Mort de Gisèle Halimi, avocate admirable et fervente défenseuse des femmes

L'avocate et défenseuse de la cause féministe Gisèle Halimi est décédée à 93 ans. La brillante femme de loi s'est battue pour l'indépendance de l'Algérie, a changé le regard que portait la société sur le viol, et a accéléré l'obtention du droit à l'IVG. Une femme de convictions qui a même tenu tête au général de Gaulle... Retour sur la vie de cette battante qui a changé le cours de l'histoire.

Mort de Gisèle Halimi, avocate admirable et fervente défenseuse des femmes
© PELLETAN/SIPA

L'avocate et féministe Gisèle Halimi, qui a marqué à jamais l'histoire de la justice française, a rendu l'âme au lendemain de son 93e anniversaire, le 28 juillet, à Paris.
"Elle s'est éteinte dans la sérénité, à Paris", a indiqué son fils Emmanuel Faux. La femme de loi et de convictions a notamment laissé son empreinte en 1972, en défendant une mineure qui avait avorté après un viol, alors que l'IVG était encore interdit par la loi, ou lors du procès qui a permis de définir le viol en tant que crime, en 1974.
Gisèle Taïeb naît en 1927 à la Goulette, en Tunisie, dans une famille où les femmes sont soumises aux hommes et s'occupent des tâches domestiques pendant que ces messieurs sortent travailler ou discutent affaires avec leurs amis. Son enfance émaillée d'injustices lui forge son esprit féministe.

Une enfance rebelle en Tunisie 

À 10 ans, Gisèle Halimi se lance dans une grève de la faim pour demander le droit d'apprendre à lire. À 13 ans, elle entame une deuxième grève de la faim pour... refuser de continuer à faire le lit de son frère, faire la vaisselle et le ménage. Ce n'est que 3 jours plus tard que ses parents cèdent à ce chantage bien inspiré. Dans son journal intime, elle écrit : "Aujourd'hui j'ai gagné mon premier petit bout de liberté".

Prête à tout pour l'égalité

À 16 ans, la jeune Gisèle refuse un mariage arrangé avec un riche marchand d'huile et parvient à convaincre ses parents de la laisser étudier à Paris. Après des études à la Faculté de droit et de lettres et à l'Institut d'études politiques de la capitale française elle s'inscrit au barreau de Tunis en 1949, mais décide de poursuivre sa carrière en France, quelques années plus tard.

Gisèle Halimi face au général de Gaulle : "Appelez-moi Maître"

C'est là qu'elle rencontre l'administrateur civil Paul Halimi, qu'elle épouse en 1956, et dont elle prend le patronyme. Elle devient mère de trois garçons dont Jean-Yves et Serge Halimi, et Emmanuel Faux, fruit de son deuxième mariage avec le secrétaire de Jean-Paul Sartre, Claude Faux.

En 1959, alors qu'elle rencontre le général de Gaulle lors d'un procès, celui-ci s'approche d'elle et lui demande... s'il doit l'appeler "Madame" ou "Mademoiselle". Un affront pour cette femme de poigne qui réplique, cinglante : "Appelez-moi Maître, monsieur le Président !".

Son combat pour la justice en Algérie

Mais la lutte féministe est loin d'être le seul combat de cette nouvelle avocate déjà pleine de courage. Dans les années 1950, elle défend l'indépendance du pays qui l'a vu naître, la Tunisie, ainsi que celle de l'Algérie. Gisèle Halimi signe le Manifeste des 121, qui dénonce l'oppression de la population algérienne par la France et, entre autres, la pratique de la torture.

Elle décide de défendre Djamila Boupacha, militante du Front de libération nationale algérien accusée d'avoir posé une bombe, mais ne parvient pas à la sauver de la condamnation à mort. Un an plus tard, toutefois, en 1962, elle obtient que la jeune femme soit amnistiée et libérée, dans le cadre des accords d'Évian. 

Viol, avortement : une avocate de convictions

En 1971, Gisèle Halimi s'engage dans la bataille pour le droit à l'avortement et signe le Manifeste des 343, dans lequel des femmes admettent avoir déjà avorté et réclament l'accès généralisé à la contraception et la liberté de choisir l'IVG.

Au tribunal, Gisèle Halimi met à profit de ses compétences d'avocate pour défendre Marie-Claire, une jeune femme de 16 ans qui fait face à la justice pour avoir avorté après un viol. La femme de loi parvient à obtenir une relaxe pour sa cliente, durant le célèbre "procès de Bobigny". Une manière de frayer la voie pour Simone Veil, dont la loi sur l'avortement est adoptée quelques années plus tard. 

En 1974, Gisèle Halimi défend deux jeunes femmes violées par trois hommes et se bat pour que le procès se déroule en Cour d'Assises, à une époque où le viol est considéré comme un délit. En plus d'obtenir six et quatre ans de prison pour les trois auteurs des agressions sexuelles, l'avocate change le regard que la société porte sur le viol. En 1980, cet acte devient un crime, et non plus un délit. Cette affaire a fait l'objet d'un téléfilm diffusé sur France 3, réalisé par Alain Tasma et porté par Clotilde Courau en 2017, Le Viol.

Gisèle Halimi : les ultimes années de sa vie

La brillante femme de loi met également son esprit et sa ténacité au service de la politique et devient députée de l'Isère. Elle lutte pour le remboursement de l'IVG, voté en 1982, puis devient ambassadrice de l'Unesco, de 1985 à 1986.

Durant les dernières décennies de sa vie, Gisèle Halimi transpose ses combats sur papier et publie une panoplie d'ouvrages, de La nouvelle cause des femmes à La Kahina, en passant par Ne vous résignez jamais

Le grand regret de sa vie ? N'avoir jamais eu de fille. La mère de trois garçons confie au Monde en 2011 qu'elle aurait souhaité transmettre les valeurs féministes qui l'ont portée à cette fille qu'elle n'a jamais eue: "J'aurais voulu savoir si, en l'élevant, j'allais me conformer exactement à ce que j'avais revendiqué, à la fois pour moi et pour toutes les femmes".

Le décès de Gisèle Halimi a profondément touché Nicolas Bedos, qui était son filleul. Le fils de Guy Bedos, qui a déjà récemment perdu son père, a partagé sa peine sur Instagram. 

Quant au président de la République, il a également tenu à rendre hommage à la défunte avocate.