Un piège de la révélation du don intellectuel

Quand les parents apprennent le résultat du test passé par leur enfant, ils sont tout d'abord étourdis, ils contemplent la courbe de répartition des résultats dans la population générale et demandent des explications complémentaires, même s'ils se sont suffisamment renseignés sur internet. Ils ont besoin d'entendre dire que leur enfant se situe dans la partie extrême de la courbe, là où ils sont peu nombreux.

Un piège de la révélation du don intellectuel
© Bialasiewicz-123RF

Ils ont aussi besoin de temps pour assimiler cette donnée nouvelle. Et pourtant ils avaient entrepris les démarches nécessaires avec le motif légitime de mieux connaître et mieux comprendre leur enfant pour savoir comment le rendre heureux et rien de plus. Mais l'annonce d'un chiffre élevé provoque parfois des effets inattendus, qui surprennent même les protagonistes en leur révélant des aspects ignorés de leur personnalité. C'est le lent cheminement d'un raisonnement apparemment très logique qui s'insinue dans leur esprit sans même qu'ils s'en rendent véritablement compte. Les parents ont attentivement lu toute une littérature sur les enfants doués. Ils ont découvert avec effroi que certains se retrouvaient irrémédiablement en échec scolaire, quelles que soient les tentatives pour les en sortir et ils sont épouvantés à l'idée que ce chiffre merveilleux se transforme en source de catastrophes, peut-être impossibles à prévenir, puisqu'on affirme parfois que ce serait sans remède.

Une question de méthode de travail

En fait, c'est une question de méthodes de travail. Les enfants doués, piégés par leur facilité, ignorent l'effort puisqu'ils ont pu longtemps s'en passer. Pour éviter cet éventuel drame, ces parents, tout à coup inquiets, commencent à imposer à leur enfant une pression qui risque de devenir de plus en plus insistante, et l'enfant, désireux de faire plaisir à ses parents, accentue encore cette pression. Il a bien compris que ses parents aimants seraient terriblement déçus et blessés s'il avait de mauvaises notes. Cette pression s'accroît et le moindre fléchissement est interprété comme l'amorce d'une chute inéluctable. Il faut donc éviter à tout prix la plus légère baisse, le plus sûr étant d'avoir la meilleure note dans tous les domaines, sans jamais se permettre la moindre distraction, la plus petite étourderie, le signe d'une fatigue inusitée, sous peine de devoir affronter le regard douloureusement inquiet des parents. Ce serait une situation intolérable et, pour y échapper il faut travailler sans relâche, y compris quand ce n'est pas nécessaire, quitte à s'accommoder de son mieux de cette image d'élève accroché à la réussite à tout prix, même si elle lui vaut un peu trop de distance de la part de ses amis.

Par bonheur, ces enfants attentifs aux autres et soucieux d'harmonie se montrent de très bons camarades, toujours prêts à aider celui qui n'a pas bien compris un exercice. Ils sont généreux, loyaux, fidèles en amitié : un ami idéal, si ce n'était ce désir de réussite constante qui ne leur ressemble d'ailleurs pas vraiment. Et pour cause, ce n'est pas le leur et ce n'est même pas réellement celui de leurs parents, mais ils sont rassurés et c'est cela qui importe. Ce don intellectuel pourrait finir par ressembler à un cadeau empoisonné, entraînant d'amères désillusions après avoir laissé entrevoir une réussite étincelante. Il faut éviter à tout prix que pareil drame ne se produise et le seul moyen semble être cette exigence incessante, tout comme on doit se tenir en alerte pour éviter d'être surpris par un péril, peut-être mortel, qui surgirait brutalement, sans qu'on ait pu le prévoir. Plus tard, les enfants doués qui ont dû se plier à ces exigences en gardent un souvenir mitigé, même s'ils reconnaissent que cet entraînement leur a été finalement utile, quand il fallait vraiment travailler pour réussir des examens difficiles ou l'emporter dans des concours où peu sont admis. Mais la trace que cette pression a imprimée ne s'efface pas, même si une réussite professionnelle très satisfaisante justifie ce travail acharné.

"La réussite scolaire prouve que tout va bien"

Il arrive aussi que des parents soient effrayés à l'idée de se montrer maladroits face à des enfants qu'ils ne comprendraient pas toujours, comme s'il y avait en eux quelque différence fondamentale, impossible à saisir, même par les parents le plus attentifs. Dans ce cas, la réussite scolaire prouve que tout va bien, que leur enfant est bien adapté à son environnement, qu'il fourbit ses armes pour affronter dans les meilleures conditions le monde extérieur, professionnel, amical, et sans doute sentimental. La réussite contribuera à lui renvoyer de lui une bonne image, ses choix amoureux seront alors plus judicieux. Les parents sont tranquillisés, ils ont réussi à surmonter leurs hésitations face à un enfant hors normes. Ils ont su le guider, même en se montrant parfois trop exigeants, mais c'était pour son bien. Ils sont sûrs que, plus tard, il leur en sera reconnaissant.

En réalité, cette pression, finalement inutile, a parfois dégoûté ce trop bon élève des études. Il n'a jamais pu laisser s'exprimer ses dons artistiques. Il a dû endosser un costume qui ne lui allait pas. Il est fatigué, il aspire à être enfin lui-même et il est désolé parce que cette révolte trouble ses relations avec ses parents, alors que, jusque-là, il s'était appliqué à leur conserver une certaine harmonie, pourtant au prix de bien des contraintes. Il comprend bien que ses parents pensaient agir pour son bien-être futur, mais le poids de cette pression reste écrasant. Il a l'impression qu'il lui faudra du temps pour pouvoir à nouveau respirer librement et oublier la crispation ressentie chaque fois qu'il recevait une note à l'idée qu'elle ne serait peut-être pas aussi bonne que d'habitude. Cette sensation est toujours prête à surgir à nouveau dans d'autres circonstances. Elle l'imprègne sans qu'il sache comment s'en défendre tant elle lui est familière, comme si elle faisait partie de son fonctionnement. Parfois elle s'exprime par des réactions physiques sous l'apparence d'une maladie têtue qu'on ne parvient pas à soigner. Parfois, elle freine l'audace propre aux personnes douées, mais qui est si vite bloquée. L'aisance intellectuelle ne paraît plus naturelle, mais acquise grâce à des efforts insensés et incessants.

Par bonheur, les personnes douées se reconstruisent vite une fois le bon chemin amorcé. Il suffit que l'élan soit donné pour qu'elles sachent puiser en elles la force nécessaire et enfin laisser s'épanouir leurs dons comme elles le désirent.

Conseils : Toute pression sur un enfant doué devient source de malaise. Il est inutile d'imposer à l'enfant doué des exigences de réussite scolaire à tout prix, ce qui ne signifie pas qu'on peut le laisser stagner dans une médiocrité trop terne, presque provocatrice dans son cas. Une scolarité nourrissant suffisamment sa curiosité intellectuelle devrait l'inciter à se maintenir à un bon niveau. S'il présente des défaillances, il faut penser aux méthodes de travail qu'il ignore peut-être puisqu'elles ne lui étaient pas nécessaires jusque-là.