Témoignage : "J'aime mon fils mais je regrette d'être devenue mère"
Face au tabou du regret maternel, Astrid Hurault de Ligny a décidé de prendre la parole sur un compte Instagram et dans un livre. Elle a accepté de témoigner de son expérience et d'évoquer son combat pour libérer la parole.
Quand elle est devenue maman, Astrid Hurault de Ligny, comme toutes les femmes concernées par le sujet, n'imaginait pas qu'elle regretterait son choix. Pourtant, c'est ce qu'il s'est passé. Après sa prise de conscience, elle a décidé de créer le compte Instagram @le_regret_maternel pour parler de ce sujet méconnu, tabou, ignoré. Elle a aujourd'hui 19 000 followers et sort un livre, Le regret maternel – Quand le rôle de mère est trop lourd à porter (Éditions Larousse), pour parler de son expérience et contribuer un peu plus à la libération de la parole. Auprès du Journal des Femmes, elle fait un témoignage important.
"Avoir un enfant était mûrement réfléchi"
"Il fallait y réfléchir avant". Voici ce que l'on rétorque souvent aux femmes qui osent parler de leur regret d'être devenues mères. C'est l'une des idées préconçues qu'Astrid Hurault de Ligny veut déconstruire. "Avec mon mari, nous désirions avoir un enfant. Ce n'était pas un accident ou un problème de contraception, c'était un choix mûrement réfléchi, quelque chose qu'on désirait ardemment tous les deux. Quand j'ai su que j'étais enceinte, j'étais heureuse, mais aussi rassurée sur le fait que ni mon mari, ni moi n'avions de problème de fertilité", se souvient-elle. Sa grossesse se passe bien, son accouchement aussi. C'est après qu'elle a commencé à ressentir des difficultés. "Quand j'étais enceinte, j'étais bien, je l'ai bien vécu. J'ai eu quelques petits désagréments, comme des petites nausées, mais rien de grave ou de vraiment dérangeant. Les contraintes, comme ne pas manger certains aliments ou ne pas boire d'alcool, ne m'ont posé aucun problème. Tant que j'étais capable de bouger, de marcher, de continuer à faire un peu de sport avec l'accord de mon médecin, tout allait bien. J'étais bien préparée pour accoucher, j'étais bien entourée et tout s'est bien passé. Je n'ai eu aucune séquelle physique. C'est après, tout ce qui a découlé de ma maternité, comme la réalité d'un bébé 24h/24 et la solitude, qui est à l'origine de mon regret", nous raconte-t-elle.
Réaliser qu'on regrette d'être mère
Astrid Hurault de Ligny est française, mais elle est installée au Québec. De fait, elle a pu avoir un congé maternité d'un an. Pendant cette période, elle souffre d'une dépression post-partum, ressent que son anxiété s'est accentuée depuis qu'elle est devenue maman… Mais elle nous dit ne pas avoir réalisé tout de suite qu'elle était concernée par le regret maternel. Pas même quand elle voit une story publiée par Fiona Schmidt sur le compte Instagram @bordel.de.meres au sujet du livre d'Orna Donath, Le regret d'être mère. Pourtant, elle se surprend à faire une capture d'écran. "A l'époque, je souffrais encore d'une dépression post-partum, donc je ne pense pas m'être dit que c'était ce que je ressentais. Simplement, il y avait quelque chose qui m'intriguait suffisamment pour vouloir garder une trace." C'est un peu plus tard qu'elle comprend qu'elle aussi est concernée. "J'ai repris le travail en septembre 2019. La reprise m'a fait du bien, mais la Covid-19 est arrivée et j'ai perdu mon travail. Pendant le confinement, c'est cette impression de retourner en congé maternité forcé qui m'a vraiment fait sombrer. C'est là que j'ai réalisé que ça n'allait pas, que j'étais malheureuse. Que j'aimais mon fils mais que je n'aimais pas être mère. Entre être femme, être épouse, être mère et être travailleuse, j'avais trop de choses à gérer. Mais je ne pouvais pas arrêter d'être femme, je ne pouvais pas arrêter d'être une épouse car j'aime mon mari, je ne pouvais pas arrêter d'être mère car mon fils est là, et je l'aime. C'est mon travail que j'ai perdu, mais ce n'était pas ce que je voulais. Ça a été très difficile, le moment le plus dur depuis que je suis mère. J'ai réalisé que j'avais fait une erreur et que je me suis dit que, si j'avais su, je n'aurai pas eu d'enfant. C'était comme me prendre une grosse claque en pleine figure. Je tiens à le souligner, cela n'a rien à voir avec mon fils. C'est la prunelle de mes yeux, il me manque quand on n'est pas ensemble. Ce n'est clairement pas lui le problème, c'est le rôle de mère qui ne me convient pas. C'est moi le sujet de tout ça, ce n'est pas mon fils. Il n'a pas demandé à naître : il est là parce que je l'ai voulu, pas parce qu'il l'a choisi", témoigne-t-elle.
De l'importance d'être bien entourée
Quand on évoque le regret maternel, la première chose que la plupart des gens font, c'est juger. C'est pour cela qu'en parler avec l'entourage peut faire peur. Dans le cas d'Astrid Hurault de Ligny, ses proches ont su l'écouter : "Je n'ai pas souvenir de réactions spécifiques, c'est plutôt bon signe. J'en ai parlé pour la première fois à mon mari pendant le premier confinement, et à ce moment-là on se disputait, et c'est vraiment sorti tout seul. Je ne savais pas comment lui dire de façon posée. Je ne me rappelle pas sa réaction. Je pense qu'il ne s'attendait pas à ce que je lui dise cela, c'est même sûr. Il est tombé des nues, mais il n'a pas été virulent. Mon entourage, mes amis, autant les femmes que les hommes, ont été très bienveillants". Même si aborder le sujet peut être effrayant, elle encourage vivement la prise de parole : "La première chose à faire, c'est de trouver quelqu'un de confiance à qui parler, parce que garder ça pour soi n'aidera pas, voire ne fera qu'empirer les choses".
Regretter d'être mère, ce n'est pas regretter d'avoir eu un enfant
"Pauvre enfant", "Quelle mauvaise mère", "C'est une mère indigne", "Elle devrait avoir honte", "Elle n'aime pas son enfant"… Ces mots durs, on peut les lire sous chaque article qui parle du regret maternel, Astrid Hurault de Ligny en voit également sur son compte Instagram. Pourtant, regretter d'être mère, cela ne veut pas dire regretter que son enfant existe. "C'est important de faire la différence entre regretter d'être mère et regretter d'avoir eu des enfants. Le deuxième suggère que les enfants sont le problème. Pour ma part, je regrette le rôle de mère, ce que cela implique d'être mère : la charge mentale, l'inquiétude en permanence, les responsabilités, s'assurer que l'enfant va bien… Je ne dirais jamais à mon fils que j'aurais été mieux sans lui. Bien sûr que parfois je craque, mais comme tous les parents. Dans ces moments-là, je me rappelle que ce n'est pas de sa faute et qu'il me fait grandir aussi. D'une certaine façon, sans mon fils, je n'aurai pas avancé autant. Je n'aurai pas fait toutes ces démarches, je n'aurai pas fait de thérapie, je n'aurai pas appris de mes erreurs… Il y a plein de choses que je n'aurai pas faites sans lui. Je grandis grâce à lui. Donc, oui, le regret est bien là et, si c'était à refaire, je n'aurais pas d'enfant, mais maintenant qu'il est là, on ne peut pas revenir dans le temps, et il m'apporte énormément". De la même façon, de nombreuses mamans, tout comme l'autrice, qui sont concernées par le regret maternel aiment leur enfant. Ce qu'elles n'aiment pas, c'est la maternité. Et cette différence est très importante : "Il y a sûrement des mères qui n'aiment pas leur enfant. D'autres qui pensent ne pas l'aimer suffisamment, autant qu'elles l'avaient imaginé. A côté de ça, de nombreuses mères avec qui je parle vont dire qu'elles ne veulent pas parler de leur regret par peur qu'on leur enlève leur enfant. C'est une preuve d'amour !"
Quelles sont les causes du regret maternel ?
Quand on l'interroge sur les causes qui peuvent être à l'origine du regret maternel, elle nous explique qu'elles sont nombreuses et dépendent de chaque mère : "Cela peut être la charge mentale, tout ce qui touche à l'arrivée d'un enfant et la répartition des tâches dans le couple. Cela revient souvent dans les échanges que j'ai avec des mères. Ça peut être comment on a vécu notre propre enfance, notre relation avec nos parents. Certaines vont regretter la façon dont elles vivaient leur vie avant d'avoir un enfant. Il y a aussi le stress et le chamboulement de la maternité, etc..."
En parler pour soi, mais aussi pour les autres
"Quand j'ai créé mon compte Instagram, je voulais voir s'il y avait d'autres personnes qui ressentaient la même chose. Je le savais, dans le fond. C'était thérapeutique pour moi d'en parler, mais je voulais également que cela puisse aider d'autres personnes et qu'on se soutienne mutuellement", nous dit Astrid Hurault de Ligny. En parler était donc une façon de s'aider elle, mais aussi d'aider les autres. Pour elle, il est important de montrer la réalité des différentes façons de vivre la maternité : "J'aimerais, et je ne suis pas la seule à militer pour ça, qu'on arrête de sacraliser la maternité. Bien sûr, pour un grand nombre de femmes, ça se passe bien et les mères sont épanouies. Mais il y aussi beaucoup de personnes pour qui c'est bien plus dur qu'on ne le pense. Il faut qu'on arrête de dire que ce n'est que du bonheur : il y a des bons moments, mais il y a aussi des moments difficiles, notamment en post-partum. Personne ne peut savoir ce que c'est sans l'avoir expérimenté. On a beau en parler, c'est impossible de savoir comment chacune va le vivre. Il faut montrer que le regret maternel existe, qu'il faut écouter les femmes qui ont des choses à dire sur le sujet au lieu de les juger. Chaque expérience est unique, chaque ressenti est unique. C'est facile de dire "il fallait y penser avant", c'est facile de juger. Mais on ne sait pas que chacun vit. On a le droit de ne pas comprendre, d'être étonné, mais il ne faut pas pointer du doigt et parler à la place des autres. On doit se renseigner." Comme elle le répète si souvent sur son compte Instagram et dans son livre, il faut aussi souligner que le regret maternel n'est pas un choix : c'est un ressenti. Les femmes ne se lèvent pas un matin en se disant qu'elles vont regretter d'être mères. Au contraire, avoir ce sentiment entraîne souvent un grand désarroi, une tristesse, de la culpabilité et de la solitude. C'est pour cela qu'il est particulièrement important d'écouter les mamans et de les soutenir.
"Je veux dire aux mères qui ressentent du regret maternel qu'elles ne sont pas seules"
Quand on lui demande ce qu'elle souhaiterait dire aux femmes qui regrettent d'être mères, Astrid Hurault de Ligny répond tout de suite : "Je voudrais leur dire qu'elles ne sont pas seules. C'est très important, et c'est pour cela que j'ai mis en dédicace au début du livre qu'il s'adressait à toutes celles qui sont concernées. Il ne faut pas qu'elles hésitent à venir me parler si elles en ressentent le besoin et qu'elles ne savent pas vers qui se tourner. Elles peuvent aussi contacter l'association Maman Blues, qui saura les écouter et leur recommander un thérapeute bienveillant dans leur région. Je leur conseille de lire mon livre, aussi car cela pourra les aider, avec mon témoignage et l'avis d'une psychologue en périnatalité. J'y ai listé des ressources à la fin qui pourront les soutenir. Si elles peuvent consulter, je leur recommande de le faire car, sans ma thérapeute, je ne sais pas où je serais aujourd'hui. C'est vraiment très important de ne pas le garder pour soi et de sentir qu'il y a une écoute professionnelle. Si aujourd'hui je suis capable de ne pas culpabiliser de ressentir ça, c'est grâce à la thérapie, au compte Instagram, à l'écriture du livre, parce que mon fils grandit, que j'ai plus confiance en moi et parce que j'ai le soutien de mon mari. Avoir le soutien des proches aide énormément. Pouvoir en parler autour de soi permet de ne pas ruminer, ce qui ne fait qu'entretenir le mal-être et la culpabilité."