L'enfant doué a besoin de se sentir compris

En dehors des parents, ceux à qui ils sont confiés ont choisi de s'occuper d'enfants parce qu'ils pensaient pouvoir leur apporter quelque chose : les instruire, les divertir, les accompagner ou les éveiller à leur propre créativité. Ils désirent aussi parfois leur faire partager leur passion, en souhaitant trouver un écho chez certains qui seront alors, plus que des élèves, des disciples assurant peut-être plus tard la relève.

L'enfant doué a besoin de se sentir compris
© Gergely Zsolnai-123rf

Une telle harmonie dans la transmission des connaissances et dans l’accompagnement de l’avancée dans la vie ne peut que ravir les enfants doués. C’est exactement ce qu’ils attendent des grandes personnes qui les entourent. Ils savent bien que leurs parents ne peuvent pas tout leur apporter. Il leur a fallu un peu de temps pour admettre que ces parents, si savants soient-ils, étaient complètement ignorants dans certains domaines. Ils étaient obligés de renvoyer leur enfant à une encyclopédie ou bien ils l'accompagnaient dans ses recherches sur Internet. Ils lui ont aussi précisé qu’il y avait des spécialistes dans chaque domaine et que c’est à eux qu’il fallait s’adresser. Ils allaient rechercher des lieux où on les guiderait dans leur exploration du domaine qui les attirait ou dans l’exercice d’une activité, parfois au prix de nombreux kilomètres pour ceux qui habitent loin des villes. Ces merveilleux arrangements ne fonctionnent pas toujours comme on s’y attendrait.

Déjà à l’école, où il faut passer la plus grande partie de la journée, certaines années sont difficiles. Certes, la maîtresse est "gentille", attentive aux progrès des enfants, mais elle ne s’occupe pas particulièrement de celui qui est si calme et discret. C’est un bon élève, il n’y a rien de plus à en dire. D’ailleurs, elle se montre extrêmement surprise si on suggère un saut de classe. D’elle-même, elle n’y aurait jamais songé. On voit bien que cette gentille maîtresse n’a pas du tout perçu la spécificité de son élève doué ; elle ne connaît peut-être même pas cette particularité et, si elle en a entendu parler, elle imagine plutôt l’enfant spectaculaire multipliant de tête des nombres insensés avec l’aisance d’une machine. Son élève serait plutôt distrait, le résultat de ses opérations souvent fantaisistes. Il ne fait pas partie des enfants doués et ne demande pas une attention particulière. L’enfant doué ressent parfaitement qu’elle ne saisit pas sa nature profonde, même s’il ne peut pas l’exprimer clairement. Il va se contenter de répéter qu’elle est gentille, puisque tout le monde le dit, y compris ses parents, et qu’il est plus sage et prudent de rester conforme aux idées admises par le plus grand nombre. Il risque alors, plus que jamais, de s’affliger intérieurement à l’idée que même les personnes gentilles ne le comprennent pas véritablement.

Cette idée reste un peu confuse dans son esprit : ses parents le comprennent, pas toujours d’ailleurs, surtout quand les notions d’éducation qu’ils tiennent à appliquer troublent parfois les relations. Leur enfant admet leur point de vue, mais il n’a pas envie de reconnaître le bien fondé de décisions contrariant ses désirs, pourtant tellement légitimes, surtout au moment où il les exprime ! En dehors de ses parents, de quelques membres de la famille proche et de quelques amis de ses parents, il se retrouve dans cette même situation de flou, face à des personnes gentilles et bienveillantes dont il se demande souvent si elles ne s’adressent pas à quelqu’un d’autre quand elles lui parlent.

Il arrive qu’il sombre dans un abattement nocif et destructeur quand il commence à croire qu’il ne connaîtra que quelques embellies et uniquement avec des proches : il restera alors à jamais étranger au monde et à ses divertissements, quand des personnes gentilles se regroupent pour s’amuser. Lorsqu’il est plongé dans ce marasme, discret puisqu’il ne veut pas inquiéter ses parents à propos d’une situation sur laquelle ils n’ont aucun pouvoir, il se pense condamné à garder éternellement pour lui ses idées à propos de sujets, parfois insignifiants, mais importants dans la vie d’un enfant. Or, il arrive qu’un miracle se produise.

Un jour, par hasard il se trouve en la compagnie d’un adulte dont il sent immédiatement la qualité du regard. Il n’a pas fallu beaucoup de temps ni beaucoup de paroles pour que passe un courant inhabituel. Tout à coup, l’enfant doué se sent compris, il n’a pas eu besoin d’expliquer ses pensées, ses idées, ses émotions, son interlocuteur les comprenait et en tenait compte le plus naturellement du monde. Se sentir compris, c’est entendre des choses qu’on a l’impression d’avoir toujours sues, ou bien qu’on était tout prêt à savoir de façon consciente. La maîtresse ne s’adresse plus à un élève parmi d’autres, mais à celui qui va comprendre tout ce qu’elle dit et poser ensuite la question prouvant qu’il a devancé les explications suivantes. Il n’y a pas de malentendus.

On dit que les enfants doués ne comprennent pas l’implicite, mais cette fois le discours leur paraît d’une clarté absolue, les mots utilisés reflètent une pensée précise sans aucune équivoque. Ils peuvent même avoir l’impression que parfois, la maîtresse s’offre le plaisir de s’adresser à eux seuls, parce qu’ils seront bien les seuls à comprendre les implications de toutes ses explications. Sans que ce soit jamais explicité, une subtile complicité s’établit : la maîtresse aussi ne connaît pas souvent ce plaisir de s’adresser à un enfant qui comprend les finesses d’une poésie, par exemple, ou la beauté d’une démonstration mathématique. Elle ne résiste pas au plaisir de lire sa rédaction à toute la classe, tout en s’entourant de toutes les précautions nécessaires pour que ses camarades ne se vengent pas de tant de talent.

Enfin, l’enfant doué reçoit de la part d’une personne étrangère une image de lui dans laquelle il se reconnaît parfaitement sans fausse note et ce mécanisme semble tellement aisé et naturel qu’il ne comprend pas pourquoi il ne fonctionne pas chaque fois. Pour lui, cette année restera brillante et chaleureuse dans son souvenir. Il y puisera un réconfort dans les moments de peine, quand il pensera à nouveau que personne ne saisit sa nature profonde alors qu’elle est d’une cohérence absolue. Ce même bonheur survient dans d’autres circonstances, lorsqu’un adulte aime accompagner un enfant dans la découverte de son domaine de prédilection pour lui en donner le goût. La différence entre la gentillesse bienveillante et cette compréhension profonde est vertigineuse, rare bien évidemment, et si précieuse qu’elle doit être sauvegardée quand c’est possible, mais, évidemment, un enfant ne peut pas rester éternellement en CM2 parce que la maîtresse était géniale. Au moins, il sait désormais que cette compréhension qui se passe d’explication, existe, il s’en souviendra quand il lui faudra nouer des liens amicaux et, plus important encore, amoureux. Il a compris que c‘est une condition essentielle pour son bonheur.

Conseils : rester attentif quand l'enfant doué a la chance inouïe d'avoir une maîtresse qui le comprend si bien, tenter de trouver des adultes enseignant des activités spécifiques et présentant ces mêmes particularités. L'enfant doué s'épanouit avec un sentiment de bonheur et de plénitude quand il se sent compris dans sa totalité par un étranger.