L'enfant doué et son univers

Edifier son propre univers est indispensable pour un enfant quand il se forge sa propre image. Mais cette démarche l'est encore bien davantage pour un enfant doué, si facilement égaré parmi toutes les injonctions qu'il reçoit !

L'enfant doué et son univers
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L'enfant doué a besoin de se souvenir de ses lieux favoris et d'en garder ses images préférées. Il aime aussi se rappeler la voix, les tournures de phrases, les plats préférés d'adultes croisés qui semblaient le comprendre. En leur compagnie, il s'est senti plus grand, plus près de comprendre certains mystères de l'univers et de trouver des réponses à quelques-unes parmi toutes les questions qu'il ne cesse de se poser. C'est un souvenir précieux qu'il conserve soigneusement. Parfois, même longtemps après, lorsqu'il hésite ou qu'il se sent perdu, il se demande ce que cet " ami " lui aurait dit et il a l'impression de ne plus être seul et abandonné. Certes, il a ses parents qui l'aiment et sont à l'écoute de ses besoins et de ses problèmes, mais il n'a jamais voulu les embarrasser et encore moins les inquiéter avec des idées qui auraient risqué de les surprendre. Ils auraient pu se tourmenter en voyant leur enfant avoir de telles pensées, alors qu'il s'agit de domaines qui n'ont jamais été abordés à la maison, sachant qu'il est peu probable que ses camarades de classe aient pu avoir de semblables idées.

Les dragons très présents

L'enfant doué aime se réfugier dans son univers peuplé de personnages, d'objets, de souvenirs réels ou vécus par procuration grâce aux héros de ses livres préférés. Il y a aussi des animaux fantastiques et pleins d'humour, ou bien terribles et semant un effroi apocalyptique. Les dragons reviennent en force, semble-t-il. Ils sont plutôt gentils et amicaux, mais, évidemment, leur colère peut être effrayante et totalement dévastatrice, comme il sied à un dragon digne de ce nom et qui doit se maintenir à la hauteur de sa réputation. L'enfant qui échafaude son univers a été enchanté quand il a découvert le mot " tanière " bien que les histoires où ce mot était mentionné évoquaient généralement un personnage peu sympathique que personne ne pouvait déranger quand il était dans sa " tanière ", mais l'idée lui avait plu. Tout comme on a besoin d'un territoire minimum pour se construire, ce même territoire doit exister dans l'esprit. C'est là que la personnalité s'élabore lentement, brindille par brindille à la manière des oiseaux construisant leur nid.

Un exact double

Ce monde, qu'on pourrait qualifier de sacré tant il est sanctuarisé, est souvent partagé avec un semblable, un exact double, dont seul l'enfant doué connaît l'existence, avec lequel il est possible, et même très plaisant, de dialoguer, parfois pour des échanges sans fin. Les arguments de l'un et de l'autre se répondent, sans que jamais l'un des deux l'emporte, mais la discussion permet de progresser. Il arrive que, distraitement, ce dialogue s'entame alors que ce n'est ni le lieu, ni le moment. L'entourage s'affole et il faut construire, dans l'urgence, une fable crédible pour expliquer la présence de cet intrus invisible, si discret généralement, au sein d'une famille unie. Quand la famille est un peu chaotique, ce double devient essentiel, mais personne n'a l'esprit à s'en préoccuper et c'est bien préférable. On n'est pas trop de deux pour affronter les orages et la fratrie, quand elle existe, n'est pas forcément d'une grande aide. Chacun vit cette tourmente à sa façon.

Animal de compagnie : le confident roi

La compagnie de ce double exclut complètement le sentiment de solitude. il peut d'ailleurs s'incarner sous une forme visible : un jouet favori, comme une peluche, un doudou ou un objet incongru dont on n'aurait jamais attendu cette fonction. Mais le Confident Roi reste l'animal de compagnie qui n'a jamais aussi bien porté son nom. Seul inconvénient, on ne peut pas l'emmener partout, il est irremplaçable en cas de drame, on n'ose à peine envisager sa disparition, provoquant parfois de véritable dépressionDe façon plus légère, il est bien agréable de pouvoir ouvrir une porte débouchant sur l'attrayant imaginaire chaque fois qu'on le désire, dans les moments d'intense ennui par exemple, lorsque cet univers s'avère indispensable pour rester sage et apparemment attentif. Quand ces vagabondages deviennent trop fréquents en classe, ils sont considérés comme inquiétants et peut-être révélateurs d'un véritable trouble de la personnalité, nécessitant donc une investigation poussée. Cet enfant, il est vrai un peu différent et même parfois surprenant, présente peut-être tout simplement un trouble de l'attention. S'il n'est pas là quand il devrait y être et s'il oublie des consignes, pourtant plusieurs fois répétées c'est parce qu'il présente ce trouble de façon discrète, mais très gênante tout de même. Les remèdes existent, tout va s'arranger. Ce peut être aussi, de façon toujours très discrète, une véritable altération de la personnalité. D'ailleurs il ne comprend pas toujours ce qu'on dit, il a tendance à prendre les expressions au pied de la lettre, ce qui engendre des situations et des malentendus qui pourraient être très drôles s'ils n'étaient pas inquiétants. Et puis, il n'a pas beaucoup d'amis…

Des parents compréhensifs

Pendant qu'on s'alarme à son propos, cet enfant vogue paisiblement sur un océan qu'il vient de créer autour de l'île qu'il se plaisait à explorer. Il va choisir quels animaux marins vont le peupler, avec un faible pour les dauphins, les baleines, les orques et aussi les requins sous leurs multiples spécificités. Malgré les propos alarmistes de l'école, les parents ne s'angoissent pas autant qu'on devrait s'y attendre. Ils savent se raisonner et conserver une vision objective de leur enfant. Il a de bonnes notes et comprend tout le contenu de l'enseignement, puisqu'il demande ensuite à ses parents des détails, des complètements d'information, une généralisation de ces savoirs. Un de ses parents, ou les deux, se reconnaissent bien dans ce rêveur poète, ils ont ensuite fait de bonnes études et ne regrettent pas les escapades qu'ils s'autorisaient. Ils se souviennent même en avoir décrit quelques-unes dans de petits carnets offerts par des adultes compréhensifs. Derechef, ils vont acheter de ces délicieux carnets qui les tentent chaque fois qu'ils rentrent dans une librairie papeterie et ils les offriront à la première occasion à leur enfant ravi, maintenant que ce souvenir est revenu à leur mémoire. Il convient toutefois de ne pas aggraver les choses : on suivra les conseils de l'école, on verra un " spécialiste " et on tiendra compte de ses préconisations. L'école ne doit pas s'inquiéter et continuer à envoyer des signaux de détresse face à un enfant qui ne ressemble pas aux autres, avec, toutefois, des aspects attachants et un don certain pour l'écriture. Ses rédactions méritent souvent d'être lues en classe. Il sait aussi résoudre des problèmes de math en empruntant des chemins originaux et élégants. Il est vraiment déconcertant.

Conseils : éviter de s'affoler si l'Ecole s'inquiète et alerte les parents en urgence. Encore une fois, un saut de classe peut éviter trop de répétitions et d'explications interminables d'une donnée comprise sur le champ. D'une façon générale une scolarité suffisamment nourrissante ne laisse pas trop de place aux évasions. Favoriser la rencontre avec des semblables qui peuvent être de vrais amis et remplacer un double malgré tout bien fantomatique et alimenter cet imaginaire avec des livres, des récits, parfois historiques et des œuvres d'art sous toutes les formes.