Noémie raconte ses collègues odieux et 6 ans de vie ruinés [TEMOIGNAGE]

En 2009, Noémie a 26 ans. Elle intègre un nouveau job au sein d'une collectivité locale. Pleine d'énergie, elle entame sa carrière sans imaginer qu'elle deviendra victime de harcèlement moral pendant six ans sur son lieu de travail. Elle a choisi de lever le voile sur les violences verbales qu'elle a subies.

Noémie raconte ses collègues odieux et 6 ans de vie ruinés [TEMOIGNAGE]
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Est victime de harcèlement moral au travail la personne qui subit des remarques désobligeantes, des intimidations et des insultes de la part de ses collaborateurs ou de son patron. On a souvent tendance à penser que le harcèlement moral revêt un caractère sexuel et sexiste. Or, dans le cas de Noémie, deux collègues, un homme et une femme, ont choisi de lui pourrir la vie à coup de propos désobligeants sur son attitude, sa place dans l'échelle hiérarchique, sa situation privée et les problèmes de santé auxquels elle a dû faire face. Des "farces" de mauvais goûts ont également hanté ses journées, jusqu'à ce que Noémie se rende au travail la boule au ventre puis tombe en dépression.
Noémie n'est pas un cas isolé. Ce qu'elle a vécu d'autres l'encaissent. Chaque jour, des personnes tentent de s'en défaire, de trouver une oreille et de se reconstruire. Régi par le code du travail et le code pénal, le harcèlement moral n'est, cependant, pas toujours simple à prouver et peut donner le sentiment d'un combat stérile qui détruit sa victime. Nous avons décidé de donner la parole à Noémie.

Au départ, on croit que le problème, c'est nous-même

En intégrant son boulot, Noémie partage le même bureau que Patrice*, sénior dans la boîte avec qui elle n'a aucun lien hiérarchique et qu'elle décrit comme "un homme jovial, sympathique, avec qui je passe de bonnes journées". Rien ne laissait présager que la situation allait se dégrader au point de lui faire perdre complètement pied.

Leur complicité est telle que les premiers mois, ils partagent des dîners après le travail, avec la femme de Patrice. Une amitié se développe, jusqu'au jour où une première remarque vient perturber Noémie. Par la suite, elles n'ont cessé de se multiplier.

"Il s'est d'abord permis quelques petites réflexions, comme quoi je ne souriais jamais, que j'étais désagréable, que je resterais seule toute ma vie parce que personne ne me supporterait... Au début c'était ponctuel, puis c'est devenu plus insistant. Ma première réaction a été de faire des efforts, de sourire deux fois plus. J'ai toujours été souriante, vraiment, je ne voyais pas le problème mais je me disais qu'il avait peut-être raison, que je n'en faisais pas assez."

Mais les remarques continuent. Noémie commence à en souffrir. Maintes fois, elle retient ses larmes jusqu'à les déverser en cachette dans les toilettes.

"J'ai retrouvé un crapaud mort dans mes bottes de chantier"

Le soir, en rentrant chez elle, Noémie cogite et rumine. Elle se remet en questions sans arrêt et cherche le courage de s'affirmer, de lui expliquer qu'il va trop loin. Elle se permet alors de lui confier combien il est blessant. Erreur.

"A partir de là, ses remarques sont devenues plus assassines, mais surtout, il a commencé à me faire des crasses. Une souris morte déposée sur ma souris d'ordinateur un matin. J'ai aussi retrouvé un crapaud mort dans une de mes bottes de chantier…"

Tout va trop loin, alors Noémie décide de laisser la porte du bureau ouverte pour que les autres collègues de pallier entendent les réflexions. Personne ne réagit. Elle fait part de ses difficultés à deux collègues, en vain. On ne la croit pas. Patrice est apprécié, aimé, respecté, personne ne peut imaginer qu'il fasse preuve de violence verbale et de coups bas. Au contraire, tout lui monde s'accorde pour dire qu'il est un blagueur invétéré. Noémie ne voit pas ce qu'il y a de drôle à entendre qu'elle ne rencontrera jamais l'amour ou à retrouver un crapaud mort dans ses affaires.

Le début d'une descente progressive en enfer

Noémie se sent seule, démunie, et n'a plus qu'une idée en tête, l'éviter. Mais on ne s'évite pas comme ça au travail.

"Je misais tout sur les vacances, j'attendais de savoir quand il prenait les siennes pour poser les miennes, et ainsi ne pas le voir pendant une dizaine de semaines par an. J'ai aussi commencé à enchainer les arrêts maladies. J'étais victime d'accidents bêtes. Je me suis brulée la jambe, j'ai dû stopper le travail. Ce genre de choses ne m'arrivait jamais auparavant."

Jusqu'à un accident plus grave sur la voie publique. Noémie est arrêtée six mois et vit cette pause comme une aubaine alors même qu'elle est cloitrée chez elle.

"J'étais coupée de mon travail, c'était presque l'essentiel, sans bien m'apercevoir que ça me coupait de la vie tout court, mais surtout je ne voyais pas que ces accidents ne m'arrivaient pas par hasard."

Après son long arrêt maladie, Noémie reprend son poste et suit en parallèle des séances de rééducation. A son plus grand soulagement, on l'installe au rez-de-chaussée de l'entreprise, car monter les escaliers est encore trop difficile. Elle rejoint le bureau de Anne*, une collègue qu'elle fréquente "de loin", plutôt réputée comme jalouse et arriviste. Sans le savoir, elle troque un harceleur contre un autre. 

"Il faut une prime pour bosser avec toi, tu es infernale"

"La première remarque d'Anne surgit après une visite de l'ergothérapeute, qui ne coûte pas un rond à notre employeur. Elle me dit : "tu vas coûter cher à la structure, tu ne sers plus à rien". J'allais déjà très mal. Chacune de ses réflexions m'enfonçait un peu plus bas. Plus tard, elle m'a même dit : "il faut une prime pour bosser avec toi, tu es infernale" alors que je restais dans mon coin et me taisais, le silence étant ma meilleure armure."

Quand Noémie reçoit un coup de fil important, Anne décroche son téléphone et parle très fort pour la déranger. Tout ça dure un an. Chaque matin, Noémie se rend au travail la boule au ventre, jusqu'à parfois vomir. Un malaise vient clôturer la période la plus noire de sa vie.

Un matin, elle se retrouve prise en sandwich entre "les deux", près de la photocopieuse. Des pics concernant sa santé fusent. Noémie est "chochotte", "pas solide" et "met en péril la boîte".

"C'était si violent que j'ai fait un malaise. Ma directrice, plutôt bienveillante, m'a conduite chez le médecin. J'ai commencé à lui parler. Mais je n'ai pas chargés mes deux harceleurs. Je continuais de me dire que je déconnais peut-être, que je les avais habitués. J'ai été arrêté sept mois après ce malaise, car mon médecin, lui, savait mon épuisement et le trou dans lequel j'étais tombée. En parallèle, j'ai décidé de voir un psy."

"Vous vivez seule, vous avez peut-être trop de temps pour cogiter"

Sept mois plus tard, Noémie retourne au travail. Rien n'a changé. Elle appréhende les remarques, une tension persiste. Son psy lui recommande d'écrire un courrier à la direction pour expliquer la situation. Noémie s'exécute. On lui répond qu'il est "fort possible qu'elle prenne les choses trop à cœur" ou encore "qu'elle n'est peut-être pas dans un bon état d'esprit les jours où elle reçoit les mots de ses collègues". Mais elle ne lâche rien.

"J'ai insisté en expliquant que ça durait depuis des années, et là, on m'a répondu que "le fait que je vive seule m'encourageait certainement à envenimer la situation dans ma tête". J'ai cru que j'étais folle, or il y avait bien des faits ! Je veux bien admettre que je dispose de beaucoup de temps pour réfléchir, mais avant ça, quand je quittais le bureau, je vaquais à mes occupations. Je menais une vie ordinaire, tout allait très bien. Je n'ai jamais été une personne à problème, une pleureuse."

La direction lui recommande aussi de repenser "aux bons moments" dans l'entreprise. Un conseil mal venu, d'autant que la mémoire "traumatique" de Noémie prend le dessus. Elle tente en parallèle, d'en parler à l'agent santé-sécurité, mais en vain.

Au bout d'un moment, le corps finit par parler

Suite au second retour écrit de sa direction, Noémie ne tient pas plus de quelques jours. Un soir, elle quitte le travail et se précipite chez une amie. Elle lui emprunte son vélo pour aller s'aérer, mais elle chute. Un nouvel accident qui l'immobilise. Elle ne retournera pas au travail : alors que deux plus tard, elle se remet enfin de son accident, elle se prépare pour aller chez un médecin du travail qui doit lui signer une déclaration d'aptitude. Mais en chemin, elle tombe dans les escaliers.

"La chute de trop, celle qui me fait réaliser que ces années de harcèlement moral m'ont littéralement faite tomber et que je ne parviendrai pas à me relever. Mon corps s'exprimait, moi qui jusqu'ici ne faisais pas lien et tentais d'étouffer le problème. En réalité, je faisais une dépression."

 

Les victimes de harcèlement moral mettent des années à se reconstruire

Aujourd'hui, ses deux collègues ont quitté l'entreprise. Noémie doit reprendre le travail dans quelques semaines, après deux grosses années d'arrêt, mais la page n'est pas tournée pour autant.

"J'ai peur de retourner dans cet environnement professionnel, mais je sais qu'il faut y aller, pour tester, pour voir comment je le vis. J'adore mon travail, mais je sais que je ne suis pas guérie. Il m'arrive de croiser Patrice par hasard dans la rue. Mon cœur s'emballe, comme s'il allait me faire du mal. J'ai peur qu'il me fasse replonger, moi qui fais tout pour me relever depuis six ans."

 

*Les prénoms ont été changés