"Le film privilégie l'action à la psychologie des personnages" "C'est un thriller dans la lignée des films américains"

michaël youn en père bouleversé
Michaël Youn en père bouleversé © Patrick Muller

Contrairement à une tendance très française, le film accorde plus d'importance à l'action qu'à la psychologie des personnages. C'est un point auquel vous teniez particulièrement ?
Jérôme Cornuau :
C'était vraiment ma préoccupation première de faire un thriller. Il fallait donc qu'il y ait un déroulement de l'action qui réponde à du suspense, à un rythme, et que, dans la lignée des films américains, les personnages se définissent par rapport à l'action. On apprend donc à les connaître par rapport à leurs réactions, à ce qu'ils éprouvent. Et puis je voulais les prendre à un moment T de leur vie, celui où leur fille a disparu. Le couple explose et qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ? L'homme choisit l'auto-destruction, tandis que la femme essaie de rester dans une stabilité, de croire toujours en la survie de leur fille. Quand elle réapparaît, le père est heureux et, en même temps, il a peur d'apprendre la vérité. Il refuse tout ce qu'on lui dit. Il n'est que dans un principe de réaction et de fuite.
Michaël Youn : C'est une vision plus américaine de la narration, c'est-à-dire que ça passe avant tout par "faire", plutôt que par "penser". On est un pays de grands auteurs, donc on a l'habitude de beaucoup penser, ce qui donne parfois ce que j'appelle moi des films bourgeois ou un peu bavards, mais qui plaisent à un certain public. Je me sens plus proche de ce qui est corporel. Dans La Traversée, je subis des agressions, des regards... Je suis plus à l'aise là-dedans que dans quelque chose de plus cérébral. Dans le film, on ne se pose pas la question du vécu du personnage et je ne crois pas que ça manque. Je me suis quand même demandé depuis combien de temps mon personnage était marié à celui d'Emilie Dequenne, ce qu'il faisait dans la vie. On a besoin d'imaginer cela, ne serait-ce que pour savoir comment tu t'habilles, comment tu te coiffes, quelles chaussures choisir... Le plus important pour moi quand je campe un personnage, c'est de savoir quelles pompes il porte. D'abord parce qu'elles définissent ta démarche, qui n'est pas la même avec des bottines qu'avec des baskets. La chaussure ne se voit pratiquement jamais à l'image, mais elle traduit aussi énormément la psychologie du personnage. Quand tu as trouvé, tu en parles au réalisateur. S'il pense que ça ne convient pas, c'est qu'il y en a un des deux qui se plante - en général c'est toi - et qu'il faut retravailler le personnage afin de le trouver. Plutôt que de m'enquérir de son passé, j'aime bien savoir ce qu'il est aujourd'hui exactement. C'est pour cette raison que je choisis aussi avec beaucoup de soin les vêtements, les chaussures, la coupe de cheveux. Ce qu'il est à l'extérieur traduit ce qu'il est à l'intérieur.

Michaël Youn, vous interprétez le rôle difficile d'un père confronté à la disparition de sa fille, puis à sa réapparition inquiétante. Comment vous y êtes-vous préparé ?
Michaël Youn :
J'ai fait quelques recherches sur internet, j'ai vu des témoignages de parents qui avaient eu des enfants disparus. Le plus dur d'ailleurs n'étant pas les parents qui ont perdu leur enfant, mais ceux dont l'enfant a disparu et dont on n'a pas retrouvé le corps, parce qu'ils nourrissent toujours de l'espoir. C'est terrible parce que, bon, au bout de dix ans, il ne va pas venir taper à la porte en disant :"Je suis de retour". Tant que tu n'es pas dans la scène, je crois que dans ton for intérieur, surtout si comme moi tu es jeune papa, tu te refuses à l'idée de te mettre déjà en condition avant l'heure, tellement c'est quelque chose de douloureux, de violent. Petit à petit, j'ai construit le mec en discutant avec Jérôme Cornuau, en faisant ces recherches et en m'interrogeant moi-même. C'est vraiment un travail par touches, comme de l'impressionnisme. Tu finis par avoir le portrait global juste à la fin. Les acteurs sont des sportifs de haut niveau de l'émotion. Comme le gars qui va courir le 100 mètres aux Jeux olympiques. Sur les 3-4 courses précédentes, il ne va pas tout livrer. Là, c'est pareil. Sur le film, tu sais les scènes où il va falloir que tu ailles chercher le truc que tu as caché au fond de toi. Ça prend forme au moment de tourner.

michaël youn et sa compagne, isabelle funaro, dans 'fatal'
Michaël Youn et sa compagne, Isabelle Funaro, dans "Fatal" © Universal Pictures International France

Le fait d'être devenu père dans la réalité a sans doute dû vous aider ?
Michaël Youn :
Comme de tuer quelqu'un, ça doit aider à jouer un tueur (rires). Il y a quelque chose d'à la fois universel et unique, de puissant et en même temps de tellement commun dans le lien de paternité. Tes parents te disent toujours : "Tu verras le jour où tu seras parent !", et le jour où tu tiens ton enfant dans les bras, tu te dis : "C'est bon, j'ai compris. Ça, c'est ma chair. Je préfère donner un rein, je préfère mourir plutôt qu'il lui arrive quelque chose." C'est vrai que ce sentiment-là, j'en ai véritablement pris conscience avec la paternité. Sur le reste, il a fallu me créer cette relation avec Pauline Haugness qui joue ma fille dans le film. Qu'on apprenne à s'apprécier, à se découvrir. Elle connaissait Fatal Bazooka, donc ça aide un peu. D'ailleurs quand elle m'a regardé, elle m'a dit : "Mais c'est pas toi !". Bah, si. On a essayé de devenir copains pour pouvoir jouer un père et sa fille à l'écran. Ce qui était le plus dur, c'étaient les moments où je devais un peu la violenter, lui crier dessus. Je lui disais : "Bon là, je te crie dessus, mais on est d'accord, tu sais que c'est pour jouer." Je voyais que, par moments, je lui faisais peur. Je lui demandais si ça allait et elle me répondait : "Oui, mais là quand même tu m'as secouée fort." Donc j'essayais de la secouer moins fort. Il fallait souvent que je lui explique ce que j'allais faire, alors que c'est exactement le contraire que tu fais avec un acteur adulte. Tu ne vas presque jamais lui dire ce que tu vas faire pour le surprendre, pour qu'il est une super réaction, qu'il te renvoie un super truc et que toi aussi tu sois surpris. Là, moi avec mes angoisses de nouveau père, je n'avais pas envie de la bousculer la petite.

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