"Le film privilégie l'action à la psychologie des personnages" "Pour chaque personnage, il y a eu des scènes difficiles"

relation père-fille
Relation père-fille © Patrick Muller
Aviez-vous des appréhensions particulières à l'idée de tourner avec une enfant ?

Michaël Youn : Oui, parce que j'ai déjà eu à tourner avec des enfants et ce n'est vraiment pas facile d'en trouver qui jouent bien. Ce ne sont pas des professionnels, donc ils ne peuvent pas rester concentrés toute la journée. Ils ne peuvent pas te donner la même chose à chaque prise. Ils papillonnent, c'est-à-dire qu'ils vont venir te donner la réplique, après tu les cherches, et ils sont là-bas en train de jouer. Ce sont des enfants, c'est normal. On leur demande : "Tu veux faire du cinéma ?" Ça leur plaît. Puis quand, concrètement, ils voient ce que c'est que de faire du cinéma... Tourner vingt fois la même prise, travailler tous les jours de 8h à 20h : un boulot, quoi ! Souvent ils trouvent ça moins fun. Donc, oui, j'avais quelques angoisses à jouer avec un enfant, surtout que mes expériences passées ne m'avaient pas laissé un très bon souvenir. Mais Pauline Haugness était assez exceptionnelle. Elle a beaucoup travaillé avec Jérôme Cornuau. Pour éviter de la faire sur-jouer, il a préféré la faire sous-jouer, ce qui lui donne un peu son étrangeté, son côté "elle est là, mais elle n'est pas là". Ça participe énormément à l'histoire. Et puis c'était plus simple pour moi de jouer avec un enfant étrange, parce que ça déclenchait une réaction forcément automatique.
Jérôme Cornuau : J'avais déjà fait un thriller avec un enfant en Afrique du Sud. Je dirais que mon comportement avec les enfants est le même qu'avec les adultes. J'essaye de parler avec eux, de leur expliquer le film et d'être le plus près possible d'eux. Après il faut veiller à leur temps de concentration qui est plus court, mais Pauline est une petite fille très mûre et très subtile, avec un naturel incroyable. Et elle s'est très bien entendue avec Michaël. C'est un rôle délicat. J'ai rencontré ses parents et il y a eu un travail préliminaire assez long, ce qui nous a permis d'apprendre à nous connaître et ça s'est très bien passé.


Quelles ont été les scènes les plus difficiles à tourner ?

Jérôme Cornuau : Pour chaque personnage, il y a eu des scènes difficiles. Pour Michaël Youn, ce fut le moment de la révélation finale. Tout d'un coup, tous les murs s'abattent et il comprend enfin ce qu'il s'est passé. Comme, en plus, j'ai fait beaucoup de plans séquences dans ce film pour lui donner un rythme particulier, c'était une scène vraiment lourde à porter pour un comédien. Même physiquement, il était éprouvé. Il en sortait épuisé, donc j'ai fait très peu de prises. Et puis je savais que si cette scène-là je ne la réussissais pas, je loupais le film. Comme on l'a fait à la fin, jusqu'au bout c'était assez tendu. Pour Emilie Dequenne, je dirais la scène où elle est harcelée par Michaël. Le moment où il lui demande ce qu'elle a fait et de le répéter. Ce n'était pas si simple. Et pour Fanny Valette, c'étaient les moments de pétages de plomb, de les doser. On les a souvent retournés parce que j'avais démarré par des moments beaucoup plus forts et après ça l'était trop. C'était excessif. Du coup j'avais peur qu'on empiète trop sur l'empathie du personnage. Il y a un moment, quand les personnages sont trop détestables, où on finit par ne plus les aimer.
Michaël Youn : Pour la scène de la révélation qui a lieu dans l'hôtel, on n'a pas fait beaucoup de prises. Entre le champ et le contre-champ, on a dû la faire en tout six fois, pas plus. C'était très très dur. J'avais le cœur qui se soulevait et pas besoin de réfléchir à quelque chose pour être en larmes. J'étais bouleversé. L'équipe était bouleversée aussi, pas par moi, mais par la scène qui était jouée. Le réalisateur était en pleurs, la scripte était en pleurs, tout le monde était en larmes. C'était un moment à la fois assez unique et assez étrange. Tout le monde pleurait. C'est quand même assez bizarre ce métier. Je n'avais pas particulièrement travaillé cette scène, mais j'y avais beaucoup réfléchi. C'était la scène clé du film pour moi, donc j'en ai beaucoup parlé avec Jérôme parce que, face à cette révélation, tu peux être dévasté comme tu peux rester impassible. Et puis, au moment où il a dit "Action !", tout est arrivé, tout était dans le bon ordre.

jérôme cornuau sur le tournage des 'brigades du tigre'
Jérôme Cornuau sur le tournage des "Brigades du Tigre" © Bruno Calvo - Les Films Manuel Munz
Jérôme Cornuau, votre dernier film sur grand écran, l'adaptation des Brigades du Tigre, est sorti en 2006. Pourquoi cet éloignement des plateaux de cinéma et qu'est-ce qui vous a décidé à y revenir ?

Jérôme Cornuau : Vous savez, on ne choisit pas toujours. Après Les Brigades du Tigre, j'ai écrit pas mal de scénarios qui sont plus ou moins avancés, mais les films ne se sont pas montés. Entre temps, j'ai fait un docu-fiction au Japon, un téléfilm. Là je termine une série pour Canal+, et puis j'ai fait beaucoup de publicités. Donc je travaille tout le temps, mais pas sur des longs-métrages. Mine de rien, pour un long-métrage il faut compter 2-3 ans, à partir du moment où on commence à l'écrire jusqu'à celui où il va être financé. Ce qu'il faut, c'est avoir toujours autres choses sur le feux. Donc cet éloignement, ce n'est pas un souhait forcé. J'aimerais bien faire comme Woody Allen, un film tous les ans. Enfin, peut-être pas tous les ans, mais tous les deux ans ce serait bien.

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