispensable, sans aucun rapport avec sa personnalité véritable. On se doute bien qu'un plongeur n'offre pas toujours cet aspect lisse, noir et luisant, aux pieds disproportionnés : sans sa combinaison, il ressemble à tout le monde.

C'était un moyen de préserver sa sensibilité en la ménageant pour ne pas être éternellement écorché, avec, en outre, un sentiment d'impuissance dont il est impératif de se défendre. Il en va de l'image de soi. Une des conséquences pourrait laisser penser qu'il s'agit d'une vocation : " toute ma vie j'ai été le réceptacle des chagrins et des contrariétés de mon entourage, ce doit être ma mission sur terre, il me faut la remplir " et le confident s'engage dans une voie professionnelle qui l'enfermera dans ce rôle qui lui a été imposé, assuré d'être protégé par les défenses mises au point dans son enfance. En fait, il possédait de multiples dons qu'il laisse en jachère.

Conseils : même si la tentation est grande face à un enfant sensible, gentil et intuitif, on ne doit jamais lui donner un rôle de confident : il peut pourtant parfois paraître le choisir lui-même, pour alléger une souffrance qu'il perçoit et qu'il aimerait atténuer. Ses qualités propres doivent être utilisées pour la construction de sa personnalité, et non pour servir d'éternel réceptacle, évidemment compréhensif et à l'écoute, d'histoires où il ne peut pas, surtout pas, intervenir.