Enfants doués : quelques idées reçues
Les enfants doués, en échec scolaire, malheureux, incompris... ? Arielle Adda dégomme les idées reçues qui circulent sur eux !
Il semblerait que, ces derniers temps, une vague de misérabilisme déferle sur les personnes douées, enfants comme adultes. A en croire les idées qui circulent, il faut bien se rendre à l’évidence : les personnes douées sont très malheureuses, elles seraient, en fait, accablées par un destin qui les dépasse, avant de les écraser. Elles n’ont pas choisi ce sort funeste, il convient donc de les plaindre, de leur porter assistance dans la mesure du possible, mais cette aide, que des âmes généreuses sont toutes prêtes à apporter, n’est pas toujours bien reçue.
Ainsi, on envisage de créer des classes pour enfants "différents" : elles regrouperaient les enfants doués, avec ceux qui présentent des troubles tels que la dyslexie. Un livre est paru récemment pour aider les parents en détresse, "lorsque votre enfant souffre de troubles plus ou moins sévères - précocité, dyslexie, harcèlement, hyperactivité, anxiété scolaire, maladie somatique etc.- vous vous sentez rapidement perdu…". (Fatma Bouvet de la Maisonneuve "Enfants et Parents en souffrance" Editions Odile Jacob). On conçoit bien que les parents d’enfants doués puissent être anéantis à la perspective des difficultés qu’ils vont rencontrer.
Dans la pensée courante, il est posé d’emblée que les personnes douées sont difficiles à comprendre à cause de leur fonctionnement particulier, elles sont à part et, d’ailleurs, elles ont peu d’amis, ce qui prouve bien leur singularité.
Les enfants doués seraient quasi systématiquement en échec scolaire à cause de l’ennui profond qui s’est abattu sur eux au début de la scolarité. En outre, ils ne savent pas travailler. Ils rêvent, c’est ce qu’ils sauraient le mieux faire, c’est même leur passe-temps préféré. Ceux qui réussissent, malgré tout, seraient aidés, pour ne pas dire portés, par des parents qui ne les lâchent pas d’une semelle tant que leur travail n’est pas fait.
A lire ces portraits attristants on pourrait penser que TOUS les autres enfants, c’est-à-dire les 98 % restant, ou même les 95 % restant, vont à l’école la joie au cœur, gambadant de plaisir ; ils se déprimeraient seulement en vacances, tant l’école leur manque.
Il y a évidemment des années noires, quand un profond fossé sépare l’enfant doué de son maître ou, plus tard, de certains de ses professeurs, mais quel enfant n’a pas connu ces moments de creux ? On dira que le fossé est vraiment très profond, impossible à combler, creusé par quantité de malentendus et d’interprétations erronées : cet enfant trop questionneur, au savoir paradoxalement étendu dans certains domaines, répondant trop vite et toujours avec une agaçante pertinence, irrite au-delà de toute mesure un professeur qui a le sentiment de perdre son apanage, ou seulement de le voir fissuré par cet élève dérangeant et inclassable.
Il y a aussi des années lumineuses parce que le professeur goûte infiniment les qualités de cet élève vif et curieux. Il décèle chez lui des trésors qui ne demandent qu’à être révélés, justement par quelqu’un dont c’est la fonction et qui éprouvera un plaisir sans cesse renouvelé à participer à l’éclosion de tant de dons.
Ainsi, un maître remplaçant a été très heureux d’avoir dans sa classe un enfant le mettant au courant des us et coutumes de l’école et de l’avancée du programme. Cette complicité spontanément établie a rendu service à tout le monde. Pourtant, à bien y regarder, les rôles de chacun étaient un peu modifiés, mais personne n’y a trouvé à redire.
Le don intellectuel est exercé avec tant de naturel qu’il n’étonne pas, c’est quand il n’est pas compris comme tel qu’il déclenche des torrents de désordres.
Lorsque l’enfant doué se sent compris, reconnu, apprécié pour ce qu’il est réellement, il est absolument enchanté, il donne avec joie le meilleur de lui-même.
Alors qu’on hésite parfois à faire passer un test, comme s’il s’agissait d’un événement tellement perturbateur qu’il demanderait une longue préparation et des conditions idéales de passation, les enfants doués sont généralement ravis de cette séance : ils ont réussi des tâches difficiles et ils en ont été largement félicités. Ils repartent avec une image étincelante d’eux-mêmes. Elle dissipe les ombres entachant jusque-là cette image, ils se sentent à la fois plus légers et plus forts. Ils pensent qu’ils vont désormais pouvoir s’autoriser à envisager leur avenir sans se croire trop ridicules, trop rêveurs, trop utopistes. On leur a révélé qu’ils possédaient une force leur permettant de tracer leur voie comme ils le désiraient.
Un enfant en pleine possession de ses dons, pouvant rencontrer des semblables, au moins de temps à autre, est un enfant heureux ; les adultes qui l’entourent apprécient également son incessante créativité, d’autant plus agréable que son souci de perfection le pousse à fignoler toutes ses productions et à y trouver du plaisir.
Adulte, il met à profit toutes les connaissances acquises pour réaliser ses rêves d’accomplissement. S’il a la chance d’être aidé par un entourage compréhensif et prêt à lui donner tous les moyens sans s’imposer trop de sacrifices, il concrétise avec bonheur ses ambitions et tout le monde en recueille les bienfaits.
Qui ne préfère être soigné par un médecin au diagnostic sûr, dont on estime la perspicacité, rencontrer un professeur qui a parfaitement cerné chaque enfant et dont les cours sont passionnants, au point même d’être à l’origine de certaines vocations, ou encore recourir à un artisan connaissant son métier ? De surcroît, ceux qui ont le goût de leur travail l’exécutent à merveille.
C’est une assertion sans cesse ressassée, qu’il est tout de même préférable de rappeler de temps à autre : les personnes douées, enfants ou adultes, ne peuvent se satisfaire d’un travail bâclé, ce souvenir laisserait une trace dérangeante, de la même façon qu’une tache imparfaitement nettoyée sur un costume.
Les personnes douées qui n’ont pas eu la chance d’être accompagnées suffisamment longtemps pour concrétiser leurs désirs déploient parfois des forces inimaginables pour y arriver "quand même". Cet accomplissement peut survenir plus tard, quand les conditions sont plus propices. C’est alors une victoire encore plus méritoire, son goût est inimitable.
Ce sont ceux qui sont encore à la recherche d’eux-mêmes et qui hésitent à envisager cette explication qui souffrent et tâtonnent. Heureusement, la piste du don intellectuel est de plus en plus évoquée, elle finira bien par être banalisée. Cette perspective semble peut-être encore utopique pour le moment, mais Internet contribue largement à diffuser les informations sur ce sujet.
L’amitié, et plus encore l’amour, reste le point le plus délicat à aborder. C’est peut-être dans ce domaine essentiel qu’il convient, justement, de conserver sa vigilance : il est impératif qu’une union soit conclue entre pairs pour être durable, c’est alors que le couple amical ou amoureux forme un ensemble solide, capable d’affronter bien des tempêtes. C’est une règle d’or qu’on ne doit jamais négliger : on évite alors les déconvenues, les souffrances et la solitude, ou une situation vécue comme telle, donc plus douloureuse encore. En complète harmonie, on avance du même pas.