La liberté des enfants doués

Il ne s'agit pas de cette liberté qui consiste à suivre sur le champ ses caprices et ses envies du moment, mais de celle de pouvoir être réellement soi-même, sans être obligé de subir une contrainte.

La liberté des enfants doués
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Très vite, les enfants doués, lorsqu'ils sont soucieux d'harmonie, ont appris qu'ils doivent freiner quelques-unes de leurs réactions spontanées, même si elles leur semblent légitimes. Cette situation, qu'ils ont souvent bien du mal à accepter, se répète un peu trop souvent en classe quand ils ne doivent pas donner la réponse qui leur est venue tout naturellement à l'esprit tandis que le reste de la classe attend tranquillement que la maîtresse donne cette réponse. Dans pareil cas, l'enfant doué a appris à se réfréner. Alors qu'il brûle d'envie de lever le doigt en tressautant d'enthousiasme à l'idée de pouvoir répondre, il doit se garder de dire "moi ! moi ! ", il ne doit même rien dire du tout et brûler son impatience en son for intérieur.

Il préfère éviter qu'on lui reproche sa précipitation et le désir, qui lui est complètement étranger, de chercher à prouver qu'il est meilleur que les autres. En réalité, il veut montrer à la maîtresse qu'il s'intéresse vraiment au cours, il participe, mais à l'excès, et c'est ce qu'on lui reproche. Il ne laisse aucune chance aux autres, résignés à accepter leur ignorance ou leur plus grande lenteur d'esprit : ils auraient fini par trouver cette réponse, mais pas aussi rapidement.

La maîtresse exprime ses doléances aux parents, à charge pour eux d'expliquer qu'il faut se garder de montrer un intérêt trop passionné pour l'enseignement, la passion n'est pas de mise en classe, elle dénote. L'enfant doué, qui a frôlé le soupçon d'hyperactivité, a toujours la possibilité de se réfugier dans ses rêves, il ne s'ennuie donc pas. C'est là un exemple presque caricatural, même s'il est fréquent, mais cette obligation de s'imposer un frein se retrouve dans de multiples occasions : avec ses copains, il faut se montrer attentif et éviter des mots plus rares, mais fréquents dans les livres, pour que l'échange évite tout malentendu. L'enfant doué recherche éperdument le lieu où il pourrait s'exprimer avec naturel, sans filtre ni censure, assuré d'être compris et de recevoir une réponse en rapport avec les idées émises.

Il ne veut pas avoir toujours la sensation que ses paroles tombent dans un vide intersidéral - puisqu'il connaît déjà le mot- comme si elles n'avaient aucune importance ni même aucune signification. À l'instar d'Alceste, le misanthrope de Molière, il rêve de trouver un espace "où d'être enfant doué, on ait la liberté". Il n'a pas l'impression d'une extravagance, il s'étonne un peu d'être le seul à émettre un tel souhait : juste un petit espace où il éprouverait le sentiment libérateur d'être enfin lui-même, sans chercher à se comporter selon son anticipation des réactions de son entourage. S'il a la chance de pouvoir dessiner, sans être honteux de ses productions, ou bien de savoir rédiger avec l'élégance qu'il admire dans ses livres favoris, il connaît le plaisir de goûter à la liberté en suivant son inspiration, mais, comme rien ne saurait être parfait, c'est dans la solitude qu'il peut goûter ce bonheur.

Certes, ses parents admirent ses dessins ou ses écrits, mais peut-être veulent-ils seulement éviter de le décevoir, ils admirent bien  les gribouillages du cadet, encore peu critique vis-à-vis de ses productions. Ils les affichent même parfois dans la cuisine alors qu'ils sont objectivement affreux. Il lui faudrait une toute petite fenêtre, mais il sait qu'elle ouvrirait sur des espaces infinis et sur une profusion de chemins possibles ; il conviendra d'être prudent, de ne pas se lancer étourdiment, mais l'idée d'une liberté totale de penser ce qu'il veut, sans encourir de blâme, d'évoluer à sa guise en menant sa réflexion dans des domaines même austères ou abstraits, de choisir l'activité qui l'attire, sans susciter de critiques ou de moqueries, lui semble fascinante.

Sage et raisonnable, il sait qu'il y a des contraintes qu'il faut impérativement respecter : il n'est pas asocial, en toutes circonstances, il privilégie une nécessaire harmonie. C'est, d'ailleurs, pour cette raison qu'il a si vite compris qu'on est bien plus prisonnier de ses propres réactions et de ses sentiments mal contrôlés que des obligations imposées.  

Depuis longtemps, il a constaté autour de lui que des sentiments tels que la jalousie ou la colère entraînent des réactions qu'on risque de regretter une fois revenu à plus de raison. Ces sentiments néfastes ont bloqué le jugement, l'empathie, ils ont inspiré des comportements dont on pourrait avoir honte si on ne tentait pas de se justifier par des arguments si manifestement fallacieux qu'il faudrait être vraiment stupide pour les prendre au sérieux. L'enfant doué refuse de s'enfoncer dans ces justifications boiteuses qui, justement, mettent l'accent sur le côté irrationnel d'attitudes échappant à la maîtrise d'un raisonnement bien construit. S'affranchir de ces sentiments primitifs permet de trouver une réelle liberté : on est maître de toutes ses réactions, celles qui semblent si primitives ne bloqueront pas le libre arbitre, très tôt privilégié par l'enfant doué.

Alors, il pourra suivre son intuition, ses attirances pour des domaines parfois peu connus, il construira sa personnalité sur les bases solides que sa sagesse lui a données en choisissant avec soin tous les éléments. Il aura victorieusement combattu les noirs sentiments qui auraient pu l'envahir sans qu'il y prenne garde, provoqués par des réactions archaïques dont il ne se serait pas cru capable. La vraie liberté est à ce prix. On qualifie bien les personnes trop impulsives ou soumises à une quelconque addiction d' "esclaves".

C'est ainsi qu'il saura qu'on ne peut pas l'influencer, son jugement, bien étayé par la logique et la raison, résiste aux arguments, un peu faussés si on les écoute attentivement, il suivra alors son chemin, sans autre entrave que celles qu'il a tout naturellement acceptées parce qu'elles sont garantes de paix et de sérénité, elles permettent d'aller de l'avant sans crainte de dévier à cause de l'aveuglement qu'entraînent des réactions peu raisonnées. Cette liberté est un bien précieux, qu'il a fallu conquérir et qui procure ensuite les plus grandes joies.

Conseils : la liberté ne se construit pas au travers des caprices qui empêchent d'accéder à la pleine maîtrise de soi.  On s'efforce alors de la favoriser en la plaçant bien dans les limites qui la permettent. Il ne s'agit pas de laisser prendre des risques insensés parce qu'on a suivi   ses impulsions sans réfléchir ni chercher à en comprendre l'origine. La liberté bien comprise favorise une construction solide de la personnalité.