Un sentiment profond de solitude affecte les enfants doués

Il est courant d'évoquer les difficultés rencontrées par les enfants doués pour nouer de véritables liens amicaux et, plus tard, les personnes douées ont du mal à se situer par rapport à un sentiment de solitude qui les tourmente et qu'elles ne savent comment gérer. Elles souffrent de cette solitude parfois imposée, mais elles ont aussi besoin de moments qui leur appartiennent réellement, où elles se sentent véritablement elles-mêmes sans qu'ils soient péniblement volés à une existence trop remplie.

Un sentiment profond de solitude affecte les enfants doués
© Nadezhda Prokudina-123RF

On pourrait alors penser que les enfants doués, qui aiment tant rêver et voguer en imagination dans de gaies contrées qu'ils peuplent à leur gré, apprécient cette solitude en ce sens qu'ils n'aiment pas être constamment sollicités par toutes sortes d'événements, le plus souvent dépourvus de tout intérêt, qui les distraient et troublent le cours de leurs pensées.

Si cette solitude semble parfois pesante, malgré l'ineffable liberté qu'elle permet, ce serait parce qu'elle est créé par l'incompréhension de ceux qui devraient comprendre le mode de pensée d'un enfant doué. S'il a le sentiment qu'on le considère avec un peu d'incertitude, voire d'inquiétude, il ne peut plus s'évader en pensée, heureux et détendu, puisque cette échappée ne sera pas comprise comme une petite récréation au milieu de tant de contraintes, mais comme un signe de malaise, d'ennui profond, de désadaptation.

Cette interprétation faussée rend plus aiguë et presque douloureuse la sensation d'une solitude irrémédiable et profonde, elle serait intérieure, il ne pourrait jamais partager avec quiconque les pensées, les émotions, les sentiments qui l'animent quand il se plaît à plonger dans un univers plus chaleureux parce qu'il est sûr qu'ils ne seront pas compris. L'étonnement qu'il suscitera signifiera bien qu'il est voué à une certaine solitude, pourtant indispensable à sa vie intérieure. Y renoncer serait s'amputer d'une partie essentielle de sa personnalité, il faut alors accepter de mener une vie dont une partie devra rester secrète, parce qu'elle échappe à l'entendement de l'entourage. Il est impensable de se priver de ces moments privilégiés, ce sont eux qui permettent à sa personnalité de se construire pierre par pierre au fil des lectures, des dessins, des rêveries et même parfois de quelques écrits où sa pensée propre peut davantage prendre forme. Cette solitude-là est source de bien des joies, mais elle porte aussi en elle le germe d'une solitude désespérée puisqu'elle ne sera jamais comprise dans toutes ses dimensions par l'entourage qui s'appliquera même, au contraire, à distraire l'enfant de cet isolement qui l'inquiète.

Il s'étonne d'ailleurs d'être le seul à ressentir ce besoin au point de souffrir s'il n'est pas satisfait, il lui semble que tout être humain a besoin d'un espace, même extrêmement réduit, où il peut se retrouver sans devoir se plier à des obligations, ni satisfaire à des exigences sans intérêt. Le partager demande de sa part quantité de compromis, de sacrifices, de renoncements, toute démarche dont on peut espérer qu'elle forgera son caractère puisqu'il lui a fallu accepter des contraintes et des frustrations. Convenablement dosées, en effet, elles forgent le caractère en lui apprenant à s'adapter plus rapidement à des situations inhabituelles : il a bien fallu accepter les maladresses d'un cadet ou le sentiment d'irrémédiable supériorité d'un aîné. D'anciennes études démontraient que les aînés avaient un niveau intellectuel statistiquement plus élevé que leurs cadets, à la mesure des sacrifices qu'ils avaient dû accepter. La solitude, devenue plus rare, était alors d'autant plus douce et appréciable, elle offrait un goût inimitable, celui d'une liberté dont le manque avait été bien plus douloureux qu'on ne le croyait.

En revanche, elle devient absolument insupportable lorsqu'elle est imposée et qu'il n'y a plus le choix, parce que les autres enfants se détournent de celui qui ne leur ressemble pas complètement.

Parfois, pour ne pas aggraver cette situation, d'autant plus pénible qu'elle inquiète de plus en plus ses parents démunis, l'enfant doué se force à ressembler aux autres, il déforme son langage, il fait semblant, il se contraint globalement en adoptant l'état d'esprit d'un individu que les circonstances obligent à porter un costume qui ne lui va pas du tout, qui le serre et l'empêche de respirer, mais il n'a pas le choix.

L'impression de solitude, cette fois la pire qui soit, devient plus forte encore : il semblerait que l'effort démesuré pour éviter de se différencier ne tarde pas à épuiser celui qui s'est lancé dans une démarche qu'il pensait anodine : on se déguise, puis, de retour chez soi, on reprend ses habitudes et tout va bien. Au dehors, celui qui a fourni le costume, parce que c'était son devoir, est content, il a bien aidé cet enfant en le réprimandant pour chaque manifestation d'une personnalité trop affirmée pour son âge, donc fausse et empruntée ou copiée, il a réussi à modeler un enfant appliqué, zélé et nettement moins remuant qu'au début de l'année.

L'enfant doué s'est appliqué à refouler au plus loin ce sentiment de solitude qui le rongeait, l'inquiétait, lui faisait même peur. Si on lui demande s'il fait des cauchemars, il répond, comme tous les enfants, qu'il en faisait " avant ", quand il était plus jeune, et que maintenant c'est fini. Il préfère ne pas prêter l'oreille aux murmures qui lui rappellent combien il est agréable de laisser son imagination se promener dans des pays imaginaires, d'évoquer des héros fantastiques et de vivre des aventures étourdissantes, mais sans pouvoir en parler à personne, pour éviter de voir une lueur de perplexité dans l'œil de son interlocuteur. Même dans une rédaction, il est plus prudent de ne pas se laisser aller : soit on pensera qu'il n'est pas l'auteur de la rédaction, soit on le regardera en se demandant où a-t-il bien pu trouver ces idées, quelles sont ses lectures et qui sont ses amis en dehors de l'école.

Cette fois la solitude serait celle de l'écrivain s'adressant à un public qui ne s'attend pas à ce genre de littérature : il s'apprêtait à entendre une douce mélodie évoquant la forêt en automne et il est pris dans la tourmente d'une bataille dans un lointain astéroïde entre individus plus ou moins humains. Il apparaît bien que, plus que jamais, les enfants doués ont besoin de se retrouver entre eux : alors, la bataille deviendra une épopée en douze chants et les auteurs en seront enchantés.

Conclusions : il est préférable de ne pas s'étonner du besoin de solitude d'un enfant doué, il est même souhaitable de lui ménager des moments où il pourra laisser son esprit vagabonder sans contrainte et sans avoir besoin de se justifier. On peut comprendre aussi qu'il n'a pas obligatoirement envie de jouer avec certains enfants : il doit alors fournir un effort considérable pour paraître s'amuserDans tous les cas, tenter de trouver des enfants qui lui ressemblent, ne serait-ce que de temps à autre, si les conditions de ces rencontres sont difficiles.