L'enfant doué et les faux amis

L'amitié est très importante chez les enfants. Elle leur permet de se construire socialement, et de développer une certaine confiance en soi. Un concept qui n'est pas toujours facile à assimiler pour les enfants, surtout lorsqu'ils sont confrontés à de faux amis.

L'enfant doué et les faux amis
© fizkes

L'amitié est toujours chose délicate pour les enfants doués. Souvent, il arrive qu'ils se trouvent piégés dans une situation dont ils ont du mal à se défaire, sans doute faute de vision objective, mais il est parfois pratiquement impossible pour eux d'avoir cette vision, tant ils sont pris dans une relation amicale perverse. "Oui, disent-ils, j'ai un ami" - "un vrai ?", le oui devient plus hésitant. On apprend alors que cet "ami" joue avec lui faute de mieux, mais n'hésite pas à le laisser tomber s'il retrouve d'autres copains, ceux qui étaient avec lui dans la même classe l'année précédente. La sagesse pédagogique les a séparés et ils se retrouvent avec plaisir dès que possible, mais, en attendant, il y a dans sa classe un ami de substitution, gentil, généreux et doux, qui semble ravi de cette présence amicale, même si elle n'est pas constante.

Le pouvoir du faux ami 

Très vite, celui qui a perdu sa bande de copains, se rend compte qu'il peut exercer un certain pouvoir sur cet enfant qui, jusque-là, n'avait pas d'ami. Il ne tarde pas à laisser entendre qu'il est bien le seul à accepter cet enfant un peu différent comme ami. Si l'enfant doué esseulé proteste en rappelant que son "ami" le laisse tomber bien souvent pour retrouver ses copains d'avant, il s'entend répondre qu'il n'a pas le choix : il est bien normal de ne pas l'intégrer dans une bande déjà constituée, avec ses habitudes, ses rites, sa connivence.

L'enfant doué en est réduit à les regarder jouer et rire joyeusement en tentant de ne pas souffrir de cette exclusion, pourtant cruelle. Il dit qu'il se sent bien tout seul, qu'il ne s'ennuie pas, que ça lui est égal, il comprend que son ami a plaisir à retrouver ses anciens copains, il ne lui en veut pas, il sait qu'il lui reviendra quand il sera à nouveau seul et ils auront alors eux aussi de bons moments. Il sera comme les autres, courant et criant, mais, pour lui, ce n'est pas tous les jours.

Des parents perplexes

Ses parents sont dubitatifs : tout d'abord heureux que leur enfant ait enfin un ami, ils deviennent un peu méfiants, cet ami semble traiter leur enfant avec une certaine désinvolture, il lui "emprunte" des jouets ou du matériel scolaire qu'il oublie toujours de rendre, mais lui-même ne prête jamais rien, il peut aussi annuler au dernier moment une sortie prévue depuis longtemps et attendue avec impatience, il ne prend pas de grandes précautions pour ménager son "ami", il se conduit en terrain conquis.

L'enfant doué, bien que maltraité, n'oppose qu'un seul argument : c'est mon seul ami, sans lui je n'ai personne. Cette position de dépendance ne lui vaut rien. Elle lui renvoie l'image d'un enfant faible, sans défense, sans volonté même, se laissant manœuvrer tout en restant plutôt lucide sur sa situation, mais le danger est grand que ce schéma se reproduise à l'âge adulte. Tandis que le copain a, lui, aiguisé ses premières armes de pervers : repérer un enfant sensible et isolé, le désorienter en changeant sans cesse d'attitude vis-à-vis de lui, le gratifier de moments heureux qui lui valent la reconnaissance de sa victime, trouver quelque reproche à lui adresser pour justifier sa désinvolture et surtout le persuader que personne d'autre ne voudra de lui comme ami.

L'enfant doué se met en retrait

On pourrait s'étonner qu'un tel mécanisme garde son efficacité, mais combien d'adultes doués se laissent prendre sans s'en rendre compte assez tôt ? L'image que l'enfant doué se construit alors de lui, avec "l'aide" de cet ami intermittent ne
peut pas être flatteuse, il se voit dépendant, privé de tout libre arbitre, relégué à une dernière place, celle d'un enfant pas très intéressant, ni très séduisant, qui ne pourra jamais trouver sa place dans un groupe qui aime rire et s'amuser.

Sa conviction est encore renforcée quand il constate que les plaisanteries de ce joyeux groupe ne le font pas rire, que leurs jeux ne lui plaisent pas particulièrement et que ses propres centres d'intérêt sont très éloignés des leurs. Le peu qu'il saisit d'eux ne lui donne pas vraiment envie de rentrer dans ce groupe, et pourtant ils semblent tous réellement heureux quand ils se retrouvent. Pourquoi ne pourrait-il pas éprouver ce genre de sentiment, lui aussi ? Il ne peut s'empêcher d'observer une certaine réserve quand il est avec son "ami". Il sait qu'il y a des sujets qu'il ne peut pas aborder, il ne peut pas lui passer les livres qui lui ont plu parce qu'il ne saura sans doute pas les apprécier ; les aventures de ces héros l'ennuieront, son "ami" le méprisera peut-être d'être passionné par ces histoires des temps anciens, dépourvues de tout intérêt.

Une amitié nocive

Il hésite à aborder le sujet avec ses parents : ils semblaient si heureux quand il leur avait annoncé qu'il avait un ami et ils l'avaient accueilli à la maison avec une très grande gentillesse. Les parents se sont vite rendu compte de la désinvolture de cet enfant jouant un rôle d'ami, mais ils ne veulent pas se montrer trop critiques, si bien que parents et enfants, d'accord sur l'aspect fallacieux de cette amitié, éprouvent des réticences à exprimer le fond de leur pensée, trop désireux de se ménager mutuellement pour être sincères.

En fait, cette situation est néfaste, cette amitié n'apporte rien, elle sape les fondements où s'élabore la personnalité, et elle ne procure pas de vraie satisfaction : trop fugitive, ressentie à la condition de s'aveugler volontairement sur certains aspects déplaisants de cette relation, c'est une satisfaction dont on se passera facilement, même l'enfant doué ne pourra
alors plus dire "j'ai un ami", laissant entendre qu'il est comme les autres.

Conseils :

  • Ne pas hésiter à rompre une relation qui interdit de se construire de soi une image satisfaisante et ouvre peut-être la voie à d'autres relations, amicales puis amoureuses, construites sur un schéma identique.
  • Tenter de lui démontrer l'effet nocif de cette relation sur son image pour qu'il puisse le combattre et ne pas en garder de traces dans la construction de sa personnalité.
  • Chercher par tous les moyens à rencontrer des enfants également doués, la différence du mode de relation sera évidente : activités extra scolaires ou, à défaut, colonies de vacances à thème, rencontre avec des familles de la région appartenant à une association s'occupant d'enfants doués ou bien, ultime ressource, créer sa propre association s'il n'y a rien dans la région, avec ce que cette création suppose d'abnégation, de courage et d'énergie démesurée.