Les enfants et les animaux familiers : un rapport particulier
Il est bien connu que les enfants ont un rapport particulier avec les animaux, surtout lorsque ces derniers faisaient déjà partie de la famille à leur naissance.
Évidemment, il y a la légende terrifiante du chat jaloux qui étouffe le bébé en se couchant sur lui ou du chien qui ne résiste pas à la tentation et dévore cette tendre proie, mais, généralement, les animaux accueillent ce nouveau membre avec une grande attention. Ils en perçoivent immédiatement la fragilité, il faut donc le protéger. Quelque temps plus tard, le bébé est devenu plus autonome, il se déplace, il gazouille et il lui paraît naturel d'être fidèlement accompagné par cette personne qui ne ressemble pas aux autres, mais qui habite la même maison, qui est beaucoup moins grande, mais bien plus rapide dans ses déplacements, alors que le bébé se traîne encore laborieusement sur ses bras et ses jambes à peu près coordonnés.
L'essentiel réside dans ce qui n'est pas apparent : le langage. On a coutume de dire "il ne lui manque que la parole" en parlant de l'animal qui partage l'existence d'une famille avec son intense présence, mais on ajoute qu'il sait très bien se faire comprendre, surtout les chiens, le discours des chats restant parfois complètement hermétique. Le jeune enfant, lui non plus, n'utilise pas de mot pour se faire comprendre. A un an, même les plus doués d'entre eux énoncent péniblement quelques mots isolés, juxtaposés pour exprimer l'essentiel, cette pauvreté de vocabulaire ne les gêne pas du tout pour échanger avec l'animal. Ils se comprennent bien au-delà des mots, c'est une entente parfaite, dépourvue de tout malentendu, puisqu'il ne pourrait en être autrement. Jouer ensemble, dormir et rêver dans le même mouvement n'étonne aucun des protagonistes : ils partagent le même territoire dans la pureté des premiers matins du monde.
Un échange amical et confiant
Les parents sont satisfaits et rassurés : s'il se passe quelque chose d'inhabituel, l'animal viendra les avertir et ils ont lu que la fréquentation des animaux accroît la résistance aux microbes chez le jeune enfant, il sera aussi moins sensible aux allergènes. Ils ont lu aussi le contraire, mais ils préfèrent la première version. Quand l'animal arrive dans une famille, sa venue comble les enfants de bonheur. Pratiquement tous les enfants désirent un animal ; pour certains, ils en ont l'expérience en vacances chez leurs grands-parents qui habitent une maison avec jardin, mais souvent cet animal est âgé, il a ses habitudes et l'irruption de troublions le gêne dans sa routine. Il envie plutôt le chien ou le chat qu'il voit chez ses copains, quand il constate le plaisir que chacun prend à chaque retrouvaille, même quand la séparation a été très brève et qu'elle est habituelle, les enfants allant généralement à l'école tous les jours. Il est prêt à toutes les compromissions : il saura entretenir la litière du chat et s'occuper de l'approvisionnement de sa nourriture, il sortira le chien, il brossera ces animaux. En toute bonne foi, il s'engage à tenir sa parole. Par la suite, les excuses ne manquent pas : pour une fois que le contrôle à venir en classe offre quelque utilité, car le préparer exige une attention totale et absolue… Organiser l'anniversaire d'un ami va occuper ses moments libres, il a un rôle très complexe à retenir pour la fête de l'école, il a froid, il a des frissons, il ne se sent pas bien.
L'enfant qui désire si intensément un animal voit surtout ce qu'il va gagner : enfin quelqu'un à qui il n'aura pas besoin d'expliquer avec des mots maladroits ce qu'il a ressenti, ce ne sera jamais l'exacte description de ses émotions, il risquerait même de paraître ridicule s'il s'y essayait. On n'a jamais vu un animal trouver un humain ridicule ou bête. C'est bon pour ceux qui s'attardent aux mots, alors qu'un gazouillis amoureux est parfait. Des jeux inlassablement répétitifs, que les adultes s'astreignent à jouer parce que l'enfant semble y trouver un plaisir extrême enchantent tout autant l'animal qui paraît adorer être dupe d'un simulacre : il court après des balles et les rapporte fidèlement, il déploie d'intenses efforts et saute avec une admirable précision pour attraper un jouet qu'il affecte de prendre pour une souris ou un oiseau. Il semblerait absurde de penser qu'une sorte de dialogue s'instaure dans ces jeux : chacun est présent pour l'autre, il répond à l'attente de l'autre. C'est une bonne illustration du bonheur de l'échange amical et confiant.
On peut tout de même s'interroger sur la profondeur de l'échange quand il s'agit d'un lapin, dont la gamme d'expressions serait plus limitée, ou d'un poisson qui sait d'ailleurs rappeler son existence en participant autant qu'il le peut au travers des parois de verre de son habitation. Le cochon d'Inde au petit corps chaud et musclé possède une vraie présence, mais les chats et les chiens restent des personnes à part entière au sein d'une famille. L'enfant affligé va pleurer "dans" le chat ou le chien qui se montre alors d'une patience inégalée.
Un deuil terrible quand l'animal disparaît
C'est un univers ordonné qui ne saurait durer éternellement : les adultes savent que les animaux vivent moins longtemps qu'eux, dès le début, ils se préparent à cette disparition, mais l'enfant, habitué à vivre avec un compagnon de son âge, reçoit un choc terrible quand ce dernier disparaît. Il le voyait bien vieillir, devenir moins rapide et moins souple, éviter de trop grands sauts, mais leur amour restait intact. Des enfants amorcent une véritable dépression quand ils comprennent que leur ami de toujours va partir, les parents déploient tous leurs talents pour entretenir ce filet de vie qui s'éteint simplement pour gagner quelques jours. Eux-mêmes sont attristés, surtout s'ils ont connu pareil deuil dans leur enfance. Parfois ce deuil réveille le souvenir d'un deuil plus grave encore, quand un enfant de la famille avait disparu. Ils avaient assisté, impuissants, au chagrin de leurs parents, ils avaient ressenti profondément cette absence sans plus très bien savoir quelle serait désormais leur place. Il arrive même que les parents ne se remettent jamais de cette douleur immense, comme si l'enfant disparu avait une bien plus grande valeur et une importance telle que les enfants qui restent ne pourront jamais combler ce vide. Cette fois, c'est leur enfant qui paraît considérer que rien ne comblera jamais ce sentiment de perte irréparable.
D'autres parents, qui n'ont jamais connu ces drames, ne comprennent pas la souffrance de leur enfant : on prendra un autre chien, un autre chat, et tout sera comme avant, d'autant plus que les bébés animaux sont adorables si on ne tient pas compte des moments plus difficiles de leur éducation, mais personne ne pourra remplacer l'ami disparu et les dialogues secrets entre leurs deux cœurs.
Conseils : vivre avec un animal modifie l'état d'esprit des enfants, il leur offre l'occasion de ne pas être égoïste et de penser constamment au bien-être de leur ami. Il crée des liens particuliers qui modèleront la personnalité d'une manière subtile en laissant une empreinte pour la vie entière. Accepter sa disparition fait aussi partie de l'apprentissage de la vie, mais on ne doit pas sous-estimer la profondeur du chagrin de celui qui perd son ami le plus proche.