Comment décourager le sentiment de toute puissance chez l'enfant doué
Il est bien connu que la plupart des enfants passent par un stade de toute puissance, certains avec la discrétion qui les caractérise quand il s'agit d'exprimer leurs sentiments et d'autres de la façon théâtrale et exagérée qu'ils affectionnent pour être assurés d'avoir été assez clairs.
Les parents sont vite démunis face à cette fureur intense qui rend l'enfant sourd, aveugle et totalement différent de celui qu'ils connaissent, d'autant plus qu'elle a été déclenchée par un incident, minime à leurs yeux, mais apparemment essentiel pour un enfant donnant tous les signes d'une intense souffrance. C'est alors que le piège, vite imparable, se met en place : tout parent attentif et soucieux du bonheur de son enfant, supporte mal de le voir dans un tel état de malaise, s'il écoutait seulement son cœur, et non sa raison, il céderait au caprice de l'enfant simplement pour le voir apaisé, satisfait, heureux.
Les enfants qui détestent constater leur maladresse, leur ignorance, leur naïveté, tentent par tous les moyens possibles de compenser ces manques par l'affirmation d'un caractère bien trempé et d'une personnalité déjà bien dessinée. Ils ont très vite compris que l'amour de leurs parents constituait une faille idéale. Il ne s'agit pas d'un mécanisme annonciateur de manœuvres perverses, mais d'une attitude toute entière guidée par la peur de voir sa faiblesse révélée de façon incontestable. Il leur paraît alors tout naturel d'emprunter cette voie facile, puisqu'il s'agit de se préserver. C'est, pour tous, une nécessité vitale. Aucune hésitation n'est de mise.
Les parents sont perplexes, perdus, ils ne savent plus comment réagir : leur instinct de parents les pousse à faire plaisir à leur enfant en adoptant toutes les conduites qui les rendront les plus heureux possible, mais l'instinct qui dicte la meilleure réaction destinée à former leur caractère est à l'opposé. Ils seront obligés de dépasser le désir de faire plaisir pour agir en éducateurs responsables d'une personnalité à former pour lui donner les meilleures armes. Cet enfant, devenu adulte, va affronter des obstacles, parfois importants, il lui faudra batailler pour tracer sa route sans se décourager face à la première difficulté. Ce n'est pas en cédant au moindre de ses caprices qu'on l'aidera à forger son caractère.
On dit pourtant que c'est l'amour de ses parents qui rendrait un enfant plus assuré dans la vie, lui en donner les preuves augmenterait alors ses forces : il ne présentera pas les failles de ceux qui n'ont pas l'expérience de cet amour à nul autre pareil. Ce manque rend les personnalités plus fragiles, comme on le voit évoqué si souvent pour justifier une conduite rédhibitoire, oubliant que ce manque en a rendu d'autres plus forts et plus combatifs puisqu'ils pouvaient compter seulement sur eux-mêmes.
En frustrant un enfant qui a émis un désir, peut-être après tout légitime et justifié à ses yeux, si l'on en croit la véhémence avec laquelle il l'exprime, on refuse de lui donner la preuve d'amour qu'il demande à sa façon. Il risquerait de vivre ce refus comme la démonstration indubitable du manque d'amour de ses parents. Il plongera alors dans une détresse sans nom, persuadé que ses parents ne l'aiment pas.
Ne peut-on pas songer qu'il y aurait là une part, sans doute inconsciente, de chantage : si vous m'aimez, vous cherchez à me faire plaisir, si vous me frustrez dans mes désirs légitimes, c'est que vous ne m'aimez pas, dans ce cas, je ne vous aime pas non plus, je suis le plus malheureux des enfants, c'est pourquoi je hurle mon désespoir.
Il est, bien évidemment, impossible de faire entendre raison à un enfant hors de lui, se roulant par terre en donnant tous les signes de la souffrance la plus intolérable : elle n'est pas physique, elle est morale, ce qui la rend plus cruelle encore. Il se comporte comme si sa situation se révélait dans toute son horreur : il est faible, maladroit, ses désirs sont considérés comme quantité négligeable, il peut tout aussi bien mourir, puisqu'il a perdu tout intérêt aux yeux de son entourage. Si on persiste à le laisser dans cet état de misère extrême, il ne lui reste qu'à disparaître.
On dit alors : il faut leur apprendre à gérer la frustration, c'est la meilleure façon de les aider à se préparer pour le monde adulte : une fois apaisé, il entendra la voix de la sagesse et au bout de quelque temps, il en comprendra la valeur. Plus utile encore serait la découverte de la maîtrise de soi, en toutes circonstances et pas seulement face à la frustration d'un désir, généralement peu justifié et même déraisonnable. Apprendre à maîtriser ses réactions, procure d'une façon générale une force véritable. Il ne s'agit plus seulement d'accepter qu'un désir, une envie, une demande, ne soient pas satisfaits sur le champ, mais d'accepter cet échec en gardant toute sa raison pour considérer sa demande sous un éclairage différent et, peut-être, trouver ensuite des stratégies plus adaptées. Se résigner à admettre une frustration ne suffit pas ; par la suite, on peut examiner, aussi impartialement qu'il est possible, les raisons qui ont abouti à ce refus pour les réfuter, si c'est possible ou bien pour renoncer à ce combat parce qu'on y perdrait en vain trop d'énergie. On apprend à établir la différence entre un besoin réel, parfois essentiel, et un caprice, passager, sans conséquence s'il n'est pas satisfait.
La maîtrise de soi rend plus lucide, plus objectif, elle apporte la sagesse, non pas celle qui se contente de peu et exclut toute extravagance, mais celle qui inspire des conduites d'une audace bien contrôlée. Elle préserve aussi l'image de soi, tellement précieuse, tant vis-à-vis de soi-même, pour éviter d'être déçu ou mortifié par des réactions qu'on pourrait regretter, que vis-à-vis des autres dans le regard qu'ils portent sur celui que fait preuve d'une telle maturité dans son attitude. Quand un adulte se conduit comme un gamin capricieux, son image en pâtit parfois durablement.
Ainsi, on apprend à accepter de différer la satisfaction d'un désir, parfois à le relativiser, à ne pas se laisser submerger par des émotions d'une violence que la situation ne justifie pas : des expériences passées ont démontré que ces explosions passionnelles étaient surtout néfastes et pouvaient, par exemple, détruire une relation à cause d'une image faussée, ridicule même, et surtout aberrante, occultant toutes les qualités.
Conseils : céder aux caprices n'est pas une preuve d'amour, comme le laisse entendre l'enfant bloqué dans la toute-puissance, c'est le reconnaître comme le vainqueur dans le rapport de force qu'il a instauré. Cette victoire est fallacieuse, puisqu'elle laisse entendre que l'enfant est plus fort, plus adroit et plus intelligent que ses parents. C'est une position intenable, et même angoissante, à long terme. Le véritable amour incite à l'aider à se forger des armes efficaces pour qu'il devienne un adulte accompli.