L'imagination littéraire des enfants doués

Tous les enfants adorent les histoires. Quand ils entendent "il était une fois", ils savent que c'est une clef magique ouvrant d'innombrables chemins vers des mondes merveilleux ou terrifiants, mais hors du temps, dans un univers peuplé de héros mythiques et d'animaux fantasmagoriques. En les côtoyant, ils ont l'impression d'être effleurés par quelques poussières de magie.

L'imagination littéraire des enfants doués
©  Igor Yaruta-123rf

Ces récits alimentent abondamment l'imagination déjà infinie des enfants doués. Certains se laissent alors aller à l'ivresse des mots, enivrés par ce pouvoir qu'ils peuvent exercer avec tant de facilité sur le langage. Ils ont le sentiment, par ce seul moyen,  de créer des univers compliqués où s'agitent les marionnettes qu'ils ont inventées et qui obéissent au bon plaisir de leur créateur. 

Il  s'agit parfois d'idées  absurdes, que rien ne relie entre elles, si ce n'est la sorte d'intempérance verbale qui saisit son auteur quand il laisse vagabonder une imagination vite insoucieuse de toute limite. Certains enfants doués adorent ouvrir les vannes de leur fantaisie et se perdent eux-mêmes dans ses méandres sans signification réelle. C'est un amusement, sans plus : ils sont, en effet, enchantés d'avoir fait semblant de construire un roman à l'image de ceux qu'ils aiment tant, ils accumulent des péripéties absurdes menées par des personnages sans consistance. C'est "Alice au Pays des Merveilles", mais évoqué dans un désordre qui lui ôte tout intérêt, sauf le plaisir de l'enfant de se promener dans un fatras de réminiscences mêlées en suivant le rythme accéléré propre aux dessins animés. Il est encore plus heureux si un adulte l'écoute et, suprême plaisir,  note ses élucubrations. Ses parents eux-mêmes sont surpris et admiratifs devant cette imagination déchaînée qui semble intarissable, en réalité, c'est une créativité factice qui ne laisse pas de traces. Les protagonistes inconsistants s'effacent sitôt créés, comme s'ils étaient bloqués dans une roue tournant inlassablement et n'apparaissaient que fugitivement avant de disparaître puisque la roue a tourné.

Quelques images fulgurantes peuvent surgir, mais leur éclat n'est pas ensuite alimenté. Cet enfant avait besoin d'extérioriser les idées qui vagabondaient dans son esprit d'une façon trop erratique pour qu'il puisse les assembler en un tout cohérent. Mais il n'est pas mécontent de trouver l'opportunité de les raconter en leur prêtant ainsi un semblant de réalité.

Ces avalanches de bribes d'histoires entendues, lues, de faits divers, ou d'une actualité dramatique, captés au hasard des conversations d'adultes ou des échos de la télévision encombreraient l'esprit plus qu'elles ne le nourrissent. On ne doit pas leur accorder plus d'importance qu'elles ne le méritent.

Il en va tout autrement si ces récits peuvent être reliés à des événements survenus dans la réalité : ils ont peut-être provoqué un traumatisme qu'il faut alors évoquer avec l'enfant et traiter au besoin. Des drames qui ont choqué un pays tout entier  ont forcément eu un impact sur les enfants, même quand on s'est appliqué à les tenir à l'écart.

Soudainement, ils ont dû intégrer de façon brutale les notions de bien et surtout de mal, celui qui est répandu pour des raisons qui leur échappent. Désormais, et parfois à un âge encore enfantin où on aurait préféré les laisser ignorants de ces drames, ils découvrent la froide cruauté d'individus qu'ils classent aussitôt parmi les "méchants". Cette "méchanceté"  se suffit à elle-même pour justifier leurs actes cruels, chacun peut en être victime : leurs parents quand ils partent au travail, ou eux-mêmes, quand ils passent dans la rue.
Si les enfants racontent des histoires directement inspirées de ces événements tragiques, ce pourrait être pour les apprivoiser en quelque sorte, pour retrouver un semblant de maîtrise sur des actes fous et angoissants.

Parfois, ils ne veulent pas inquiéter leurs parents qui minimisent peut-être les dangers sans se rendre compte de leur réalité : les parents désirent par-dessus tout rassurer leurs enfants et les enfants ne veulent pas faire naître chez leurs parents une peur que ces derniers  ne ressentent  peut-être pas, parce qu'ils n'auraient pas pris la mesure de ces dangers : il convient alors de les alerter, mais sans les angoisser. Pour un enfant doué, il s'agit là de son rôle le plus élémentaire, celui de guetteur. 

On ne doit pas se leurrer, les enfants captent les moindres bribes d'informations, même si on s'est efforcé de les en tenir éloignés et ils savent très bien discerner le mal absolu. Ils pensent simplement que leurs parents, accaparés par tous les soucis de quotidien, n'ont pas eu l'esprit suffisamment disponible pour considérer  lucidement la réalité dans toute sa cruauté. Il est préférable d'aider ces enfants secrètement effrayés en étant à l'écoute des histoires qu'ils inventent  en s'adressant au besoin à un spécialiste qui saura les accompagner dans l'expression de leur terreur enfouie. Il est préférable de garder à l'esprit qu'un enfant, surtout s'il est doué, aura davantage tendance à amplifier tout danger. Il est incapable de le relativiser et la conscience aiguë qu'il a de sa faiblesse, de sa maladresse et de son ignorance, accroît encore ses peurs.

L'imagination des enfants doués peut aussi s'exprimer au travers de récits longuement mûris. Ceux-là aussi il faut savoir les écouter. Souvent ces histoires sont écrites, avec l'orthographe approximative qu'on peut se permettre dans un texte qui n'est pas destiné à être lu, mais l'écriture favorise la réflexion, elle en conserve la trace, elle permet les modifications en gardant le souvenir de la phrase précédemment écrite, ce que l'ordinateur rend impossible. D'ailleurs on conseille aux enfants qui détestent écrire d'inventer une histoire dont ils écriront quelques mots chaque jour. S'ils se prennent au jeu, c'est une méthode efficace. On n'encouragera jamais assez un enfant à écrire spontanément. Son développement général n'en sera que plus harmonieux. Quand un enfant dit rêveusement  "il était une fois", commence une aventure qui peut se révéler fascinante.

Conseils : être à l'écoute des productions imaginatives les enfants en faisant tout de même un tri entre pure élucubration et reflet de véritables préoccupations. On appréciera qu'un enfant  exprime par ce biais ses tourments, ses préoccupations et ses rêves.