"Je suis professeure des écoles et je ne peux pas faire mon métier"

En France, plus de 24 000 professeurs sont en disponibilité. Un statut qui correspond à un congé sans solde. Certains d'entre eux ne l'ont pas choisi et se retrouvent aujourd'hui sans école, sans classe et sans élèves à qui enseigner. Caroline, professeure des écoles, est dans cette situation. Elle nous a confié son histoire et son désarroi.

"Je suis professeure des écoles et je ne peux pas faire mon métier"
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Depuis la rentrée de septembre, certaines écoles manquent encore d'enseignants, malgré le recrutement de près de 4 000 contractuels par le ministère de l'Éducation. Pourtant, de nombreux professeurs formés et en disponibilité, certains contre leur gré, n'attendent qu'une chose : pouvoir à nouveau enseigner à des élèves. Ils n'enseignent plus car ils n'ont pas obtenu leur mutation, faute de points. Caroline*, fait partie de ces professeurs "oubliés" comme ils se définissent. Depuis 2011, elle est professeure des écoles, rattachée à une académie francilienne, mais cette année elle n'a pas pu faire sa rentrée des classes. "Je suis actuellement en disponibilité de droit pour pouvoir suivre ma fille et mon conjoint qui sont installés à Lyon. Je n'ai pas pu bénéficier des fameux points pour faire ma demande de mutation parce que j'ai enseigné plusieurs années à l'étranger dans des écoles françaises et quand on n'est pas dans son académie de rattachement on n'obtient pas de points. J'ai pourtant servi la France et la fonction publique", nous explique-t-elle désarmée. 

Un système complexe qui met à bout

En France, le système d'attribution des mutations des personnels enseignants est assez complexe. Suivre son conjoint est pourtant un motif prioritaire de mutation, comme l'indique le site du ministère, mais sans avoir le nombre de points requis la demande est compromise. Sans mutation validée, Caroline ne peut pas non plus prétendre aux postes vacants. En tant qu'enseignante mise en disponibilité, toutes les portes des écoles publiques et privées sous contrat (soit 98% des écoles sur le territoire) lui sont fermées, alors que des besoins il y en a, même à Lyon. Elle ne peut pas faire non plus de remplacements. Face à cette situation, qui n'est pas un cas isolé, le ministère de l'Éducation nationale n'a pour l'heure pas de solution. 

Contacté le ministère de l'Éducation nous a expliqué que :"Cela résulte d'une jurisprudence du conseil d'Etat (CE 23.02.1966 et CE 13.11.1981) qui interdit le recrutement d'un fonctionnaire sur un poste de contractuel dans sa propre administration. Le ministère a établi des règles de mobilité très attachées à l'application du barème, vecteur d'égalité de traitement. En modifiant la réglementation, on introduirait une distorsion importante entre ceux qui attendent d'acquérir les points de barème et ceux qui bénéficieraient d'un recrutement."

"Je suis enseignante et je vis dans 28m2 avec ma famille"

La situation de Caroline et de sa famille est aujourd'hui critique. Caroline ne perçoit aucun salaire et ne touche aucune aide de l'État. "Cette situation met ma famille et moi en grande difficulté même financièrement. Je ne peux prétendre à rien, je n'ai pas le droit au RSA, ni au chômage. Je n'ai pas le droit non plus aux formations à l'APEC. Mon conjoint n'a pas un salaire mirobolant, il gagne 1 700 euros par mois. On a une petite fille de 2 ans et on vit dans des conditions ubuesques"avoue-t-elle avec beaucoup d'émotions.  

"C'est dingue ! Je suis enseignante depuis 11 ans et je me retrouve à vivre dans 28 mètres carrés, à ne pas pouvoir faire de demande de logement social car soi-disant on gagne trop."

Sur le plan psychologique aussi, l'impact est grand. "Je me sens démunie et complètement inutile. J'ai l'impression que tout ce que j'ai fait auparavant ne sert à rien. Que toutes les années que j'ai faites n'ont aucune valeur", déplore la jeune femme. Pour Caroline, la situation est même totalement absurde, notamment lorsqu'elle voit le recrutement de contractuels sur des postes à pourvoir. "J'aimerais bien pouvoir exercer mon travail, au lieu que ce soit des professeurs qui soient recrutés comme ça, de manière aléatoire avant la rentrée. Je trouve ça injuste et anormal que nous professeurs en disponibilité on ne soit pas prioritaire et qu'on ne fasse pas appel à nous."

Une problématique qui n'est pas nouvelle 

Cette problématique liée aux mutations touche plus d'enseignants qu'on ne le pense. En 2021, un peu plus de 24 000 professeurs étaient en disponibilité. Certains ont choisi ce statut à part entière, d'autres non. Les syndicats enseignants essaient depuis des années d'alerter les autorités sur ce problème. "Cette enseignante est loin d'être la seule. De nombreux enseignants n'obtiennent pas leur mutation par rapport au calibrage des besoins qui sont faits dans le premier ou second degré. Ce sont des calibrages effectués en fonction des besoins par territoire. Nous on demande justement à avoir une visibilité à plus long terme sur ces calibrages et ces besoins là. Or ils sont faits à chaque fois de façon annuelle et ils ne sont jamais communiqués", nous a détaillé Elisabeth Allain-Moreno, secrétaire nationale chargée du secteur "Carrière et qualité de vie au travail" au sein du syndicat Unsa. 

Dans sa situation, Caroline garde malgré tout espoir, même si aucun recours ne lui est permis. Elle compte déposer son dossier de mutation en début d'année prochaine pour tenter de faire évoluer sa situation. De son côté, Elisabeth Allain-Moreno du syndicat Unsa nous a annoncé que dans le cadre de la concertation sur l'attractivité et la revalorisation du métier d'enseignant, qui a eu lieu avec le ministre Pap Ndiaye et les syndicats en octobre dernier, que le sujet sur la mobilité géographique était l'un des leviers clés qui avait été défendu. Des évolutions pourraient avoir lieu, mais quand ? Caroline et les autres professeurs "oubliés" sont en attente.

*Le prénom a été modifié.