Anny Duperey : "J'ai trouvé mes parents morts dans la salle de bain à 8 ans et demi"

Anny Duperey : "J'ai trouvé mes parents morts dans la salle de bain à 8 ans et demi"

Anny Duperey a vécu deux traumatismes alors qu'elle n'était qu'une enfant : le décès tragique de ses parents, et la séparation avec sa soeur qui n'était âgée que de 5 mois. La comédienne et marraine de l'association SOS Villages d'Enfants nous raconte son histoire et l'importance de privilégier les fratries en cas de placement.

C'est dans sa maison verdoyante, en plein coeur de Paris, qu'Anny Duperey a eu l'amabilité de nous recevoir pour parler de son histoire, de ses engagements, et de sa famille. La comédienne, qui a fait les Beaux-Arts, aime passer du temps à peindre de belles toiles qui décorent joliment son intérieur, apportant de la couleur et de la gaieté à ses murs. Elle nous présente également ses trois chats, l'un d'entre eux appartient à sa petite-fille. Anny Duperey est en effet maman de Gaël et Sara, et 6 fois grand-mère (un 7e est en route). Si elle est aujourd'hui épanouie et heureuse, son enfance a pourtant été bouleversée par le décès tragique de ses parents, en novembre 1955. Décédés suite à un accident domestique, ils ont été retrouvés empoisonnés par du monoxyde de carbonne dans la salle de bains. En cause : un chauffe-eau à gaz défectueux et le manque de ventilation dans la pièce. "J'ai trouvé mes parents morts à l'âge de 8 ans et demi, ce qui est un deuil et en même temps un traumatisme. Puis, on m'a immédiatement séparée de ma soeur", alors âgée de 5 mois, nous confie-t-elle. A l'occasion de la journée internationale des Droits de l'enfant qui a lieu ce 20 novembre, la marraine de l'Association SOS Villages d'Enfants nous raconte comment elle est parvenue à surmonter cette douloureuse épreuve, et combien il est essentiel de laisser les enfants grandir ensemble.

Anny Duperey, séparée de sa soeur au décès de ses parents

L'actrice a été recueillie par sa grand-mère paternelle et élevée par sa tante, tandis que sa sœur Patricia grandit du côté de ses grands-parents maternels. "J'avais longtemps espéré avoir un petit frère ou une petite soeur, c'était quelque part "mon enfant attendu", à qui je donnais le biberon. Nous avons été séparées par la famille, mais je ne leur en veux pas : des deux côtés, chacun avait perdu un enfant (mes parents avaient environ 32 ans)", raconte-t-elle. Anny Duperey nous explique également qu'elle vient d'un milieu extrêmement modeste. "Prendre deux enfants ensemble aurait été une charge".

Durant leur enfance, les deux soeurs se voient très peu

"Au début, on ne se rendait pas vraiment compte, on me conduisait faire un câlin à ma petite soeur, et ça n'avait pas l'air de manquer... Seulement, on ne se connaissait pas. Finalement, on rêve de retrouver un jour sa petite soeur, qui allait de toute évidence devenir ma meilleure amie. La petite soeur quant à elle rêvait de retrouver un jour sa grande soeur, qui remplacerait papa et maman.... Personne ne s'est aperçu que se nouait une petite catastrophe", témoigne Anny Duperey. 

"J'ai été élevée par une femme admirable, ma soeur a eu moins de chance"

"J'ai eu beaucoup de chance, j'ai été élevée par une femme admirable", précise-t-elle. En effet, sa tante a su lui apporter ce dont elle avait besoin, sans pour autant tenter de "remplacer" sa mère. "Elle s'est tenue solide, à distance". Enfant, sa tante a arrêté l'école à 11 ans, et pour permettre à ses deux frères de poursuivre des études, a été contrainte de servir au bistrot avec sa maman. "Je pense que j'ai été sa revanche, elle était à l'affût de mes goûts, de mes dons... J'avais tout ce que je voulais dès que j'avais envie de lire ou peindre" nous précise Anny Duperey. A l'âge de 17 ans, elle décide de se rendre à Paris au conservatoire. "Ma soeur ne m'a plus vue (hormis pendant les vacances). Elle a également eu moins de chance : sa vie était moins joyeuse, elle a été sortie de l'école pour faire un CAP de vendeuse, et c'est là qu'elle a fugué pour me rejoindre à Paris". 

"A 22 ans, j'ai hérité d'une adolescente complètement paumée, qui n'attendait qu'une chose : que je remplace mon père et ma mère". A cette période, Anny Duperey fait tout ce qu'elle peut pour l'aider, lui donne les outils nécessaires pour la faire avancer, lui propose des orientations professionnelles ou de consulter un psy, mais rien n'y fait. "Le jour où je suis allée prendre rendez-vous pour elle et que je suis revenue, elle était partie, et je ne l'ai plus revue pendant trois ans, jusqu'à ce qu'elle revienne chez moi avec ses sacs..."

"Ma soeur est décédée il y a 12 ans, le coeur serré"

Patricia est décédée en 2009. "Quand elle était à l'hôpital, les médecins m'ont dit qu'elle avait "la moitié du coeur mort"... Pour Anny Duperey, sa soeur a toutes ces années vécu "le coeur serré". "Finalement, je crois que ma soeur ne s'en est jamais remise. Que ce serait-il passé si l'on avait été élevées ensemble ? Au moins, nous nous serions connues"

Devenir maman... sans modèle ni souvenir de sa propre mère

"C'est assez difficile de devenir maman, quand on n'a pas de souvenirs de sa propre mère, au début j'ai eu du mal". A l'époque, c'est son compagnon Bernard Gireaudeau qui a insisté pour avoir des enfants avec Anny Duperey. Dans un premier temps, elle ne souhaite pas renouer avec ses angoisses du passé. "Le danger de perte, l'abandon... Finalement, je me suis décidée et j'en suis très heureuse". "Au début, je regardais les autres mères, mais je les trouvais horriblement lourdes ! J'ai alors essayé d'être la mère la plus légère possible. Et puis, ayant vécu ce malheur, je me suis tout simplement dit "on a eu notre dose, il ne leur arrivera rien !" Anny décide alors de mettre ses angoisses de côté pour vivre une maternité sereine et bienveillante.

"Le Voile noir" : à la lecture de son livre, des lecteurs lui apprennent ce qu'il s'est passé

C'est lorsque son fils avait 9 ans, l'âge auquel la comédienne est devenue orpheline, qu'elle publie son livre Le Voile Noir, pour raconter son histoire, et ne pas "léguer un silence" à ses enfants. "J'ai été très surprise de l'impact énorme qu'a eu ce livre. Chaque semaine, je recevais des lettres de lecteurs, au total près de 1 300 courriers". Certains l'ont même aidée à mieux comprendre ce qu'il s'était passé ce jour-là. "Je pensais que m'étais rendormie, j'avais entendu mes parents respirer bizarrement, mais je ne pouvais pas bouger... Cinq médecins et anesthésistes m'ont alors appris, en lisant le texte dans lequel je décrivais précisément la scène, que j'avais moi-même été asphyxiée ce jour-là". Anny Duperey décide de leur répondre, et va plus loin : elle publie un nouvel ouvrage intitulé "Je vous écris" avec 100 lettres provenant de ses échanges. Aussi, à la lecture du chapitre "Lautre est semblable" dans lequel elle aborde la séparation avec sa soeur, l'association SOS Villages d'Enfant la contacte alors pour devenir marraine.

Anny Duperey, marraine de l'association SOS Villages d'Enfants depuis 1993

Son histoire et son témoignage permettent de prendre conscience de l'importance de réunir les frères et soeurs, et leur permettre de grandir ensemble, lorsque les parents sont dans l'incapacité de s'en occuper. Parfois maltraités ou orphelins, avec des parents défaillants, les enfants de l'association SOS Villages d'Enfants sont recueillis dans des maisons particulières, et élevés par une "mère SOS". "Les grands restent toujours le référent, le pilier de la famille. Si les parents représentent le toit envolé, et les frères et soeurs les murs de la maison, alors pourquoi abattre les murs en plus ?"

Jusqu'à présent, faute de places et de structures adaptées et disponibles, de nombreux frères et soeurs sont séparés lors de leur placement dans un foyer, ou une famille d'accueil. Dans le cadre du projet de loi relatif à la protection des enfants, adopté en juillet 2021 à l'Assemblée nationale, le gouvernement souhaite inscrire dans la loi l'interdiction de la séparation des fratries, excepté si cela va à l'encontre de l'intérêt supérieur de l'enfant. Cette proposition de loi sera débattue au Sénat au mois de décembre prochain.