Le malaise flou des enfants doués

Parfois, des enfants doués, surtout quand ils ne sont pas identifiés comme tels, éprouvent le sentiment flou, qu'ils ne sauraient précisément définir, de ne jamais être exactement comme on s'y attendrait.

Le malaise flou des enfants doués
© soloway

Des sentiments persistants

S'ils voient leurs camarades jouer sans arrière-pensée, rire ou se fâcher, tout entiers pris dans le moment qu'ils vivent, pour oublier ensuite très vite les émotions qui les avaient pourtant parfois bouleversés : chez l'enfant doué l'amertume d'une déception laisse longtemps sa trace, il n'oublie pas les émotions ressenties avec force, il ne comprend pas la légèreté des autres. Ces subtiles différences apparaissent de plus en plus nombreuses à mesure que l'enfant doué grandit et que ses centres d'intérêt se multiplient. Il se rend compte que les domaines qui l'attirent, parfois passionnément, laissent les autres enfants indifférents ou même qu'ils semblent totalement étrangers à leur univers du moment. C'est alors lui-même qui se sent étranger dans ce monde qui est le sien, sans modification possible. Il lui vient à l'esprit l'idée qu'il sera, peut-être sa vie durant, voué à une solitude profonde dès lors qu'il se laissera aller à être lui-même : il en est accablé, pensant qu'il est bien seul.

C'est alors lui-même qui se sent étranger dans ce monde qui est le sien

L'effort de trop ?

"Fais un effort" lui dit-on quand on veut l'aider... Les personnes attentives et pleines de bonne volonté, voyant sa tristesse et sa solitude, lui conseillent de " faire un effort ", ce qui signifierait d'oublier tous les sujets qui l'attirent, de cesser de poser des questions et surtout de se forcer à jouer à des jeux qui ne lui plaisent pas du tout, parce que trop violents ou bien trop enfantins, avec la compagnie d'enfants qui n'utilisent pas le même langage et n'ont pas la même compréhension des événements. Dans son cas " faire un effort " ne consiste pas à chercher la solution d'un problème plus complexe de mathématiques ou bien d'assimiler une règle plus subtile de grammaire, mais, au contraire, à oublier les joies de l'esprit, à surveiller son langage, et à jouer sans réfléchir à des jeux qu'il ne choisirait jamais.

On conçoit qu'il puisse se sentir accablé par un sort pervers qui a fait de lui un enfant différent et le seul remède qu'on lui propose est de " faire un effort " à lui qui, justement est très heureux quand il a l'occasion de fournir un véritable effort pour exécuter un travail difficile et le réussir ! Il semble être le seul pour qui la notion " d'effort " aurait cette signification particulière et rien n'indique que cette situation pourrait se modifier un jour. Il serait alors condamné à vie à se forcer pour tout ce qui devrait constituer un agrément. Certes, il connaît de bons moments, avec ses parents il a vu des merveilles, il a été heureux dans la compagnie d'adultes ou d' enfants plus grands qui ne parlaient pas d'effort mais de données nouvelles, souvent passionnantes : ce sont de brèves parenthèses et il voit bien que ses parents sont désarmés, il leur est même arrivé de lui demander, par inadvertance certainement et en citant les pédagogues, s'il ne pourrait pas " faire un effort " pour se plaire davantage en classe.

Des réactions excessives, comme lui

Il réagit en fonction de son tempérament : tristesse ou colère

Cet enfant qui ne trouve pas sa place, mais qui, apparemment, est le seul à devoir la chercher, réagit en fonction de son tempérament : soit il se résigne en silence et se replie sur lui, comme pour se protéger, soit il paraît se désintéresser de tout et s'endormir, soit il est rongé par une colère latente, constante, souterraine, qui s'extériorise par accès, comme un volcan endormi, mais pas éteint, avec de brusques réveils qui surprennent l'entourage. En effet, rien ne justifie cette brutale explosion ou alors un événement tellement dérisoire qu'il provoque une perplexité sans réponse. L'enfant soudainement explosif y aurait vu le signe que rien n'allait jamais changer dans son existence et qu'il devrait s'accommoder éternellement de ces incessantes frustrations et de cette avalanche de malentendus, lui seul parmi les autres. Tout à coup, cette perspective si sombre lui a paru intolérable. Il a explosé dans une colère désespérée parce qu'il a pris conscience de sa totale impuissance : jamais il ne pourrait modifier cette situation. Il se demande comment ses parents, qui semblent pourtant si bien le comprendre, se sont arrangés pour s'accommoder de ce décalage. Ils ont même des amis, ils s'apprécient et sont heureux de se voir. Les grandes personnes ont donc trouvé le moyen de vivre une existence heureuse alors que lui ne voit pas d'issue plus gaie au chemin sinistre qu'il est obligé de suivre.

Des parents aussi proches qu'impuissants 

On lui a bien raconté des fables pour lui faire prendre patience : ce sera mieux plus tard, en Primaire, au collège, au lycée, ses parents avaient même l'air d'en être persuadés, à croire qu'ils avaient tout oublié de leur enfance, ou bien qu'ils n'avaient pas connu ce malaise, et pourtant ils le comprennent et ne l'assomment pas souvent avec cette stupide histoire d'efforts. Peut-être ont-ils simplement eu de la chance, parfois, ils évoquent de bons moments passés à l'école, ou bien un professeur dont ils gardent un souvenir ému, et puis surtout, ils se sont trouvés, désormais ils ne sont plus seuls. Ils lui répètent que lui aussi, un jour, il rencontrera quelqu'un qui le comprendra, ils auront alors tous les deux l'impression de s'être toujours connus et plus rien ne sera pareil, mais il se demande d'où leur vient cette certitude, ils ne sont pas devins, ils sont même incapables de changer sa vie. Certains voient aussi leurs parents se battre, chacun de leur côté, ou bien même l'un contre l'autre, et ils commencent à se demander comment trouver la paix et quelques satisfactions dans ce monde où il est déjà difficile de trouver sa place.

Gare au substitut de compagnie des jeux vidéos

Perspicaces et lucides, ils ont du mal à envisager l'existence sous un jour attrayant : le remède le plus efficace serait l'éveil d'une passion, de préférence enfin partagée par des semblables. La vie prendrait alors une autre tonalité. Ce serait comme une fenêtre ouvrant enfin sur un horizon empli de promesses, sur un chemin à explorer en compagnie de proches, du moins en esprit, et Internet fait des miracles quand il est utilisé à bon escient. Il convient d'ailleurs d'être attentif : le piège des jeux vidéo est particulièrement dangereux pour ces enfants qui se sentent isolés : il n'est pas nécessaire de devoir combattre également sur ce front face à un enfant sachant argumenter avec toute sa dextérité intellectuelle. Il est préférable de prévenir cette dépendance si sournoisement attrayante.