"Ils l'ont mis dans une poubelle et forcé à manger des vers de terre"

Raphaël a connu un véritable calvaire depuis le CP. Et cela a duré plusieurs années, avant que le petit garçon ne craque et accepte d'en parler à ses parents. Alors que le délit de harcèlement scolaire est adopté ce 24 février, le Journal des Femmes revient sur le témoignage poignant de la maman.

"Ils l'ont mis dans une poubelle et forcé à manger des vers de terre"
© rido-123rf

Ce 24 février, les députés et le Parlement ont définivement adopté la proposition de loi Balanant, créant, entre autre, un délit spécifique de harcèlement scolaire. Désormais les harceleurs pourront être condamnés pour les faits commis envers leurs camarades de classe ou au sein de l'établissement scolaire, avec des peines proportionnelles aux conséquences pour la victime harcelée. en 2015, la rédaction du Journal des Femmes avait recueilli le témoignage* touchant de Géraldine*, maman de Raphaël*, alors âgé de 9 ans, victime de harcèlement par ses camarades de classe depuis le CP.  

"Vers de terre, coups, humiliations et insultes"

Tout a commencé au CP lorsque des grands lui ont fait mangé des vers de terre à la récréation. Puis, sont venus les coups, les humiliations et les insultes. Ils lui ont jeté ses lunettes, arraché ses dessins et l'ont même enfermé dans une poubelle ! S'il s'agissait au départ d'enfants plus âgés que lui, les élèves de sa classe s'y sont mis peu à peu, eux aussi. Cela a duré plusieurs années et nous avons tout découvert en CM1. Il y a quelque temps, une maman de l’école m’a téléphoné un midi pour me dire que sa fille avait vu Raphaël au sol en train de recevoir des coups de pieds dans le dos et le ventre. Je suis arrivée à l'école dans les 10 minutes, les surveillants ne l’avaient même pas vu !

"Je n'ai pas pensé une seule seconde à un harcèlement scolaire"

Nous avions remarqué un changement : Raphaël était très anxieux, mélancolique, faisait parfois des crises de nerfs et était soucieux (bien qu'il ait toujours été renfermé). Pourtant, il a toujours aimé l'école. Il était heureux de s'y rendre jusqu'à ce qu'il ne puisse plus supporter son quotidien. Par conséquent, ses notes ont considérablement chuté, il n'avait plus envie de travailler, n'avait tout à coup plus aucun devoirs à faire à la maison, et a commencé à avoir des troubles digestifs. Pour être objective, je n’ai pas pensé une seule seconde à un harcèlement scolaire !  On sentait que quelque chose n'allait pas, sans y mettre de nom. Mais à aucun moment nous n’aurions pu imaginer que l’endroit dans lequel nous confions notre fils ressemblait pour lui à un enfer. De plus, ces "tyrans" n’avaient pas plus de 10 ans ! Quand on le questionnait pour savoir pourquoi il avait changé, nous n’avions le droit qu’à des silences. Pour nous rassurer, il nous affirmait qu’il n’y avait rien et qu'il ne comprenait pas nos inquiétudes.

"C'est à l'âge de 9 ans qu'il s'est confié à nous, en craquant"

Nous avons tout découvert un soir, après un énième "interrogatoire" pour comprendre les raisons de son comportement. C'est à l'âge de 9 ans qu'il s'est confié à nous, en craquant. Il a alors lâché son récit dans un flot de pleurs. Il était à bout, il avait "encaissé" depuis tant d’années ! Après s'être confié sur ce qu'il vivait chaque jour, il nous a dit qu’il n'était pas heureux, qu'il ne comprenait pas pourquoi il vivait, et qu’il voulait mourir. Nous étions effondrés. Notre enfant était déjà suivi par un pédo-psychiatre avec lequel il n'avait jamais rien évoqué. Nous avons donc été voir notre médecin généraliste qui nous a annoncé que notre petit garçon de 9 ans faisait une dépression !

"Les enfants se sont braqués contre lui simplement parce qu'il avait un traitement"

Je crois que Raphaël a toujours eu du mal à s’intégrer à l’école. C’est un petit garçon hyperactif (sous traitement depuis le CP) , dyspraxique et surdoué. Il est passionné de mythologie grecque et de sciences (il rêve même de travailler à la Nasa !). Il n’a donc pas d’amis ayant les mêmes centres d’intérêts que lui... Pire, il n’a pas d’amis tout court au sein de son école. C'est donc un garçon "différent" des autres de son âge. Ses passions, sa maturité et son goût d'apprendre donnent souvent l’impression d’être face a un adulte. Néanmoins, sur le plan affectif, c'est tout autre chose : il a besoin, comme tout autre enfant de s'épanouir et d'être aimé. Un jour, il n'avait pas pris son médicament (pour son hyperactivité) et son instituteur, pensant bien faire, a prévenu ses camarades de classe en leur expliquant qu'il risquait d’être plus brusque que d'habitude dans ses gestes et qu’il fallait être conciliant avec lui. Depuis, le peu d'enfants qui lui parlaient encore se sont braqués contre lui simplement parce qu’il avait un "traitement". 

Nous avons demandé un rendez vous avec le directeur de l'établissement 

Le lendemain matin, après avoir discuté avec notre enfant, nous nous sommes rendus avec mon mari à l'école. Son institutrice tombait des nues et nous avons demandé un rendez vous avec le directeur de l'établissement le jour même. Nous n’avons épargné personne, la colère nous dépassait. Nous ne comprenions pas comment il était possible que le personnel de l'école n'ai rien vu alors que tout se passait sous leurs yeux. Nous avons souhaité dans un premier temps le changer d’établissement scolaire, mais le fait que nous bénéficions de l'aide d'une auxiliaire de vie scolaire, prise en charge par la Maison Départementale des Personnes Handicapées, a compliqué les choses. Si nous l'avions inscrit ailleurs, nous aurions dû reprendre le dossier a zéro et perdre deux ans de bataille qui nous ont été nécessaires pour mettre en place cet accompagnement. De plus, le directeur nous avait promis de régler cette histoire très rapidement. Comme nous avons réagi pour dénoncer ce harcèlement scolaire vers la fin de l’année, et que les harceleurs de CM2 changeaient d’école pour passer au collège, le problème était donc (d’après le directeur) résolu pour l’entrée au CM1. Effectivement, cette année-là s’est relativement bien passée, sans soucis majeur avec les autres enfants... jusqu’à sa dernière rentrée de CM2.

"Je pense aussi qu'il a "honte" de ne pas savoir se défendre"

Même si ce cas de harcèlement scolaire a été solutionné en grande partie, rien n’est totalement réglé. Nous avons ensuite eu de nouveau le problème avec trois enfants de sa classe, mais cette fois, nous avons directement été voir les parents pour les avertir que si le moindre geste était fait à l’encontre de notre fils, nous irions porter plainte. Une fois de plus, Raphaël ne nous avait rien dit, "pour ne pas nous ajouter de soucis". Nous avons beau lui expliquer que notre rôle de parents est de le défendre et d’être présents, il préfère garder ses problèmes pour lui. Je pense aussi qu’il a "honte" de ne pas savoir se défendre. Il vit cette dernière année de primaire comme la fin de son calvaire. L’an prochain, il n’ira pas au même collège que les autres enfants. Nous l’avons inscrit, un peu plus loin, dans un collège privé. Il dit qu’"il va reprendre sa vie a zéro". Malgré tout ce qu’il a subit, je le trouve extrêmement courageux, il n’est pas en colère contre ses harceleurs, il dit juste qu'il "continuera à avancer" et qu’il "ne souhaite pas être méchant pour se défendre", ni en venir au mains. Cette année, pour la toute première fois, Raphaël a un ami, et c'est sans doute la plus belle des récompenses !

"Il faut être vigilant à tous les changements de comportement"

Il faut surtout être vigilant à tous les changements de comportement, et le pousser a se confier sur ce qu'il se passe à l'école. Je m’en veux qu’il n’ait pas osé me parler. J’avais repris mes études à cette période (une licence que j’ai faite en 2 ans au lieu de 3 ans) et qui m’a beaucoup coûté sur ma vie de maman. Je pense qu’il me voyait déjà tellement peinée qu’il ne voulait pas me rajouter de "tracas".  Il est également important de ne jamais sous-estimer les disputes d’école et mieux vaut "trop" intervenir auprès des enseignants que pas assez. Et parce que l'erreur est humaine, il ne faut pas forcément avoir une confiance aveugle en son médecin et autre professionnels de l'éducation. Le pédo-psychiatre de mon fils par exemple n’a jamais vu qu'il était en dépression malgré son mal-être et nos inquiétudes. Quant aux enseignants, aussi bons soient-ils, ils n’ont rien décelé non plus, puisque tout se passait dans leur dos...

*Propos recueillis en 2015. Les prénoms ont été modifiés.