Interview : Giulia Foïs, une journaliste à l'écoute Giulia et ses combats

Que pensez-vous du journalisme sexo aujourd'hui ?

J'aime bien les bloggeuses, comme René Greuzard de Rue69 ... Elle a un truc, il y a du témoignage, de la vraie vie, et il y a aussi de l'engagement. Elle parle des problématiques du genre par exemple, qui sont les thèmes les plus sensibles ces temps-ci. On en parle aussi dans Point G, mais je trouve que c'est là-dessus, qu'il faut se battre maintenant. Elle a beaucoup parlé du mariage pour tous, de l'identité et de l'orientation sexuelle. Elle marie très bien tout ça. J'aime aussi les 400 culs d'Agnès Giard dans une version très punk, très arty, underground, mais très fou, qui me plait bien. Sexactu de Maïa Mazaurette est aussi très chouette. 

Après, les féminins et les masculins, ce n'est pas possible. J'en ai parlé dans le livre, mais ça m'a rendu hystérique. Marie Claire a fait un papier sur comment garder son homme fidèle. On est en 2014 et elles pensent être un journal engagé auprès des femmes ? A véhiculer l'idée que les hommes sont juste des animaux pulsionnels et que c'est à nous de les fidéliser. 

Sinon, à la télé, je trouve ça raté à chaque fois, parce qu'on rentre tout de suite dans du voyeurisme, dans le glauque, dans le joué, dans le pas-honnête. On fait jouer les gens, on les force, on force le trait. En télé, on réussit en documentaire quand on est sur des cases types Infrarouge. 

Et puis en radio, les héritières de Loving Fun qui sont sur les radios de jeunes, les Skyrock, les Virgin etc, qui ne sont pas des émissions spécifiquement dédiées à la sexualité, mais comme ce sont des libre-antenne et que l'on peut parler de tout, on arrive souvent à parler de ça. Je trouve qu'elles remplissent un office vraiment très chouette pour les jeunes. Pour les ados et pré-ados qui entrent dans leur vie sexuelle et qui sont paniqués par tout ça, je trouve ça très bien qu'ils aient un endroit où ils peuvent faire les potaches autour de ça et crier très fort autour de cette sexualité qui à mon avis leur fait tous un peu peur. Ils sont là, et du coup, les ados ont quelqu'un à qui ils peuvent parler de ça. Ni l'école, ni les parents ne veulent le faire. 

Et l'éternelle question de savoir si l'on est normal...
Alors, celle-là, c'est tous les jours. Mais c'est ce qui me fait dire qu'il y a vraiment du travail. Une journaliste de l'Huma dit que Point G c'est Point G comme engagé. Pour moi, c'est une émission de combat, parce qu'on se bagarre tous individuellement et de façon très intime. On se bagarre tous pour essayer de trouver une forme de paix, de sérénité. Les magazines féminins, et les masculins aussi, on n'en parle pas assez, mais ils sont pires que les féminins, vous expliquent que c'est l'orgasme qu'il faut atteindre et que c'est ça votre problématique essentielle. Mais, ce n'est même pas ça, le vrai problème c'est que l'on se débat tous pour se débarrasser de tout ce qui nous entrave, de tout ce qui a été de l'ordre de l'éducation, des "il faut", des "tu dois" qui viennent de notre famille, de notre milieu, etc. Et qui ne sont pas toujours en accord avec ce que nous, on a envie de faire. Et au niveau sociétal et collectif, c'est un combat parce que c'est parce que la sexualité était là que l'on s'est mis à éditer des textes de lois et des textes religieux qui enferment la sexualité dans des cases de ce qui est licite et pas licite. 

Pensez-vous qu'il y a une dictature du sexe ?
Il y a une dictature de la norme, à tous les niveaux. Que ce soit au niveau amoureux, du couple ... Ce qui est très marrant, c'est comme les gens sont persuadés qu'il y a une seule façon de faire, une seule façon d'aimer, une seule façon de jouir. Comme si toutes ces choses-là faisaient tellement peur que la seule façon de se rassurer c'est de se dire qu'il y a des formules magiques et qu'il y a des recettes qui marchent et que si tu sors des clous, tu vas te prendre des coups. Mais tu n'aimes pas trop que les autres sortent, parce que ça te rappelle qu'éventuellement tu pourrais faire autrement. A ce moment-là, ça te re-questionne et si tu ouvres le tiroir à questions, tu te remets à flipper. On est encore très hétéro-centrés, on est encore beaucoup sur les équilibres homme-femme, qui sont ce qui sont avec l'idée que les hommes ont des besoins et que les femmes, elles, elles ont besoin d'aimer avant tout. On est encore sur d'idée qu'une femme doit avoir des enfants, pour un homme, c'est un peu moins important si il n'en a pas. On est sur des "il faut", et le modèle de vie, c'est celui là. Ça marche aussi pour la sexualité où il faudrait avoir envie tout le temps, partout, tout tester, surtout n'avoir aucune peur, aucune limite.

Quels sont les thèmes qui vous sont chers ?
Cette norme. C'est celle que je m'emploie à combattre tous les jours parce qu'elle est un reflexe, mais un reflexe qui enferme, qui étouffe la sexualité. Dès que la sexualité est contrainte, elle meurt. C'est la norme que j'essaie de tuer dès que je peux, avec des experts, avec les auditeurs et avec mon équipe.
Il y aussi l'égalité, l'idée de la tolérance. Comme la sexualité est un lieu d'enfermement ultime, comme il peut être le lieu d'ouverture le plus jubilatoire. L'égalité tient une place très importante. Donc l'égalité, ça veut dire entre les homosexuels et les hétérosexuels. Ça veut dire aussi, beaucoup, égalité entre les hommes et les femmes, parce qu'on en est loin. Ça aussi c'est un sujet qui me tient vraiment à cœur. Il y a encore beaucoup de travail. L'égalité entre les âges aussi, parce qu'on a encore tellement de mépris pour les jeunes. Il y a des choses qui ne changent pas et notamment l'idée que c'était mieux avant. Toujours cette façon de catégoriser, de mettre les gens dans les cases, il y a ceux qui sont dans les bonnes cases et ceux qui sont dans les mauvaises. 

Quel rôle pensez-vous pouvoir jouer, à moindre échelle, pour faire avancer les choses ?
À toute petite échelle, c'est déjà faire comprendre que le féminisme c'est ça, ce n'est pas autre chose que de l'humanisme et un combat pour l'égalité des droits pour tous. Faire comprendre aussi aux auditeurs de Point G que se battre pour les femmes, ce n'est pas se battre contre les hommes, mais c'est aussi se battre avec les hommes. Ils doivent comprendre qu'on a besoin d'eux, que les filles le comprennent aussi, qu'on avancera que si on est ensemble. 

Par exemple, à mon tout petit niveau, j'ai fait très attention au départ, à ne pas être une émission de filles. J'ai été chercher les garçons. On leur fait croire depuis la nuit des temps, que, eux, ils n'ont qu'à appuyer sur un bouton, et  que c'est magique. Pour eux, se poser des questions sur la sexualité, c'est anti-viril au possible. Or, le fait est qu'ils s'en posent, que ce n'est pas simple pour eux non plus, dieu merci. Ils ont aussi un cœur et un cerveau donc ils ont aussi des états d'âme.
On a fait pareil avec les homos. C'est vrai que si vous regardez dans les féminins, les homos ne sont jamais invités à témoigner dans les papiers couple ou amour. Ils sont seulement  invités dans les problématiques liées à l'homosexualité.
Pour moi, c'était important de dire qu'avant d'être homo, la personne est un homme ou une femme amoureuse, donc que ça m'intéresse. C'est comme ça que je pense qu'à notre échelle, ça peut faire bouger les lignes, au moins, on crée la discussion. Point G, ça sert juste à dire "Vous savez quoi ? Ce n'est pas si simple que ça, ce n'est pas valable pour tout le monde, et puis c'est peut-être valable aujourd'hui et ça ne le sera pas demain", juste créer la brèche du doute. À partir du moment où on la créée, c'est déjà un beau travail de fait. Soulever cette question-là, on le fait tous ensemble. C'est à dire qu'on a des hétéros, des homos, des femmes, des hommes, des vieux et des jeunes. A l'échelle du Mouv', à l'échelle de Point G, c'est ça que l'on fait.  


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