L'endormissement des enfants doués, véritable casse-tête nocturne
Ils ressassent leur journée, se demandant ce qu'ils auraient pu faire de mieux, ils cherchent des solutions à des problèmes qui ne sont pas les leurs... De nombreux enfants, et surtout les enfants doués, peinent à s'endormir une fois la tête sur l'oreiller.
Certains enfants connaissent le bonheur de s'endormir "la tête sur l'oreiller" et de goûter ensuite des nuits calmes où les sorcières font de si brèves apparitions qu'elles ne laissent aucun souvenir. Cette heureuse nature leur permet de regarder de façon plus sereine les aléas de l'existence. Des enfants doués vivent cet état de grâce, ils ne sont pas submergés par leurs tourments, on estime qu'ils ont de la chance et on bénit cette sérénité.
Dans la réalité, nombreux sont ceux qui passent en revue leur journée : ils s'attardent sur les moments de contrariété, ils rejouent la scène, ils trouvent enfin la réponse étincelante qu'ils auraient dû donner aux propos désobligeants de camarades désagréables. Ils sont, chaque fois, surpris par ces attaques, parfois bien enrobées, que rien ne justifie. Leur apparence anodine et banale n'atténue pas leur aspect blessant que l'enfant ainsi attaqué a très bien ressenti, mais, sur le moment, il n'a pas trouvé la répartie fulgurante qui aurait cloué son adversaire. Maintenant, dans le calme et le silence de la nuit, ces réparties lui viennent tout naturellement à l'esprit, elles lui auraient procuré un incontestable avantage et il aurait mis les enfants hésitants de son côté au lieu d'avoir l'air d'un imbécile sans réflexe, pour la plus grande joie de son agresseur.
Il retrouve aussi dans sa mémoire la réponse qu'il n'a pas su donner au professeur, et pourtant, il la connaissait, il est trop vite déstabilisé, il perd aussitôt ses moyens et la maîtrise de son raisonnement. Il n'est pas content de lui, il s'en veut de s'être montré tellement médiocre, et même nul, il finit par s'endormir, baigné d'amertume. Le lendemain sa petite mine reflète bien ses tourments. Il n'est jamais bon de ressasser. Il voit bien qu'il ne possède pas les bons réflexes que tous les autres possèdent tout naturellement, semble-t-il, et il ignore comment les acquérir : ce n'est pas à l'école qu'on lui fournira ce mode d'emploi, l'école servirait surtout à pointer ses manques et ses maladresses. Peut-être est-il condamné à rester aussi balourd toute sa vie. Si ses parents n'en parlent pas, c'est parce qu'ils savent bien qu'aucun remède n'existe, ils ne veulent pas accroître sa peine, mais, sans doute, sont-ils aussi affligés que lui de le voir si gauche.
On conçoit bien que des pensées aussi moroses l'empêchent de s'endormir. L'aider à combattre cette émotivité parfois paralysante lui serait très utile, par lui-même il se sent bien incapable d'une telle victoire, il s'en veut de tant de faiblesse et cette colère le prive encore plus sûrement de toutes les réparties dont il est capable. Il existe toutes sortes de méthodes et d'approches en ce sens et puis il va grandir, acquérir des connaissances et des forces qui lui permettront de trouver LA répartie et de puiser dans sa mémoire bien organisée pour trouver la réponse que le professeur attend. Des contes joyeux évoquent le triomphe de celui qui apparaissait comme le plus faible, on ne dira jamais assez l'aspect thérapeutique des contes où le mal est toujours et inexorablement vaincu.
Les enfants doués, investis d'une mission pour aider leurs parents
Ce n'est pas le seul tourment qui empêche un endormissement serein : beaucoup d'enfants, et surtout les enfants doués, se pensent, parfois dès leur venue au monde, chargés d'une mission. Leur hypersensibilité leur a permis de saisir le malaise qui pouvait habiter leurs parents, même si ces derniers ont déployé tous leurs efforts pour tenir le nouveau-né à l'abri de leurs ennuis. On ne peut rien cacher à un enfant qui capte le moindre changement d'humeur et les enfants déploient tout naturellement tous leurs efforts pour remédier à cet état néfaste. Il ne leur vient pas à l'idée de se dérober, ils sont venus pour remplir cette mission, mais ils ne savent pas du tout comment procéder. Il leur faut tout inventer pour tirer leurs parents du marasme où ils les voient s'enfoncer, ils n'ont personne à qui demander conseil, puisque ce sont justement ces parents qui leur apprennent comment se comporter dans toutes les situations et, de surcroît, ils sont généralement encore trop jeunes pour s'exprimer avec des mots. Ils sont piégés dans un rôle dont ils sont assurés que c'est incontestablement le leur, sans démission possible, mais sans avoir, là non plus, le mode d'emploi des conduites à tenir.
Alors qu'ils ignorent tout du monde des adultes, ils pensent avoir une mission précise. Ils ont bien saisi qu'ils doivent aider leurs parents, ou surtout celui qui est sous leur garde, si les parents sont séparés, mais ils s'inquiètent aussi pour l'autre, privé du soutien de son enfant. On pourrait penser qu'ils sont bien jeunes et bien inexpérimentés pour assumer une si lourde tâche, mais, pour eux, rien n'est trop lourd. D'ailleurs ils manquent de points de comparaison. Ce sont les adultes, quand ils constatent la situation, qui qualifient cette situation de "charge écrasante", mais, le plus souvent, ils n'imaginent même pas qu'un si jeune enfant puisse être tourmenté par sa crainte de manquer à ses devoirs et de ne pas remplir convenablement sa mission. Les adultes consultés, dont c'est généralement la profession, ont bien compris que ce sommeil perturbé est à mettre en rapport avec la situation des parents, mais ils ne conçoivent pas forcément à quel point l'enfant se sent investi d'une telle responsabilité : tant de sensibilité, une telle capacité d'analyse leur semblent, en effet, inconcevables. La raison l'emporte sur leur ressenti, ils ne peuvent pas véritablement aider cet enfant qui a pourtant besoin de conseils précis et qui s'inquiète de devoir tâtonner alors qu'il sait qu'on a besoin de lui.
La recherche d'une solution, un frein à l'endormissement serein
Les troubles du sommeil ne sont qu'une lointaine retombée de toutes les pensées qui l'assaillent. Parfois il entend ses parents se disputer : une fois qu'il a bien compris que ce n'est pas à son sujet et qu'il n'est pas responsable de ces querelles, il croit que c'est à lui qu'il revient de les apaiser, puisque ce sont ses parents et qu'ils doivent donc rester ensemble. Il a certainement le devoir d'intervenir, mais il ignore tout du fonctionnement des grandes personnes, même si parfois elles se conduisent comme des enfants pas toujours très mûrs ni très responsables. Il n'a aucun repère et c'est au moment de glisser dans le sommeil que ces questions reviennent en force, justement à l'instant exact où, parfois, une solution apparaît presque miraculeusement dans un éclair semblant jaillir du plus profond de l'esprit.
Ce mécanisme fonctionne bien pour les problèmes de mathématiques particulièrement ardus ou pour trouver le mot précis reflétant fidèlement la pensée dans une rédaction. Il devrait donc en aller de même s'agissant de trouver la réaction appropriée face aux querelles des adultes, mais cette solution n'apparaît pas et le sommeil tarde à venir. S'ajoutent les multiples questions que les enfants doués se posent au sujet de la vie, de la mort, de la destinée, leur envergure leur permet de saisir ces composants de l'existence, sans l'amorce d'une réponse et sans qu'ils osent troubler leurs parents avec ces questionnements quasi métaphysiques.
Conseils : il est toujours préférable de considérer l'ensemble des situations vécues par l'enfant qui s'endort difficilement sans craindre de se mettre en question et sans tenter d'en rejeter la responsabilité sur le parent considéré comme défaillant. Une aide appropriée et neutre peut être d'une grande utilité.