"Cela fait 40 minutes qu'on essaie de la réanimer" : Morgane a perdu sa fille le jour de sa naissance

Après une grossesse tout à fait normale, Morgane ne s'attendait pas à perdre son enfant juste après lui avoir donné la vie. "Si elle était sortie plus tôt, elle aurait vécu"... La jeune maman nous raconte sa douloureuse histoire.

"Cela fait 40 minutes qu'on essaie de la réanimer" : Morgane a perdu sa fille le jour de sa naissance
© quicklyfy-123rf

Après une fausse couche en novembre 2018, Morgane retombe enceinte trois mois plus tard. La grossesse se passe à merveille,… Ce sera une petite fille ! Le jour du terme, son bébé n'est pas pressé de sortir, mais rien d'anormal pour les professionnels qui l'auscultent. Elle rentre chez elle, jusqu'aux premières contractions qui la réveillent dans la nuit vers 3h du matin. La jeune femme se rend à la clinique vers 8h où elle passe la journée à attendre qu'on la place en salle de travail vers 18h. Elle raconte : 

"Mon conjoint et moi tombons de fatigue. Avant d'être réveillés par la sirène du monitoring : la machine ne détecte plus les battements de cœur de mon bébé. Il est 1h40 du matin. Code rouge, je suis emmenée au bloc pour une césarienne. Lorsqu'Emma sort de mon ventre, on me dit : votre fille a les bronches encombrées, elle a du mal à reprendre toute seule, on va lui nettoyer. Je suis inquiète, mais je suis confiante, je me dis que c'est normal". Morgane est nettoyée, recousue, conduite en salle de réveil, mais n'a plus vraiment la notion du temps.

"Il est 4h du matin quand mon compagnon entre dans la salle et s'effondre en m'annonçant que nous avons perdu notre bébé. Je ne comprends pas de quoi il parle. Je suis fixée sur la version rassurante des médecins : "ils lui nettoient les bronches". Cinq médecins entrent dans la pièce, la mine déconfite et lui disent : "Cela fait 40 minutes qu'on essaye de réanimer votre fille, que souhaitez-vous que l'on fasse ?" Après avoir demandé à continuer, le médecin m'informe qu'ils ont décidé d'arrêter, que cela vaut mieux pour nous, qu'elle aurait été un "légume". À aucun moment, l'équipe ne prononce ces mots : "votre fille est décédée". 

"On me demande si je veux voir mon bébé"

La pédiatre l'amène dans un couffin. Je la prends dans mes bras, elle a l'air endormie. Tout de suite, on demande : "Peut-on la prendre en photo ?" Je suis face à mon enfant, que j'aurais pris en photo sans demander à personne en d'autres circonstances, et là, je ne sais plus ce que j'ai le droit de faire ou non. Ma fille a déjà la peau marbrée, je vois qu'elle n'est plus en vie. 

Personne ne me laisse le temps de digérer. Très vite, l'administratif prend le pas sur l'annonce. On me demande si je suis d'accord pour réaliser une autopsie, pour savoir de quoi elle est morte, pour être plus prudents avec le prochain bébé. Je viens de perdre mon nourrisson, et on me parle d'un prochain bébé, de pilule, de déclaration à la mairie pour la naissance ET la mort. Je suis abasourdie. Je signe une série de papiers dont je n'ai aucune idée du contenu, tant je suis sonnée. 

À ce moment-là, on ne me dit rien. Vais-je revoir mon bébé ? Chaque fois que je prononcerai ces mots pendant les deux jours qui suivent, un personnel médical ira chercher ma fille à la morgue et me l'apportera. Elle a été habillée par leurs soins, elle est dans un couffin comme les autres bébés, vêtue de sa turbulette, elle a l'air apaisée. À part le froid de sa peau, elle pourrait être vivante, elle est douce, c'est un beau bébé. À chaque fois que je la vois, je me force à me dire : non, elle ne dort pas. Pendant deux jours, on me l'apporte, je lui parle, ma famille lui parle, et elle repart à la morgue. Au bout de ces deux jours, elle part pour l'institut médico-légal afin d'être autopsiée. 

Durant encore 5 jours, j'ai droit à deux heures de visite quotidiennes, dans une sorte de salon funéraire. Je rentre de mon accouchement sans mon enfant, mais chaque jour, je me dis que je la vois le lendemain. Donc, elle est encore là. Ce n'est pas encore tout à fait réel. Je suis hors du temps. Chaque fois que je la vois dans ce salon mortuaire, dans son couffin, je me prends une claque, ça redevient réel. J'aimerais pouvoir la secouer, la réveiller. 

Pour moi, le moment redouté, et le plus difficile, a été le jour de l'enterrement. Je devais lui dire au revoir, c'était la dernière fois. L'infirmière qui venait me faire mes soins à domicile avait perdu un bébé, et m'a beaucoup aidée. Elle m'a dit de la prendre en photos autant de fois que je le souhaitais, je ne sais pas si je me le serais permis sans elle. Elle m'a donné des pistes : des choses à lui dire, lui faire écouter de la musique, et la déposer moi-même dans le cercueil, pour que mes bras soient les derniers qu'elle ait connus. Ce que j'ai fait. Puis, je suis rentrée chez moi, avec mon ventre vide, la chambre de mon bébé vide, et ma maison vide. Les gens qui t'ont soutenue doivent retourner travailler. Y compris ton conjoint, qui n'a que ses jours légaux de congé paternité. À ce moment-là, tu réalises. 

"Un mois plus tard, pour mon suivi,  j'attends dans une salle pleine de femmes enceintes et de bébés. C'est insupportable."

Lorsqu'on est enceinte, on est déjà une famille. Mais le jour où l'on accouche, et que notre enfant meurt, on n'est tout à coup plus rien, on n'a plus de statut. La société nie notre parentalité. On nous prépare à accoucher, mais à aucun moment on ne nous parle de tous ces risques qui continuent d'exister, au-delà du troisième mois où la fausse couche effraie. Être parent en France aujourd'hui, c'est faire pipi sur un test de grossesse et donner naissance à un bébé tout rose en pleine santé. On ne parle pas des zones grises. 

Un mois plus tard, je retourne là où j'ai eu (et perdu) mon bébé, pour mon suivi d'accouchement. Et j'attends dans une salle pleine de femmes enceintes et de nouveau-nés. C'est insupportable. Et je culpabilise de trouver ça insupportable, de ne pas me réjouir pour elles. Petit à petit, j'ai rempli mon quotidien de rendez-vous, pour comprendre, pour m'apaiser, pour retrouver la vie. Celle que j'étais censée donner ce 5 novembre 2019 et qui m'a été dérobée au même moment. 

Après l'autopsie, nous avons appris que notre fille était morte d'asphyxie au moment de l'accouchement, ce qui a créé des hémorragies dans ses bronches. Si elle était sortie plus tôt, elle aurait vécu. Il faut se défaire de la culpabilité que l'on ressent face à une telle information, retrouver confiance. J'ai intégré des groupes de discussions d'autres "paranges" comme on nous appelle. J'ai rencontré des gens dans ma situation, qui m'ont répondu quand j'en avais besoin. J'ai fait face à des phrases douloureuses. J'ai eu le plaisir de montrer des images de ma fille à ceux qui ne niaient pas son existence et qui voulaient la voir. Et je me suis doucement décidée à faire un autre enfant. Pas un enfant qui remplace ma fille. Un petit frère, ou une petite sœur. L'idée d'avoir un autre enfant m'a maintenue en vie. J'ai trouvé le bon gynécologue pour m'accompagner vers cette seconde grossesse. Il m'a tout de suite rassurée : cette fois-ci, j'accoucherai en amont du terme, par césarienne, programmée en avance.