Les rêveries des enfants doués

Il va de soi de qualifier les enfants doués de " rêveurs ", ce serait même une des premières caractéristiques qui vient à l'esprit quand on veut évoquer leurs spécificités.

Les rêveries des enfants doués
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Non que les autres enfants ne soient pas aussi " rêveurs ", mais ce serait dans une moindre mesure, ils ne semblent pas considérer la rêverie comme une de leurs occupations préférées et ils ont souvent un objet précis qui l'alimente : les prochaines vacances, une fête à venir, un spectacle qu'ils sont enchantés d'aller voir et, ensuite, ils se remémorent les moments qui les ont ravis. Sans doute, la liste à envoyer au Père Noël fait-elle aussi, en saison, partie de ces sujets.

Chez l'enfant doué, la rêverie ferait tellement partie de sa nature, qu'il ne sait même pas qu'il est en train de rêver ; c'est lorsqu'il entend qu'on s'adresse à lui pour lui demander de redescendre qu'il se rend compte qu'il était parti en pensée, parfois sans même savoir précisément où, parce qu'il était encore en train de tâtonner avant de se décider pour un thème donné, il se laisserait plutôt guider par son imagination, qui, elle, saurait où se diriger.

Un pouvoir pour l'enfant doué

Un mot saisi au vol, une image créée par ce mot, l'association d'idée qui suit, il n'en faut pas plus pour s'engager hardiment dans ces chemins inconnus tellement attirants où il fait si bon flotter. Grâce à ce pouvoir, l'enfant doué ignore l'ennui : quand il se rend compte qu'il va devoir supporter un temps assez long de vide alors qu'aucun livre n'a été prévu, il préfère commencer à échafauder une histoire, souvent bien construite et structurée, mais, comme il n'aime pas beaucoup écrire, cette histoire, peut-être passionnante, risque de rester dans son esprit et de s'effacer petit à petit, remplacée par d'autres, empruntant des bribes d'action à la précédente.

Souvent, d'ailleurs, ces rêveries s'inspirent des lectures : certains livres peuvent être à l'origine de bien des rêves, ils ont fourni une trame sur laquelle on peut broder à loisir, ils ont donné le départ.

Rêver a des avantages

Cette faculté de rêver si facilement présente de multiples avantages : elle ne tient pas de place et peut s'accompagner uniquement d'un léger doudou, avec toujours le risque de l'égarer et de connaître le drame de la perte, la déchirure, le deuil. Le rêve reste toujours accessible, ce serait le moins encombrant des bagages, mais c'est aussi une malle aux trésors inépuisables, enrichie au fil des ans par l'expérience, les connaissances acquises et surtout la lecture, nourriture essentielle de l'imaginaire. Des univers entiers sont contenus dans cette malle, ces rêveries sont précieuses : elles vont participer à la construction de la personnalité, même si, plus tard, l'enfant les aura oubliées.

En réalité, elles l'accompagneront toute sa vie, laissant une trace qui ne s'effacera pas, qui se mêlera à d'autres, et il ne saura plus d'où lui viennent ces idées : la malle magique sait rester discrète. Cette faculté de s'évader de la sorte, parfois tellement agaçante pour les adultes quand ils voient l'attention qu'ils espéraient capter se dissiper comme un nuage qui s'effiloche, apporte une liberté peu habituelle à un si jeune âge. Il ne s'agit pas de rébellion, de désir de toute puissance ou de caprice têtu, mais d'une capacité à échafauder des mondes foisonnants, où on peut évoluer à son gré et quitter sans regret pour d'autres, encore plus attrayants, construits à partir de connaissances nouvellement acquises ou d'associations d'idées inattendues.

Une faculté essentielle pour l'enfant doué

Ces escapades sont certainement nécessaires à l'enfant doué, elles sont le contrepoint des obligations qu'il accepte de bonne grâce quand il n'est pas d'un caractère vite révolté, elles tempèrent les moments où il doit se faire violence pour conserver une harmonie de relation, indispensable à son bien-être. Quand il est suffisamment raisonnable, il se contraint tout de même pour éviter de donner de lui l'image d'un incorrigible rêveur, suscitant d'inévitables moqueries et entachant pour longtemps son image : il préfère avoir l'air le plus normal possible.

Il sait qu'une fois adulte, il pourra enfin laisser libre cours à cette précieuse rêverie, il saura se ménager les moments nécessaires, en marchant, dans le train, partout où il pourra se former une bulle de solitude dans un environnement pas trop bruyant et il retrouvera le plaisir qu'il goûtait dans son enfance, quand il pouvait s'évader dans un univers qui lui appartenait en propre. Ces royaumes qui se succédaient, se mélangeaient parfois, s'inspiraient les uns les autres, mais se combattaient rarement, ont laissé leur empreinte : elle s'est peu à peu transformée pour alimenter des cerveaux d'adultes. Ils ont pu lui apporter plus de structure, plus de rigueur, plus de profondeur aussi. Entre-temps, ces adultes toujours rêveurs ont découvert la philosophie, certains tableaux suggérant d'autres univers d'une beauté inconcevable et des auteurs ayant su mettre des mots capables de faire partager leurs escapades rêveuses à un grand nombre. 

Une différence positive

Quand un enfant rêve, il devient différent, ce n'est plus celui qui s'applique en classe, qui joue dans la cour ou qui participe chez lui à la vie de la maison, il devient Le Rêveur. Il peut tout diriger, il ne doit plus se soumettre aux injonctions des adultes qui en ont le droit, tandis qu'il a le devoir d'obéir. Il dirige à son gré les protagonistes, les événements, il choisit le décor selon son goût, il apprécie le bonheur d'une liberté absolue, il évolue avec une aisance confondante, lui qui s'embrouille si souvent dans les gestes les plus ordinaires, il est le chef d'orchestre d'une symphonie qui constitue à elle seule tout un univers.

Il est tellement tentant de basculer dans ces mondes plus joyeux, plus animés et plus divertissants qu'il faut une grande force de caractère pour résister à cet attrait, mais l'enfant doué, réaliste et raisonnable, sait que ce sont les données enseignées en classe qui fournissent les éléments nourrissant ses rêves. Ce n'est pas seulement dans les livres, c'est aussi dans ce savoir immense, dont il reçoit quelques bribes, qu'il va puiser son inspiration.

Le rêve n'a d'attrait que parce qu'il fournit des échappées, mais ce plaisir reste virtuel, ce n'est pas lui qui donne une réalité aux câlins, aux histoires racontées le soir, aux fou-rires entre copains, aux jeux, aux gâteaux d'anniversaire, aux activités où il faut se dépasser, aux victoires durement remportées sur un obstacle particulièrement ardu, à la joie d'accéder à plus d'habileté, plus de science, plus d'autonomie… Le rêve est une nécessité, il enjolive l'existence, il ne la constitue pas.

Conseils : admettre qu'un enfant a besoin de rêver, le rêve contribue à l'édification de sa personnalité, mais on peut aussi lui expliquer les inconvénients d'y chercher trop souvent refuge, il doit se préparer à construire sa vie et goûter aussi aux joies concrètes et essentielles de l'existence.