"Un enfant doué, c'est une richesse !"
Une virtuosité verbale, un imaginaire débordant, une hypersensibilité... Au-delà du don intellectuel, la psychologie des enfants doués est riche et complexe. La psychologue Arielle Adda, auteur de nombreux ouvrages sur le sujet évoque les spécificités de leur personnalité et leur prise en charge.
Arielle Adda est l'une des premières psychologues à s'être intéressée en France aux enfants doués, et en particulier à leurs spécificités psychiques, au-delà de leurs capacités intellectuelles. Auteur de nombreux ouvrages sur cette thématique, elle vient de publier "Psychologies des enfants très doués", aux éditions Odile Jacob. Le livre, constitué de textes issus de chroniques publiées sur le Journal des Femmes, s'applique à décrire et comprendre toute la richesse de la psychologie de l'enfant doué, tout en proposant aux parents des clés pour mieux accompagner ces enfants hors normes. De leurs relations au sein de la famille ou avec l'entourage, à leur scolarité, en passant par les tests de QI, elle aborde tous ces domaines avec précision et bienveillance.
Découvrir que son enfant est doué n'est pas toujours une fierté pour les parents, parfois c'est un choc qui engendre angoisses et culpabilité. Pourquoi ?
Oui effectivement, les parents sont souvent désarçonnés parce qu'ils se disent qu'ils ne sauront pas comment s'adresser à lui et comment élever cet enfant dont le QI est plus élevé que le leur. Au fond, ils craignent qu'il ne devienne plus intelligent qu'eux, cela remet en question leur rôle de parent. En outre, trimbalés de spécialistes en spécialistes, ils se retrouvent face à de nombreuses directives, parfois contradictoires et pas forcément adaptées, qui virent même parfois au catastrophisme. On leur dit : "Vous allez voir il n'aura pas d'amis, il ne s'adaptera pas…"
Que leur conseillez-vous ?
Je leur conseille d'abord de ne pas penser cela ! Leur enfant n'est pas forcément plus intelligent qu'eux puisqu'il arrive que les parents soient eux-mêmes doués. Mais surtout, je veux les rassurer : ils doivent se fier à leur intuition, plutôt qu'à ce qu'ils entendent à droite ou à gauche. Un enfant doué, c'est une richesse !
Dans vos écrits, vous dressez un portrait tout en nuance de ces enfants, qui ne se limite pas à leurs capacités intellectuelles, mais qui aborde d'autres traits de caractères moins connus. Lesquels par exemple ?
Au-delà de leur maturité intellectuelle, on retrouve chez ces enfants un désir d'explorer les voies de la connaissance, mais aussi une très grande imagination et une grande sensibilité qui renforcent leurs qualités, c'est-à-dire qu'ils perçoivent la nature des gens et ce qui n'est pas dit. Par exemple, ils sont capables de percevoir l'agressivité ou le malaise chez autrui. A l'inverse, cette hypersensibilité leur permet de capter les belles choses -une œuvre d'art, un paysage, etc.- et ainsi d'enjoliver leur vie, si bien qu'ils la vivent plus intensément.
Mais cette grande sensibilité ne nuit-elle pas à leurs relations humaines ?
Lorsqu'ils ont un fort charisme, bien au contraire, ils peuvent devenir leader d'un groupe et être parfaitement bien adaptés socialement. Mais, en effet, le plus souvent, ils ne peuvent avoir de vrais amis que parmi les enfants qui sont également doués parce qu'ils réagissent de la même façon, en somme, ils sont sur la même longueur d'onde. J'ajouterais qu'ils sont d'excellents amis, très fidèles, avec beaucoup de qualités humaines, même s'ils se sentent souvent trahis ou déçus. Il faut d'ailleurs savoir que certains enfants doués peuvent être harcelés en milieu scolaire. Sur ce point, il faut donc être vigilant parce que malheureusement l'Ecole a tendance à fermer les yeux. Leurs qualités humaines, leur empathie, font qu'ils ne voient pas l'intérêt de se défendre. Ils sont davantage perturbés par ce comportement qu'ils n'arrivent pas à expliquer et qu'ils perçoivent comme incohérent, que par le besoin de rendre les coups en quelque sorte.
Comment se sentent les enfants doués ? Comment perçoivent-ils cette différence ?
Quand ils sont bien identifiés et reconnus, ils sont heureux, ils progressent rapidement et sont passionnés dans ce qu'ils entreprennent. Quand je les reçois, je leur explique les choses simplement. Je leur dit que leur cerveau fonctionne plus vite et qu'ils ne doivent pas être étonnés si de temps en temps, ils ont l'impression de fonctionner différemment. Je leur explique que c'est formidable, qu'ils vont faire des choses magnifiques ! Je les rassure, sans leur mettre la pression. Mais à l'inverse, cela ne va pas lorsqu'ils ne sont pas pris en charge et qu'on leur renvoie une mauvaise image. Finalement, l'enfant se sent différent des autres si la grille de lecture de cette différence n'existe pas et cela aggrave alors ses difficultés de relation. Par exemple un jeune enfant en avance du côté du langage pourra se renfermer s'il sent que le dialogue n'est pas possible, ou qu'il sent que sa maîtresse cherche à le faire taire et a tendance à nier ses capacités. Si elle est sensibilisée à cette problématique, cela se passe bien, mais sinon...
En France, la prévalence des enfants sur-doués est de 2 %, mais elle est sans doute sous-estimée, autour de 5 à 6 % selon Arielle Adda. |
Vous êtes assez critique vis-à-vis de l'école... ?
Le problème, c'est que l'Education nationale ne prend pas en compte cette supériorité intellectuelle. Je dois me battre pour des passages de classe, on me rétorque que l'enfant n'est pas suffisamment mature. On considère que les enfants sont égaux, qu'ils soient extrêmement intelligents ou au contraire en difficulté. Je pense au contraire qu'il faut prendre en compte leurs différences. C'est aussi douloureux dans les deux cas, car ils ne peuvent pas travailler à leur rythme : les bons ralentissent donc décrochent et les mauvais dépriment. Résultat : les enfants s'endorment et perdent le sens de l'effort. Aujourd'hui, c'est beaucoup trop facile pour les enfants doués, donc ils réussissent sans avoir à fournir d'efforts. Il y a aussi un manque de méthode. C'est un grand drame car lorsqu'ils arrivent dans les études supérieures, et qu'il devient indispensable de fournir des efforts, en particulier pour mémoriser de grandes quantités d'informations, ils ne savent pas le faire et c'est la catastrophe. C'est dramatique car cela peut avoir des répercutions à long terme. Je vois des adultes qui ont arrêté leurs études à cause de cela.
Comment compenser cela et leur donner les clés pour qu'ils s'épanouissent ?
Il faut leur proposer des activités qui font fonctionner le sens de d'effort. La danse est une bonne idée, car elle demande de la rigueur et laisse toujours une marge de progression. Le sport en général est bénéfique car il implique un dépassement de soi. En ce qui concerne leur épanouissement, je conseille aux parents d'écouter leur intuition et de bien se documenter, c'est essentiel. Nul besoin de suivre des paroles en vogue ou les conseils des uns et des autres. Il est aussi indispensable de permettre aux enfants de se fréquenter entre eux sur des activités ponctuelles.
Certains parents hésitent à faire passer un test à leur enfant. Comment savoir ?
En effet certains hésitent, ils ont peur du résultat et de ce que cela implique ! Ils se disent qu'ils ne saurant pas s'en occuper. Je répondrais simplement que pour un enfant doué, ne pas être diagnostiqué revient à passer à côté de sa vie. Si les parents ont un doute, il ne faut pas hésiter et leur faire passer un test. Quel que soit le résultat, et au-delà des résultats, il donne une échelle globale et montre les points faibles et les points forts de l'enfant, donc ce sur quoi on peut s'appuyer pour travailler. Il m'arrive de voir des adultes qui, 30 ans après, continuent à lire leur compte rendu et à qui cela rend encore service !
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