L'entente entre semblables : "l'une des conditions essentielles à l'instauration de liens amicaux solides et sûrs"

On s'étonne parfois de voir des adversaires dans le milieu du sport, qui se sont férocement affrontés au cours d'un match par exemple, discuter ensemble, laissant entendre qu'ils parlent volontiers à celui qu'ils affectent de considérer comme leur "pire ennemi"...

L'entente entre semblables : "l'une des conditions essentielles à l'instauration de liens amicaux solides et sûrs"
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En fait, leur entente se situe bien au-delà des événements qu'ils vivent en même temps, seuls ceux qui connaissent ces moments indescriptibles de tension extrême, peuvent se retrouver dans un minuscule cercle, celui des champions véritables, où un nombre infime parvient à accéder. Ces moments intenses où il faut donner plus que le meilleur de soi-même pour aller l'espace de quelques secondes - qui durent une éternité - là où personne ne peut aller consciemment, ces moments peuvent être partagés seulement avec ceux qui ont connu ces échappées indicibles. Il est donc impossible de les évoquer ou de tenter de les décrire à ceux qui en ignorent tout et n'en auront jamais l'expérience.

On doit déjà avoir atteint un niveau très élevé dans sa spécialité pour accéder à ces instants magiques. Il est, d'ailleurs, inutile de les évoquer spécifiquement, ils font partie d'un ensemble mystérieux, propre aux grands champions. Ils se comprennent parce qu'ils connaissent cette sortie du soi pratiquement nécessaire sans avoir besoin de la décrire. Une telle entente, qui se passe de mots pour être évoquée, serait finalement indispensable pour pouvoir dialoguer avec des références communes sans se perdre en explications interminables, on parle le même langage.

Il s'agit évidemment d'un exemple extrême, évoqué parce qu'il illustre bien la communication facile qui s'établit entre semblables, même s'ils ne se connaissent que sous un jour particulier : dans tous les cas, il faut un terrain d'entente, spécifique et réservé à un nombre plus restreint, mais on voit bien comment fonctionne ce mécanisme, par exemple lorsqu'un grand nombre a regardé un match important, ils peuvent en parler ensuite sans avoir besoin d'en décrire les moments forts. Une simple allusion suffit : une grande partie du pays a vibré aux mêmes moments, les références communes s'imposent d'elles-mêmes, du moins en ce qui concerne le match.

C'est un principe identique qui s'applique quand des personnes qui ne se connaissent pas se découvrent des points communs : des centres d'intérêt, des lieux spécifiques, des amis, ou même des quartiers longuement arpentés. Si l'on pousse plus avant, ce sera une même façon de voir et de vivre les choses, d'en parler ou d'éprouver des sentiments identiques face à un événement et surtout de posséder le même sens de l'humour.

Y a-t-il plus grand plaisir que de rire ensemble après une simple phrase, quelques mots, une évocation, un geste à peine esquissé ? Ce sont des évocations, brèves et légères, des allusions très discrètes, presque secrètes. Les enfants adorent ce genre de rencontre, elles annoncent les débuts d'une amitié qui pourra durer indéfiniment grâce à cette entente qui se passe de mots, ce peut être un simple ressenti, mais éprouvé en même temps, il a entraîné une réaction identique, un mouvement semblable, qui peut parfois prendre l'aspect d'un refus méfiant parce qu'un infime détail aura alerté ceux qui savent rester à l'écoute de leurs sensations, même floues,
mais c'est aussi le pouvoir de savourer ensemble les moments heureux sans qu'un commentaire soit nécessaire.

Ces perceptions difficiles à décrire et encore plus à expliquer caractérisent souvent les personnes douées : elles sont depuis toujours dotées de ces capacités et s'entendent alors bien mieux avec celles qui possèdent le même mode de fonctionnement. Ce serait, en fait, une des conditions essentielles à l'instauration de liens amicaux solides et sûrs. Il ne peut pas y avoir de trahison quand on éprouve les mêmes sentiments : trahir l'ami reviendrait à se trahir soi-même avec la souffrance qu'une telle situation entraîne.

L'impression de s'être toujours connu s'impose très vite, on aurait même la tentation de parler, sous forme métaphorique, de vie antérieure, de planètes ou d'univers lointains où les nouveaux amis se seraient déjà rencontrés : ils se reconnaîtraient alors avec le plaisir éprouvé lorsqu'on retrouve par hasard un ami de longue date perdu de vue,  mais jamais oublié. Ce sont les circonstances qui les auraient séparés, bien malgré eux. Leur bonheur est alors d'autant plus intense qu'il est inattendu.

Comme les athlètes qui ont vécu les mêmes instants hors du temps et de la réalité banale, -mais ces éléments sont constamment présents dans leur esprit et donc dans leurs discours,-ceux qui se reconnaissent entre eux et qui reconnaissent chez l'autre quelque chose d'eux, tel un reflet qu'ils n'espéraient peut-être jamais trouver, apprécient ces rencontres toujours dictées par le hasard, mais on peut aussi se dire qu'à tant cheminer seul sur des routes rarement empruntées, l'éventuelle rencontre avec un autre marcheur recèlerait en elle-même toutes les prémices d'une entente immédiate et sans ombre.

Déjà, les enfants s'inventent parfois un double, bien commode pour continuer une discussion amorcée avec d'autres, mais trop tôt interrompue. Il est néanmoins plus gai de laisser son esprit vagabonder lorsqu'on est plusieurs, chacun apporte sa propre vision et enrichit le propos. Pour ceux qui les entourent, il s'agit d'un tout petit cénacle comme il s'en forme pour discuter entre soi d'un événement juste survenu, alors que ces échanges dépassent de loin cet événement qui aura peut-être servi de point de départ, mais l'imagination que chacun laisse vagabonder entraîne très loin ceux qui peuvent la suivre, enchantés de pouvoir partager ces escapades un peu folles avec des semblables sans que personne soit traité de dérangé et sans se heurter à un mur d'incompréhension butée, renforcée par le sentiment de supériorité de ceux qui se félicitent pour leur côté rationnel, tellement sécurisant.

Se promener parmi des concepts fumeux et leur donner une réalité, même fugitive, est un grand plaisir que peu savent s'offrir, eux-mêmes sont éblouis quand ils réalisent qu'ils ont pu s'exprimer sans s'assurer au préalable que leurs paroles seront comprises avec l'exacte intention qui a présidé à leur formulation. C'est un sentiment de liberté rarement atteint : surveiller ses paroles et auparavant ses idées avant de les énoncer devient vite une seconde nature, trop de spontanéité entraîne vite un diagnostic de TSA, ou d'un trouble de cet ordre, dont il est ensuite difficile de se défaire.

Conseils : ne pas s'inquiéter si un enfant parle avec beaucoup d'enthousiasme d'amis avec lesquels il s'entend particulièrement bien alors qu'ils ne partagent pas forcément d'activité commune. Une fois qu'on s'est assuré qu'il n'y a pas de manipulations sournoises ni de perversité, on peut se réjouir de cette amitié fondée sur une étourdissante impression de liberté dans l'expression, et tant mieux s'ils envisagent, entre autres, d'écrire une épopée en douze chants ou la réalisation de quelque autre projet de cet ordre.