Ces enfants doués en décalage avec leur âge réel

L'entêtement de certains adultes à rester convaincus qu'un enfant ne peut pas penser au-dessus de son âge est remarquable : l'enfant doué se pense normal et cohérent; Son raisonnement a suivi son cours logique, ses idées lui sont venues tout naturellement à l'esprit, il les partage avec son entourage, dans un échange qu'il attend paisible, intéressant, parfois enrichissant. Et voilà que son interlocuteur, qu'il imaginait apte à lui parler, lui renvoie une réponse absurde, sans rapport avec le sujet abordé, donnant à l'enfant estomaqué le sentiment d'avoir proféré une profonde idiotie. L'idée qu'on le pense capable d'énoncer des idées aussi bêtes est très vexante, désormais l'enfant doué se méfiera de cette personne assez obtuse pour croire que les enfants peuvent dire de telles énormités. Le dialogue est impossible, on ne peut rien en attendre, l'enfant se contentera alors d'évoquer avec cet interlocuteur-là le temps qui fraîchit ou les jours qui rallongent, de cette façon, il évitera les quiproquos.

Des chemins détournés pour se faire entendre

Les enfants doués se trouvent dans la même situation que les jolies femmes : on n'imagine pas que les uns et les autres puissent concevoir des idées originales et intéressantes. Ils sont alors obligés de recourir à toutes sortes de chemins détournés pour se faire entendre et pour qu'on prenne leurs propos au sérieux, quitte à prétendre citer d'imaginaires scientifiques ou des auteurs fictif. Mais c'est plutôt un procédé utilisé par les adultes, les enfants, même doués, ne sont pas assez retors et font le plus souvent encore confiance à l'intelligence de leurs interlocuteurs.  Les propos de l'enfant doué ne sont alors pas entendus du tout, ou bien on leur prête une signification erronée ou encore on imagine qu'ils répètent des phrases qu'ils ne comprennent pas, mais, de la sorte, ils se pareraient d'un vernis d'intelligence ou de culture qu'ils ne peuvent encore posséder. Parfois, on les taxe plus simplement d'insolence, quand leurs remarques, qui sont d'un simple bon sens, paraissent receler une ombre de critique, alors qu'il s'agit d'un constat lucide,  mais une telle lucidité chez un enfant tellement inexpérimenté serait inconcevable.

Le soulagement grâce aux tests

L'enfant doué erre de quiproquos en malentendus, il se sent en constant décalage, pourtant il ne pense jamais que la raison est de son côté, au contraire, il se demande s'il est normal. Quel soulagement alors quand il passe un test : il constate qu'on apprécie ses réponses, que ses remarques sont prises en considération et, merveille !, qu'on l'estime capable de saisir un humour considéré habituellement comme l'apanage des adultes. Il n'y a plus de décalage, l'échange est fluide, agréable, reposant, puisqu'il ne se tient plus sur ses gardes. Il a compris qu'on n'interprétera pas ses paroles d'une façon absurde qui le mortifie.

L'enfant doué est enchanté d'être considéré comme un interlocuteur à prendre en considération, la hiérarchie n'est plus un carcan, il reconnaît bien volontiers qu'il ne possède pas la science infuse. Il se réjouit à l'idée de toutes les connaissances, attrayantes et séduisantes, qu'il va découvrir et entrevoit toutes les routes à explorer, sous la conduite d'adultes qui sauront l'accompagner et le guider. Tout est en ordre.

Jean-Charles Terrassier, qui les connaissait et les comprenait à merveille, a très tôt parlé de " dyssynchronie " pour évoquer le décalage entre l'âge réel des enfants doués et leur maturité intellectuelle, qui peut être différente de leur développement moteur ou de leur affectivité. Celle-ci est souvent empreinte d'une hypersensibilité qui les fait paraître immatures, alors qu'il s'agit seulement de réactions amplifiées face à l'agressivité qu'ils perçoivent chez certains interlocuteurs, agacés par tant de sagacité. Leur perspicacité même est déroutante.

La dyssynchronie, une clé miraculeuse

Cette notion de dyssynchronie est une clef miraculeuse qui ouvre la compréhension qu'on a des enfants doués, si souvent considérés comme déconcertants, alors qu'ils sont des prodiges de cohérence quand il s'agit de raisonnement. Par ailleurs, leur développement moteur est souvent celui des enfants de leur âge, ou même pas tout à fait lorsque ce sont des enfants rêveurs, parfois égarés dans les constellations, qu'ils peuvent connaître à la perfection, ou bien dans l'élaboration subtile d'une histoire qu'ils écriront un jour ou encore dans des scénarios compliqués mettant en scène leurs amis et quelques elfes. Pour eux, nous vivons tous à l'orée de forêts enchantées, même quand nous sommes dans une ville emplie de bruits et de mouvements. Rien d'étonnant à ce qu'ils semblent maladroits quand ils traversent ces changements d'espace et de temps. Dans ces forêts, dans ces espaces, ils retrouvent des amis réels ou bien fictifs mais qu'ils désireraient avoir pour amis, des gens qu'ils aiment et qui sont loin ou définitivement partis. L'atterrissage peut être rude, il leur faut du temps pour retrouver leur réalité quotidienne et reprendre le rythme, pourtant rassurant, d'une routine sans mauvaise surprise. Alors parfois, ils tombent, ils se cognent, ils ne savent plus comment attacher des lacets ni quels livres on doit apporter le lendemain en classe. Certains sont tellement plus à l'aise dans leur univers, qu'ils tiennent à s'habiller en accord avec ce monde raffiné. Ils sont alors d'une élégance parfois désuète qui leur confère un charme particulier, séduisant pour les âmes romantiques. Un choix de vêtements, un langage avec ses mots choisis, des centres d'intérêt, souvent passionnés : il y aura toujours des éléments déconcertants chez l'enfant doué, mais ils n'étonneront pas ceux qui les connaissent bien et qui, justement, apprécient leur personnalité déjà si riche.