Port du masque avec bébé : sociabilité, retard du langage

Selon le psychiatre Boris Cyrulnik, le port du masque en présence des tout-petits, obligatoire même en crèche, provoquerait un retard de l'acquisition du langage et de la sociabilité des bébés.

Port du masque avec bébé : sociabilité, retard du langage
© Aronm-123RF

[Mise à jour du 10 mars à 10h33]. Depuis le 18 septembre 2020, le port du masque est également obligatoire pour les assistants maternels et les professionnels de la petite enfance qui exercent à la crèche "pour éviter les contaminations d'adultes à enfants" a précisé le ministre de la Santé, Olivier Véran. Cette mesure inquiète, car pour se développer correctement, les jeunes enfants ont besoin d'interagir avec les adultes et de voir leur visage.

Quelles conséquences pour les bébés ?

Dans une tribune publiée ce 8 mars par le Figaro, le psychiatre Boris Cyrulnik fait part de ses inquiétudes et de celles de psychologues concernant le port du masque par les adultes dans les crèches. Il évoque une étude chinoise publiée en juin 2020 sur les effets délétères de la pandémie de SRAS de 2003 sur le développement des enfants âgés de 0 à 15 ans. Ses résultats sont édifiants. L'étude révèle "des retards langagiers, moteurs et sociaux notables, et même une réduction des courbes de poids, en particulier chez les plus jeunes enfants (moins de 4 ans)". "Il est plausible que des impacts sur la croissance de l'enfant et le développement cognitif et physiologique puissent survenir", ajoutent les auteurs de cette étude. Boris Cyrulnik cite aussi une autre étude publiée en janvier dernier par l'université de Grenoble et menée auprès de 600 professionnels de la petite enfance concernant le port du masque. Elle révèle "des interactions langagières plus pauvres" mais aussi "des attitudes socioaffectives altérées : pleurs, anxiété et tentatives de retirer le masque de l'adulte ou au contraire des réactions de peur face au visage démasqué, et des difficultés à déclencher le sourire réponse". Face à ce constat inquiétant, Boris Cyrulnik et ses collègues psychologues proposent 4 mesures urgentes :

  • Un accès à la vaccination prioritaire des personnels de la petite enfance, au même titre que les personnels de santé,
  • L'organisation de moments sans masque, en maintenant une distance de sécurité, dans les espaces extérieurs. 
  • L'organisation de moments sans masque à l'intérieur lorsque l'adulte est seul avec un enfant.
  • La séparation physique des professionnelles dès que c'est possible. 

"Cette norme organisationnelle - se répartir les enfants en petits groupes, à condition que les locaux le permettent - fait déjà partie des bonnes pratiques. Mais il s'agirait d'aller plus loin en l'appliquant systématiquement quand le contexte le permet : ce point pourrait faire l'objet de groupes de travail, dans les plus brefs délais", recommandent Boris Cyrulnik et ses collègues psychologues.

"Voir un masque perturbe les bébés"

D'autres spécialistes de la petite enfance s'étaient déjà inquiétés des conséquences du port du masque par les professionnels dans les crèches. En septembre 2020, la pédopsychiatre suisse Nadia Bruschweiler-Stern, avait ainsi répondu à la Tribune de Genève. Son constat était sans appel : "voir un masque perturbe les bébés". Selon elle, en ne voyant plus le bas du visage des puériculteurs et éducateurs, "l'apprentissage du langage, la capacité sociale, l'empathie, la lecture des intentions de l'autre et la régulation des émotions" peuvent être impactés. Ces découvertes et apprentissages sont façonnés petit à petit dès la naissance : les bébés observent, interrogent... c'est ce qui leur permet d'acquérir les notions de mimétisme. Elle illustrait son propos avec un exemple concret : "Comment deviner un sourire qu'on ne voit pas ? Si l'on cache la bouche, la communication est entravée". Deux psychologues cliniciennes s'inquiétaient aussi en mai dernier dans les colonnes de Libération, de cette rupture de "tonalité émotionnelle et de l'interaction" avec les tout-petits, du fait du masque. Sans nier les dangers et la contagiosité du virus, les professionnels de la petite enfance appelaient à faire attention aux enfants, d'ailleurs la tribune des deux psychologues s'intitulait : "Ne jetons pas les besoins des bébés avec l'eau du bain".

L'expression de l'adulte indique aussi à l'enfant si la situation dans laquelle il se trouve est dangereuse ou non. La psychiatre suisse reprenait pour cela une expérience baptisée "falaise virtuelle". L'exercice consiste à laisser gambader un bébé d'environ 1 an sur une structure en plexiglas, qui, à un moment donné surplombe un passage transparent. "Il regarde aussitôt sa mère pour savoir comment réagir. Si elle lui sourit, il continue à cheminer. Si elle affiche une mine apeurée, il s'arrête. L'expression du visage entier est un guide constant dans le développement émotionnel. Ne pas voir la bouche est donc déroutant, désécurisant et anxiogène pour le bébé". D'ailleurs, les psychologues françaises soulignaient à Libération que l'expérience de bébés en contact avec des gens masqués sur de longues périodes à l'hôpital avait déjà illustré ces craintes : "Nous avons pu le constater dans certains services de pédiatrie, où le port systématique du masque entraînait des retards dans l'acquisition du sourire-réponse, de la diversité des vocalises (qui s'appuient beaucoup sur l'imitation des mouvements des lèvres des adultes) chez les bébés longuement hospitalisés".  Sur CNews, l'une d'elles, Anna Cognet, rappelait la façon dont on s'adresse aux bébés : en caricaturant. C'est ce qui leur permet ensuite de nous imiter, insistait-elle. 

Le regard et l'intonation comptent aussi 

Pour autant, l'éducatrice de jeunes enfants Manon Berthod, se voulait rassurante : les enfants ont d'autres ressources, le regard compte aussi beaucoup, tout comme l'intonation, précisait-elle auprès de CNews. Sinon, les psychologues et la pédopsychiatre proposaient d'autres options. D'une part, mieux vaut choisir des masques transparents, comme pour les personnes sourdes et malentendantes. De cette façon, l'expression du visage est en partie restaurée. D'autre part, lorsque le bébé est à distance de l'adulte, le masque pourrait être retiré, cela permettrait à l'environnement de ne pas être "trop anonyme et étranger", spécifiait la psychologue Anna Cognet.