Viggo Mortensen : "Falling est une exploration de ce que je ressens pour mes parents"

En salles le 19 mai, "Falling" marque les premiers pas derrière la caméra de l'acteur Viggo Mortensen. Avec réussite, il s'y met en scène sous les traits d'un homme touchant qui fait face à un père réac et homophobe, atteint d'une maladie neuro-dégénérative.

Viggo Mortensen : "Falling est une exploration de ce que je ressens pour mes parents"
© Metropolitan FilmExport

Le projet de mettre en scène, il le porte en lui depuis des années. Et son attente a été payante ! Labellisé Cannes 2020, Falling marque (enfin) les débuts de cinéaste de Viggo Mortensen. L'acteur de 62 ans tient le rôle principal de ce drame familial poignant, où planent les ombres d'un élégant classicisme qu'on pourrait rattacher à Jeff Nichols ou Clint Eastwood. Son personnage ? John, un homme discret vivant en Californie avec son compagnon et leur fille adoptive. Ce héros taciturne est bientôt rattrapé par le conservatisme de la vie rurale au moment de renouer avec son père (Lance Henriksen), un homme réac et homophobe, atteint de démence. Pour le Journal des Femmes, Mortensen revient sur cette œuvre très intime et personnelle.  

Falling, un vœu tenace

Je voulais me souvenir de mon père, de ma mère… Falling est une exploration de ce que je ressens pour eux et de ce que j'ai appris grâce à eux, pour le meilleur et pour le pire. La conscience de cette histoire réside précisément dans une différence d'opinion entre le père et le fils autour de leurs souvenirs de la mère. Cette dernière reste à mes yeux le centre moral du récit. Le casting de ce personnage était d'ailleurs important et Hannah Gross est parfaite dans ce rôle. Même quand elle n'est pas à l'écran, on sent constamment sa présence.

Mais si Falling marque véritablement mes débuts de réalisateur et de scénariste, c'est parce que j'ai trouvé l'argent pour le faire (rire). Avant ça, j'ai essuyé de nombreux échecs. J'ai essayé une fois au Danemark, mais on ne m'a donné que 20% du budget requis. Au fils de ces dernières années, j'ai tenté à plusieurs reprises de porter à l'écran des histoires, sans y parvenir. En fin de compte, c'est mieux d'avoir attendu. J'ai beaucoup appris des réalisateurs qui m'ont dirigé, des films que j'ai vus… Comment bien faire avant, pendant, et après le tournage, comment harmoniser la relation avec les acteurs, comment soigner le dialogue au sein de l'équipe…

J'ai vraiment été à bonne école avec des cinéastes comme David Cronenberg, Matt Ross, Peter Farrelly ou Jane Campion. La préparation en amont est super importante. On peut éviter tant de problèmes si elle est bien faite. Et il convient de communiquer ouvertement pour être toutes et tous au diapason de l'histoire qu'on raconte. In fine, cela exclut les querelles, les nervosités, les blablas inutiles et la perte de temps.

Au creux des souvenirs... et de la démence sénile

La subjectivité et le manque de fiabilité de la mémoire sont des choses primordiales dans l'histoire que je raconte. J'ai commencé à écrire sur la base de mes souvenirs même s'ils sont imparfaits. On essaye de contrôler le passé, en rangeant les choses d'une certaine façon pour être plus à l'aise dans notre raison. Ces souvenirs imparfaits décident de qui nous sommes et de ce que nous faisons dans la vie. Ils définissent la façon dont nous nous voyons et percevons les autres. Je voulais également explorer les différentes facettes des personnages… Et surtout adopter le point de vue d'une personne vieille, qui commence à entrer dans la démence. J'ai vécu de très près cette maladie avec mon père, ma mère, mes grands-parents, mon beau-père, etc… et cela m'a aidé à construire Willis et sa relation avec son fils John, que j'incarne. Tout ce que j'ai vu pu voir de cette maladie m'a aidé. J'ai porté une attention particulière aux images et aux son pour bien illustrer son point de vue.

Généralement, les films qui abordent cette thématique sont faits du point de vue de ceux qui observent, qui trouvent que la personne n'est pas là, est confuse etc… J'ai préféré filmer le présent de Willis et la confusion de ceux qui l'entourent. Lance Henriksen est un acteur génial qui n'a jamais eu l'opportunité de tenir un rôle pareil. Il est parfait. Son interprétation est complexe, courageuse. Il savait, en acceptant de collaborer avec moi, qu'il allait puiser dans les souvenirs douloureux de son enfance et de son adolescence. Et il est allé loin dans son passé terrible pour chercher les émotions.

Viggo Mortensen et Lance Henriksen dans "Falling". © Metropolitan FilmExport

Une lecture (forcément) politique

On pourrait voir cette histoire comme la métaphore de notre société, touchée par un manque de communication ouverte et honnête et par une polarisation des idées…

Avec Donald Trump, les choses se sont dégradées. Et ce, depuis le début de son mandat. Mais c'est pareil en Grande Bretagne, en France ou en Espagne. Tout ça, c'est une maladie qui existait bien avant le Covid… Je comprends qu'on peut voir le film en pensant au monde d'aujourd'hui et c'est tant mieux. J'aime l'idée qu'il puisse appartenir aux uns et aux autres, que chacun ait sa grille de lecture. Pour ma part, je refusais de figer l'action en 2019 car, aujourd'hui, aux Etats-Unis, on ne parle que de Trump et c'est une réussite pour lui. On parle de lui tout le temps, putain. Si le présent de Falling se situait en 2019, on aurait constamment pensé à lui. Tout se déroule donc en 2009, au début de la première présidence d'Obama ; c'était d'ailleurs déjà polarisé, mais pas comme cette année. Je voulais qu'on soit focalisé sur cette région, cette famille…

Vous savez, j'ai commencé à aller au cinéma avec ma mère à l'âge de 3 ans. Je me souviens qu'elle parlait toujours des histoires et jamais des stars. On discutait du scénario en sortant de la salle, elle se posait des questions sur les dialogues, les situations… A 4 ans, pendant l'entracte de Lawrence d'Arabie, elle me parlait des Britanniques et des Arabes, de leur rapport à Lawrence…

J'ai toujours aimé les histoires dans lesquelles je peux participer, m'investir, où tout n'est pas prémâché. Que le film que je visionne puisse devenir mien. Quand on m'explique ce que je dois ressentir, je suis dans le rejet, même si c'est techniquement bien fait.