Grossophobie : origines d'un phénomène de société

Ils sont fatigués d'être moqués et lynchés sur la place publique. Atteints d'obésité ou affichant simplement quelques rondeurs, les internautes disent "stop" à la haine grossophobe. A l'occasion de la diffusion de la fiction "Moi, grosse", de Murielle Magellan, le 15 mai à 21h sur France 2, décryptage de ce fléau.

Grossophobie : origines d'un phénomène de société
© Anna Bizoń

#BalanceTonGrossophobe, #Grossophobie. Ces hashtags envahissent Twitter depuis quelque temps déjà. Pris pour cibles à cause de leur physique, (on ne fait pas plus lâche)  des hommes et des femmes, adultes et ados, font les frais de railleries car considérés comme "trop gros" ou "pas assez maigres". Mais d'où vient cette haine contre les gens enveloppés ou en surpoids ? Retour aux origines d'un mal social. 

Grossophobie : un mot, un mal, des victimes

  • Définition : Le mot "grossophobie" est un néologisme entré dans l'édition 2019 du Petit Larousse et du Robert. Il est constitué du suffixe "phobie" qui désigne la peur en grec et du préfixe "grosso". Il désigne "l'ensemble des attitudes et des comportements hostiles qui stigmatisent et discriminent les personnes grosses, en surpoids ou obèses". 
  • Origine : Ce terme a été vu pour la première fois dans Coup de gueule contre la grossophobie, un ouvrage de l'actrice Anne Zamberlan, atteinte d'obésité et victime d'insultes sur son poids, paru en 1996. 
  • Exemples : On pourrait malheureusement citer une myriade d'exemples grossophobes. Récemment, c'est la chanteuse Louane qui a été la cible de plusieurs remarques sur son poids, lors de son passage aux Victoires de la Musique. Magloire, ancien chroniqueur chez M6, a également essuyé des insultes grossophobes. "Les gros existent et ils subissent un véritable racisme. Je commence à en avoir largement ras le bol. Ma nièce, qui n'a pas une taille dans les normes, le vit tellement mal qu'elle n'a plus envie d'aller au collège", confiait-il sur les ondes de Voltage. Dans le documentaire Que sont-ils devenus ? L'incroyable destin des stars des émissions de télé crochet diffusé le 14 février 2019, Magalie Vaé, gagnante de la Star Academy 5, a déclaré avoir été victime de grossophobie par sa maison de disques. Pour eux, l'échec commercial du 1er album de la chanteuse serait dû au fait qu'elle ne ferait "pas assez rêver à cause de ses rondeurs". 

Bourrelets, oisiveté et gloutonnerie : d'où vient cette haine de la société envers les "gros" ?

Mais d'où vient cette haine pour les corps généreux ? Si l'on veut tenter de trouver une explication à la grossophobie et à la bêtise humaine, il faut remonter l'histoire des diktats sociaux. D'après les anthropologues alimentaires Mabel Gracia et Jesus Contreras, auteurs de Corps gros, corps malades ? Une perspective socioculturelle (Ed. Dilecta), c'est à partir du début du XXème siècle que les personnes à forte corpulence sont associées à une mauvaise santé et... aux pêchés."Le Mal, les péchés tels que l'abandon aux appétits du corps, la gourmandise, la luxure, la paresse ne sont plus punis par l'enfer après la mort, mais conduisent à des enfers beaucoup plus immédiats : la maladie, la mort, l'obésité, les manifestations de la vieillesse… Tous signes flagrants de péchés contre l'hygiène corporelle et alimentaire [...]. La grosseur est considérée physiquement et moralement comme peu saine, obscène, propre aux fainéants, aux relâchés et aux gloutons", peut-on lire dans leur ouvrage. Selon les croyances donc, l'origine de la maladie d'une personne en surpoids serait la punition divine.
Un autre élément vient s'ajouter à cette position : les effets de mode. Au XIXe siècle en Occident, les femmes doivent être fines et avoir la peau très claire pour entrer en adéquation avec les canons de beauté. Depuis peu, en partie grâce à Kim Kardashian, ce sont les femmes pulpeuses, aux formes généreuses (mais pas n'importe où !) qui font envie. La société n'a eu de cesse de nous dicter comment être, à quoi ressembler, dans quelle taille de jean il faut rentrer pour se sentir "bien" et être "comme les autres". 

Exclusion, isolement, discrimination : quand la grossophobie créé des barrières

Très souvent, la grossophobie est synonyme d'ostracisme. À l'école, au travail, dans les espaces publics : les personnes obèses ou en surpoids sont souvent rappelées à leur apparence physique et, tout comme les handicapés, sont mises sur le banc de la société. Au niveau des loisirs, le même dessin se profile : une personne obèse aura du mal à prendre l'avion, à voyager en train pour des raisons évidentes. Plus grave encore, les personnes victimes de grossophobie peuvent être discriminées dans leurs vies professionnelles !
Dans "On ne naît pas grosse", son livre coup de poing où elle retrace les hauts et les bas de sa vie de "grosse", Gabrielle Deydier parle de la discrimination à l'embauche et des insultes de ses supérieurs dont elle a été victime.
Mais la grossophobie existe également dans la sphère médicale. Le collectif Gras Politique, fondé par Daria Marx en juin 2016 dénonce et répertorie les remarques et injures médicales dont certaines personnes ont pu être victimes dans leur liste "non safe". Gynécologues, sage-femme, psychiatres : sur ce mur de la honte, les témoignages sont glaçants et révèlent de la violence et du mépris de certains professionnels envers les femmes rondes ou victimes d'obésité. Pour ne pas rester dans une note trop triste et pour aiguiller ces personnes vers des médecins de confiance, une liste "safe" existe aussi sur le site Gras Politique. Tout le monde peut contribuer à ces deux répertoires.
Afin de renouer le dialogue, le collectif a organisé le tout premier "Gros Festival", un événement qui s'est tenu au Pavillon des Canaux les 23 et 24 mars 2019. Une belle initiative pour mettre en avant les "talents de personnes grosses" et lutter contre cette haine qui pollue notre société. La Mairie de Paris s'est, elle aussi, engagée à travers plusieurs campagne de sensibilisation. Fin 2017, des tracts et affiches ont été collés partout dans la ville pour abolir cette discrimination injuste.
Dans la même veine, en avril 2019, des mannequins plus-size ont défilé sur la Place du Trocadéro en petites tenues. Une manière de dire leur ras-le-bol face aux diktats de la mode, où les tailles de guêpes sont reines. 

Découvrez la fiction de Murielle Magellan, Moi, grosse, diffusée le 15 mai 2019 à partir de 21h sur France 2. Le film sera suivi d'un débat animé par Julian Bugier qui donnera la parole à des hommes et à des femmes en surpoids, mais aussi à des médecins et psychologues qui les accompagnent dans leur combat contre la " grossophobie " et l'obésité.