"QI compensé", saut de classe : comment les enfants doués trouvent-ils leur place ?

On parle peu de ces enfants, sinon avec une circonspection qui laisserait penser que leurs caractéristiques spécifiques les différencient tant des autres que trop d'aspects de leur personnalité échappent à l'entendement et qu'il est donc préférable de rester très prudents. Il s'agit des enfants qui se situent tout au bout de la courbe, dite normale, de répartition des notes obtenues à un test donné.

"QI compensé", saut de classe : comment les enfants doués trouvent-ils leur place ?
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Ces enfants dépassent, de loin souvent, les notes les plus élevées obtenues par les enfants de leur classe d'âge. Il convient alors de les comparer à des enfants d'un an de plus et, là encore, ils atteignent des notes très supérieures. C'est Jean-Charles Terrassier qui a décrit cette méthode appelée "QI Compensé". Elle renforce, entre autres, les arguments utilisés pour demander un saut de classe : si un enfant atteint un QI de 130 dans ces conditions, le saut de classe est vivement conseillé. 

Au-delà de cet aspect chiffré, il y a des enfants qui peinent vraiment à trouver leur place. Leurs parents sont vite déconcertés, tout en appréciant cet enfant sage, heureux de découvrir de nouveaux savoirs, dont la conversation est tout à la fois empreinte d'humour et d'une sagesse profonde, teintée de philosophie. On oublie vite son âge réel, on ne le considère pas non plus comme un enfant qui serait seulement plus âgé : ses remarques, ses questions, les raisonnements qu'il développe sont aussi très rares chez la plupart des enfants. 

"Très tôt, il est obligé de se construire une armure".

Il constate rapidement que son entourage proche est souvent décontenancé. Ainsi, il a très tôt su lire, personne ne peut dire comment il a appris, mais il déchiffre avec un totale aisance les histoires qui lui plaisent, heureux de pouvoir explorer d'autres univers sans être toujours obligé d'ennuyer ses interlocuteurs avec ses questions incessantes qui les plongent curieusement dans l'embarras.

Les adultes ne sauraient donc pas répondre à toutes les questions et le voilà, sans l'avoir voulu et sans même y avoir songé une seconde, dans un rôle de perturbateur, dérangeant la tranquillité de ceux dont il attendait tout. Il devient alors d'une extrême prudence et il ne parle pas à la légère. Il attend de prendre la mesure de son interlocuteur et il imite les autres enfants pour éviter de se faire stupidement remarquer par une réaction qui sera trop surprenante et qui va alors profondément désarçonner son interlocuteur.

Il s'installe dans une méfiance qui devient une seconde nature chez lui. Très tôt, il est obligé de se construire une armure. Elle le protège tant bien que mal contre tous les malentendus qu'il provoque, bien malgré lui, par la pertinence, presque inconcevable pour certains, de ses propos et elle filtre, avec plus ou moins d'efficacité, ses propos jaillis trop spontanément. Il a vite appris qu'il est préférable de rester sobre dans ses paroles, d'éviter la remarque spontanée qui lui vient à l'esprit, ou bien, ce qui est encore pire, la conclusion que lui dicte sa perspicacité, quand elle n'a pas été déjà freinée par les idées couramment admises qu'il vaut mieux se garder de contredire.

Un filtre constant

Ce filtre constant qu'il est contraint de conserver peut lui donner le sentiment de flotter entre deux univers : le sien propre avec son environnement familier où il peut se conduire à peu près normalement, et le monde extérieur, qui commence à l'école, où il ne faut pas baisser sa garde. Tout n'est d'ailleurs pas aussi tranché. Parfois, chez lui, il a émis distraitement un avis qu'il estimait anodin, et il voit tout à coup ses parents perplexes, surpris, inquiets même, alors qu'il avait simplement donné son opinion sur une personne de leur entourage, par exemple, persuadé que ses parents la partageaient, et il les voit troublés plus que de raison, affolés parfois.

Les parents estiment préférable et plus sage d'ignorer cet avis et de continuer comme par le passé à fréquenter cette personne dont leur enfant avait semblé se méfier. Ils oublient même cette mise en garde quand, bien plus tard, il s'avère que leur enfant avait raison. Lui, préfère les ménager plutôt que de faire du triomphalisme mal venu, sur le thème " je l'avais bien dit ! ". La notion d'enfants doués est maintenant assez répandue pour que le recours aux tests soit plus facile à envisager. Toutefois, le résultat annoncé ne résout pas les problèmes du quotidien, parfois tellement surprenants. Il les explique, les justifie, mais il ne fournit pas le mode d'emploi à appliquer. Il facilite aussi un saut de classe, mais c'est une infime modification, même si ce saut est répété, avec les conséquences annexes pas toujours positives qu'il entraîne. 

Le monde intérieur de ces enfants est d'une richesse incommensurable, empli d'êtres merveilleux, à tous les sens du terme, de batailles cosmiques, de cavalcades dans des espaces ignorés, mais très construits, pour une fois que ces enfants ont le pouvoir de maîtrise sur leur environnement. Cette absence de maîtrise est peut-être le plus difficile à accepter pour eux. Leur perspicacité et leur sagesse ne suffisent pas pour qu'ils puissent prendre les décisions qui les concernent. Ils sont obligés de suivre celles qu'on prend à leur place, et ils se rendent très vite compte quand elles ne conviennent pas, sans pouvoir s'insurger : les grandes personnes savent ce qui convient aux enfants…

Flottement entre deux univers

Une fois adultes, ils conservent cette impression de flotter entre deux univers. Ils sont attirés par de multiples voies, ils en tentent plusieurs, parfois de front sans que cela les gêne, et même s'ils trouvent de l'intérêt aux études qu'ils entreprennent quand elles conviennent à leur désir de connaissances poussées au plus loin, en suivant les chemins plus larges qui s'ouvrent enfin devant eux. Mais les relations amicales proches, sincères et confiantes sont toujours aussi délicates. Elles s'appuient sur des centres d'intérêt communs ou sur une façon spécifique d'appréhender l'existence. L'armure ne peut pas être facilement abandonnée. Il y aura toujours la jalousie que suscite cette admirable aisance et l'incompréhension de cette cohérence absolue de la pensée qui finit par la rendre peu accessible parce que le raisonnement s'est déroulé si vite que les étapes n'ont pas été mentionnées, alors qu'elles sont nécessaires pour le plus grand nombre. Ce sont ceux qui se situent à l'ultime extrémité de la courbe qui font les découvertes les plus fracassantes, qui ont des éclairs de génie apportant une solution à une situation paraissant insoluble, qui tracent des routes que personne n'avait songé à emprunter, toujours guidés par cette rigueur logique qui évite les impasses. Connaître un tel trésor est une chance qu'il faut apprécier comme il se doit.

Par Arielle Adda