Niels Schneider : "Je ne m'imaginais pas acteur parce que j'étais très timide"

A 32 ans, l'acteur franco-canadien Niels Schneider décroche le plus beau rôle de sa jeune carrière dans "Sympathie pour le diable" de Guillaume de Fontenay. Il y incarne le reporter de guerre Paul Marchand et nous plonge pour l'occasion dans l'horreur du siège de Sarajevo.

Niels Schneider : "Je ne m'imaginais pas acteur parce que j'étais très timide"
© WWD/REX/SIPA

Révélé par le cinéma québécois (Tout est parfait d'Yves-Christian Fournier, J'ai tué ma mère et surtout Les Amours Imaginaires de Xavier Dolan), le franco-canadien Niels Schneider a, depuis un peu plus de dix ans, fait le bonheur des auteurs. On retrouve dans sa besace à jolis rôles des collaborations avec Yann Gonzalez, Anne Fontaine, Catherine Corsini ou Pierre Schoeller. Cette année, il incarne le journaliste de guerre Paul Marchand dans Sympathie pour le Diable, le premier long-métrage de Guillaume de Fontenay. A 32 ans, il y passe un cap tant sa prestation, associée aux qualités formelles et narratives du film, s'avère retentissante. Nous l'avons rencontré pour évoquer cette expérience à la fois douloureuse et fondatrice.  

Avant qu'on ne vous propose ce projet, que vous évoquait le conflit de Sarajevo ?
Niels Schneider :
Quelque chose de très lointain, de compliqué… J'avais cinq ans au début du conflit, en 1992. Ce n'est pas un moment de l'Histoire que j'ai étudié à l'école. Et pourtant, c'est si proche de nous, autant dans l'espace -à une heure de paris- que dans le temps… Cela ne nous a hélas pas empêchés de fermer les yeux sur ce qui s'y est passé. Nous avons tourné dans les lieux exacts, avec une vraie rigueur topographique. Vous retrouvez par exemple la maison de la radio de Sarajevo et, bien sûr, le Holiday Inn, où dormaient tous les correspondants de guerre… Le personnel de l'hôtel connait bien Paul Marchand…

Et vous, le connaissiez-vous avant de l'incarner ?
Niels Schneider :
Non, pas du tout. Chez lui, il y a quelque chose de plus grand que nature. C'est un paradoxe sur pattes, un ultra-sensible, un écorché vif, un révolté, un drogué à l'adrénaline, un idéaliste qui se cache derrière un personnage… Lequel est une armure pour mettre à distance la guerre, ses atrocités et continuer à vivre. Son cynisme, je n'y crois pas une seconde. C'est un agitateur qui provoque et déteste ce qu'on met dans les angles morts de nos consciences. Il ne supporte pas que les gens aient les yeux fermés sur ce qui n'est pas agréable.

Le film dénonce justement l'apathie du monde face à l'horreur. Avez-vous le sentiment que, à l'ère des réseaux sociaux, nous le sommes moins ?
Niels Schneider :
Ce n'est pas la même époque… Ce qui rendait fou Paul Marchand, c'est que Sarajevo était la première guerre en Europe où on avait la technologie pour bien informer l'opinion publique. Dans le film, il dit : "Ils ne pourront plus dire qu'ils ne savaient pas". Pourtant, pendant quatre ans, personne ne réagissait. Paul faisait d'incroyables chroniques. Il racontait les faits dans l'émotionnel, dans l'affect... (Réflexion) Le véritable problème aujourd'hui, ce sont les fake news, il y a beaucoup moins de rigueur journalistique, de nuances… La pensée est de plus en plus réduite.

Niels Schneider dans "Sympathie pour le Diable". © Rezo Films

Comment vous informez-vous ?
Niels Schneider :
Je lis Le Monde, Mediapart… J'essaye d'avoir un panel de sources… Mais jamais sur les réseaux sociaux… Je n'ai pas Facebook, je hais ça. Twitter, ça reste quelques caractères, même s'il y a là une efficace circulation de l'information. Au final, il y a du bon et du mauvais. Je me méfie de la bulle que créent les réseaux sociaux.

Quel est le dernier conflit qui vous a marqué ?
Niels Schneider :
Le siège d'Alep qui a duré huit mois. Le conflit syrien plus généralement… Ce que je ressens, de manière planétaire, c'est la colère des peuples, du monde, qui est d'ailleurs cristallisée dans le film Joker. On ressent ça très fort en ce moment, partout.

Etes-vous du genre à détourner le regard quand la réalité devient trop crue ? Auriez-vous pu faire le même métier que Paul Marchand ?
Niels Schneider :
Non, je n'aurais pas pu aller tâter les corps le matin à la morgue pour savoir s'ils sont de la veille… C'est une vocation… C'est un rapport presque existentiel au monde, une fascination pour la mort… Paul Marchand traînait dans les cimetières.... Il voulait savoir ce que la mort avait dans le bide.

"J'avais des lésions dans la bouche, je prenais des médocs pour ça"

Le cigare était son addiction. Il ne s'en séparait jamais. Quelle est la vôtre ?
Niels Schneider :
Son cigare avait plusieurs fonctions. C'est comme une bouillotte qui lui réchauffait ses doigts, ça masquait l'odeur de la mort… J'en ai fumé plus de 300 pendant le tournage ! J'avais des lésions dans la bouche, je prenais des médocs pour ça. A 6h du matin, c'était dégueulasse. Il n'y a que Humphrey Bogart qui en a fumé autant que moi (rires). Et pour répondre à votre question, c'était la clope mais je me suis calmé.

Niels Schneider dans "Sympathie pour le Diable". © Rezo Films

Etre acteur, était-ce votre vocation, vous qui êtes issu d'une famille de comédiens ?
Niels Schneider :
Je ne m'imaginais pas acteur parce que j'étais très timide. Je me voyais plutôt journaliste, être dans l'ombre… Quand j'ai découvert le théâtre par mon grand frère, qui est décédé, et que j'ai vu ce que ça me procurait d'empathie, d'ouverture d'esprit, j'ai compris que ça pouvait le faire.

"Un journaliste se doit d'être à l'endroit exact où on lui interdit d'être." Telle est la punchline sur l'affiche de votre film. C'est pareil pour le cinéma ?  
Niels Schneider :
Les acteurs existent par le désir du réalisateur, du public… Du coup, on peut en effacer son propre désir et se placer là où on nous attend. J'ai toujours essayé de contrarier ça.

"J'ai trouvé un nouveau truc : la trompette"

Quand le monde est trop oppressant, que faites-vous ?
Niels Schneider :
Je rigole… Et sinon, j'ai trouvé un nouveau truc : la trompette ! Et ce, grâce au rôle que je tiens dans Futura de Lamberto Sanfelice, un film italien que j'ai tourné cet été. J'en ai tellement chié pour avoir un petit niveau (rires)… La musique, c'est une méditation.

Etes-vous de nature optimiste ?
Niels Schneider :
Il y a une phrase de Pasolini que j'adore. Quelqu'un lui a dit : "Monsieur Pasolini, vous êtes pessimiste…" Et il a répondu : "Mon pessimisme est moins tragique que votre optimisme" C'est vachement bien répondu. Ça caractérise ma pensée actuelle. Il est difficile d'être optimiste avec la montée des extrêmes. Cette menace est très présente. Pour autant, je ne suis pas désespéré.

Xavier Dolan a dit récemment chez Quotidien que Les Amours Imaginaires, un des films qui vous a révélé au monde, lui était devenu insupportable. Etes-vous d'accord ?
Niels Schneider :
C'est un film léger, un truc assez poseur et vaniteux mais c'est justement parce qu'il ne se prend pas au sérieux que je l'aime. Xavier y assume sa vanité. C'est coloré. Lui disait que c'est comme un entremet. On l'a tourné vite, entre amis. Je trouve, au contraire, que c'est l'un de ses meilleurs. (rires)      

"Sympathie pour le diable // VM"