La surprenante intuition des enfants doués
Certains enfants font très tôt des remarques tellement pertinentes qu'on aurait tendance à ne pas les prendre au sérieux, pensant qu'ils répètent une phrase entendue, mais alors où ont-ils pu saisir des idées aussi judicieuses ?...
Personne ne reconnaît les avoir énoncées et ces enfants lisent encore trop malaisément pour les avoir trouvées dans un journal ou un livre que leurs parents n'auraient pas encore ouvert… Ils ont trois ans et en sont encore à un déchiffrement plutôt laborieux. Parfois, les adultes se remémorent ces remarques, qu'on peut difficilement attribuer au hasard, surtout si cette situation se répète, ils s'en étonnent et préfèrent peut-être éviter d'approfondir une réaction qui les dépasse complètement, échappe à leur maîtrise et reste incompréhensible.
On ne tient pas compte de ses remarques, pourtant pertinentes
L'enfant doué a dit ce qu'il avait à dire et puis très vite, il se rend compte que les adultes ne tiennent pas compte de ses observations : ils semblent surpris, certes, mais ils continuent à se comporter comme s'ils n'avaient rien entendu. Lui, voulait simplement engager une conversation traitant d'un sujet plutôt banal, sans rien de particulier ou d'extraordinaire à ses yeux, il s'attendait à ce que ses parents lui répondent comme ils le font habituellement et non à ce qu'ils ignorent sa remarque. En fonction de son tempérament, cet enfant perspicace se résigne ou s'agace, mais son entourage continue à ignorer ses interventions, il attribue ses réactions à un hasard heureux sans réaliser qu'elles ne surviennent pas à n'importe quel moment.
Les adultes ont oublié comment ils savaient élaborer des pensées originales
Pourtant, si ces adultes plongeaient dans leurs lointains souvenirs, ils sauraient qu'ils ont connu les mêmes frustrations, quand on ne les entendait pas, même s'ils insistaient parce qu'il fallait prévenir les grandes personnes de l'imminence d'un événement pour qu'elles s'y préparent. Ils se souviendraient comment ils avaient peu à peu renoncé à parler dans le vide, ou alors seulement à leur animal familier ou à leur jouet favori pour que ce contenu soit tout de même formulé.
Ils ont oublié par quels chemins ils parvenaient à ces conclusions et pourquoi la suite des événements leur donnait raison, ils ont fini par désirer ressembler à tout le monde au lieu de répéter ce que leur inspirait leur voix intérieure, puisque, manifestement, les adultes n'étaient pas intéressés.
Se plier à la pensée commune
Ils ont adopté la pensée commune, attitude dictée par cette sorte de sagesse qui préside aux renoncements, ils n'ont plus surpris personne, ils ont parlé comme les enfants de leur âge, en s'appliquant seulement à employer le mot juste et à suivre une syntaxe qui ne trahirait pas leur pensée, en s'efforçant désormais de maintenir cette pensée dans les strictes limites de la banalité. Ils ont cessé de se tourmenter.
Des indices dès la naissance
Les indices ne manquent pourtant pas dès la naissance d'un enfant doué, ils pourraient alerter ses parents, qui les constatent, sans aller plus loin. On sait l'intensité du regard de ces bébés, ils se comportent très vite en prodigieux observateurs, ils scrutent leur environnement et commencent aussitôt à relier certains événements entre eux, à les associer, à les interpréter même, afin d'apporter de la cohérence à toutes ces informations qu'ils saisissent.
Ce serait l'essentiel de leur activité quand ils ne dorment pas : ils perçoivent quantité de données, minuscules, à peine perceptibles, sauf pour l'esprit tout neuf des bébés, ils les gardent en mémoire puisqu'elles vont leur être utiles pour comprendre ce qu'il se passe autour d'eux et s'y préparer. Ils prennent le pli, dans leur âge le plus enfantin, de retenir ce qui semble essentiel pour le rattacher à d'autres données présentant un lien avec ce premier événement. Ils captent les sentiments et les émotions de leur entourage proche, mais aussi ceux qui circulent plus loin, comme s'ils modifiaient la qualité de l'air : la tonalité des voix, les réactions à des sons insolites, ou aux informations ensuite commentées.
Ces infimes données forment un ensemble pouvant déboucher sur un événement qu'on aurait pu prévoir. Quand ces enfants peuvent s'exprimer, souvent encore très jeunes, ils mettent les adultes de leur entourage au courant de leurs conclusions, heureux de participer, de façon déjà utile, au déroulement de l'existence.
Une rigoureuse logique soutient la fulgurance de la pensée
Avec une sûreté étonnante et une rigueur implacable, ils ont tiré la conclusion la plus logique de tout ce qu'ils ont perçu, ils ont suivi leur intuition qui ne peut pas se tromper, elle se passe de vérification, elle saute les étapes d'un raisonnement uniquement logique qui, lui, doit progresser de cette façon pour éviter de s'égarer, elle est seulement guidée par une fulgurance qui s'impose, et qu'on serait bien en peine d'expliquer dans le détail. Toutes les données qui aboutissent à cette unique conclusion s'enchaînent avec une rapidité qui échappe à toute maîtrise et cette unique conclusion s'impose avec une certitude absolue.
Pour les enfants doués, il s'agit d'une démarche de pensée toute naturelle, ils n'imaginent pas qu'on puisse remettre en question leur idée puisqu'elle leur paraît aussi simple que des évidences que personne ne songerait à contester, ils s'étonnent alors qu'on n'y prête pas attention, qu'on ne la prenne pas en compte et ils commencent à douter de la valeur de ces idées. La plupart des adultes, qui sont leur modèle, ne fonctionnent pas du tout de cette façon, ils réfléchissent lentement et ils se réfèrent à des idées toutes faites, puisées à l'extérieur et trouvées par d'autres. Ce n'est plus tout à fait leur fonctionnement propre, ils font des emprunts sans les remettre en question, puisqu'ils sont admis par le plus grand nombre, donc considérés comme sûrs.
Quel bonheur alors quand ils croisent un adulte usant du même fonctionnement, ils suivent un cheminement identique, sans même qu'il soit nécessaire d'en décrire les étapes. Cet adulte est d'ailleurs souvent un proche – c'est une caractéristique familiale – mais l'adulte s'est imposé des contraintes pour éviter de se différencier à l'excès. Il n'a plus confiance en lui, il se méfie.
Peu à peu, les enfants doués deviennent plus timorés quand ils expriment leurs idées, de toute façon, on ne les croyait pas, ils estiment plus prudent, plus sage, moins risqué, d'agir comme tout le monde et de refouler cette fulgurance qui les traversait si facilement.
Enfin, ils sont comme les autres, ils répètent avec conviction les idées dominantes, ils ont fait taire leur voix intérieure, mais ils ne peuvent pas se défaire totalement d'une discrète réserve, ils ne sont pas complètement dupes de ce qu'ils répètent en chœur, heureux de ne pas se différencier, frustrés de devoir brider leur mode de pensée et surtout effrayés quand ils pressentent une catastrophe que personne ne voit arriver.
Certains parviennent à conserver une utilisation déguisée de cette façon d'être : par la création artistique, ils peuvent exprimer leurs pensées profondes. Toutes les formes d'art s'y prêtent : peinture, musique et la voie royale de la littérature. Là, tout est permis, ils n'ont pas été contraints de garder pour eux un message tellement important et "que ceux qui ont des oreilles entendent..." Il y a des professions où cette qualité est utile, mais elle reste discrète et on attribue ces succès à la chance, à un heureux hasard ou bien à la pleine possession du métier.
Conseils : il est toujours souhaitable d'écouter les enfants lorsqu'ils disent des choses surprenantes, cela ne signifie pas qu'il faut les considérer comme des oracles, mais il est préférable de ne pas étouffer cette expression de leurs pensées profondes en suscitant, à la place, des doutes constants.