Nadège Beausson-Diagne : "Je ne souhaiterais pas à ma pire ennemie de vivre ce que j'ai vécu"

Nadège Beausson-Diagne est une féministe et une militante revendiquée. Habitée par une énergie communicative, la comédienne se mobilise pour les victimes d'agressions sexuelles dont elle fait partie afin qu'elles soient enfin entendues.

Nadège Beausson-Diagne : "Je ne souhaiterais pas à ma pire ennemie de vivre ce que j'ai vécu"
© Marechal Aurore/ABACA

Libre: c'est le premier mot qui vient à l'esprit quand on rencontre Nadège Beausson-Diagne. Libre comme Cassandra Molba le personnage qu'elle interprète dans le téléfilm Meurtres à Cayenne diffusé sur France 3 et disponible en replay. Libre comme la femme qu'elle est dans la vie et qui se bat contre le racisme ordinaire et les incohérences de la loi sur les agressions sexuelles.
Agressée sexuellement enfant puis adulte, Nadège Beausson milite, en effet, pour la suppression de la prescription des viols et des incestes, mais aussi l'abolition de la notion de consentement. Mais cette féministe n'est pas pour autant amère et désabusée. Positive et pleine d'espoir, elle n'a de cesse de croire que les choses peuvent changer. Nous avons rencontré cette femme bien dans son temps aussi lumineuse qu'inspirante.

Vous jouez le capitaine Cassandra Molba dans le téléfilm Meurtres à Cayenne. Pouvez-vous nous parler de votre personnage ?
Nadège Beausson-Diagne :
Le capitaine Cassandra Molba est le chef de la police de Cayenne qui a sous ses ordres le lieutenant Antoine Lagarde interprété par Philippe Caroit. C'est une femme qui vient d'un milieu défavorisé de la province de Maripasoula. Elle a dû faire preuve d'ingéniosité pour sortir de cette précarité. C'est une femme Libre avec un L majuscule. Elle sait ce qu'elle veut mais elle cache aussi une grande sensibilité. Meurtres à Cayenne a été écrit par deux femmes scénaristes et ça fait du bien ! (Rires)

Le téléfilm évoque les Touloulous ces figures emblématiques du carnaval guyanais : quel est votre regard sur les mythes et les croyances ?
Nadège Beausson-Diagne :
Je suis cartésienne mais j'ai des petites croyances. Avant de monter sur scène ou un tournage, j'ai des rituels. Je trouve intéressantes les croyances car elles représentent aussi une autre manière de voir la vie. On a toujours à apprendre d'autres horizons de notre belle France dans toute sa diversité. 

Comment s'est passé le tournage en Guyane ?
Nadège Beausson-Diagne :
En Guyane, il y a une richesse extraordinaire, une belle diversité de paysages mais aussi de la force, du mystère, une authenticité et un rapport aux origines et aux liens qui très intéressant. Cela m'a beaucoup parlé.

Vous avez témoigné dans le documentaire Modèles Noirs, Regards Blancs. Quel message souhaitiez-vous faire passer en tant que petite fille de Bretonne et fille d'un père sénégalais et d'une mère ivoirienne ?
Nadège Beausson-Diagne :
En tant que femme noire artiste, il est important d'expliquer la réalité du racisme ordinaire et de la difficulté de se construire. J'ai à cœur d'être dans la transmission, de travailler avec les plus jeunes afin qu'ils évitent les écueils auxquels nous avons été confrontés. J'ai eu de la chance de grandir auprès d'une mère et d'une grande mère qui étaient militantes. Elles m'ont donné des clés de compréhension pour ma vie de femme. 

"Il y a toujours un racisme inconscient"

Dans votre métier, avez-vous été cataloguée en tant que femme noire ?

Nadège Beausson-Diagne : Il y a une assignation. Déjà je suis une femme et dans notre système patriarcal ce n'est pas évident au cinéma ! En plus je suis une femme racisée et c'est donc la double peine (rires) ! Maintenant je suis moins atteinte parce que j'ai un certain âge et que j'ai travaillé sur moi-même mais il y a toujours un racisme inconscient. Un personnage noir doit toujours être justifié alors que nous sommes Françaises ! Nous ne voulons pas des miettes de considération mais prendre part au débat et avoir des rôles de femmes tout simplement.

Vous avez révélé que vous avez été violée à 9 ans et à 35 ans. Depuis vous militez pour la suppression de la prescription de ces crimes. La loi française est donc mal faite ?
Nadège Beausson-Diagne :
Pour les victimes il y a perpétuité. Désormais la prescription est de 30 ans après la majorité pour les viols de mineurs, mais les faits que j'ai subis enfant sont prescrits. C'est comme si la société ne m'autorisait pas à me reconstruire entièrement. C'est d'une violence extrême. Dans une classe d'enfants, il y a 2 ou 3 élèves qui ont subi un inceste : la société dans laquelle nous vivons ne veut pas prendre en compte cette réalité.
J'ai fait le récit de ce qui m'est arrivé et je l'ai fait coller sur les murs grâce aux colleuses qui sont des jeunes filles incroyables Je vais aussi intervenir en prison auprès des agresseurs sexuels afin qu'eux aussi entendent ce que leurs actes ont comme répercussions. Je m'engage pour les victimes qui ne peuvent plus parler ou qui ne peuvent pas parler. Il faut que la loi change.

Téléfilm Meurtre à Cayenne © Jody Amiet / FTV / Eloa Prod

Que pensez-vous de la notion de consentement ?
Nadège Beausson-Diagne :
Dans notre société il faut encore qu'un enfant justifie qu'on ait pénétré son corps. Avec Sarah Abitbol, Andréa Bescond, Mié Kohiyama et Muriel Salmona, nous avons été entendues par Alexandra Louis qui a été mandatée par Marlène Schiappa pour faire changer la loi. Nous attendons encore son rapport et je ne comprends pas que cela ne soit pas une priorité.

Vous insistez aussi sur le fait que les agresseurs sont souvent des personnes que connaissent leurs victimes. Est-ce pour mettre en garde les femmes et les jeunes filles notamment ?
Nadège Beausson-Diagne :
C'est la réalité. La plupart des agresseurs sexuels et notamment les pédocriminels sont des proches, des amis, des membres de la famille. Or, il est encore plus difficile de parler quand il existe a un lien fort avec l'agresseur. J'ai aussi voulu dire qu'un agresseur ne vous attend pas forcément la nuit dans un parking. A la base, les agresseurs sont des gens comme les autres.
J'invite les victimes à faire un travail psychologique ou psychanalytique. On ne peut pas se reconstruire sans travail sur soi. Je les incite aussi à déculpabiliser de parler et de potentiellement faire éclater la famille.

Comment agir pour prévenir ces agressions le plus tôt possible ?
Nadège Beausson-Diagne :
Il faut éduquer les garçons et les filles et pas seulement les filles. Il faut apprendre aux garçons à respecter le corps de l'autre. D'autre part, certaines jeunes filles ne se rendent pas compte qu'elles peuvent être potentiellement des victimes de pédocriminels sur les réseaux sociaux. Il faut aussi que toutes les personnes qui ont des enfants en charge soient formées car les psycho traumatismes des violences sexuelles sont toujours les mêmes. 

"On peut transformer l'horreur"

Vous êtes toujours positive dans vos combats. Est-ce important pour vous de rester optimiste ?
Nadège Beausson-Diagne :
ll n'y a pas de fatalité. Je ne souhaiterais pas à ma pire ennemie de vivre ce que j'ai vécu mais on peut se reconstruire même si le travail est long et douloureux. On peut transformer l'horreur. Depuis que j'ai parlé, j'ai apaisé la petite Nadège et j'ai réalisé que ce que j'ai subi ne me caractérisait pas. Mais j'ai eu de la chance d'avoir ma mère, mes frères, mon mari et mes amis.

Quelle est votre actualité ?
Nadège Beausson-Diagne :
J'ai participé à Cherchez la Femme pour Arte qui met en lumière des femmes qui ont fait des choses extraordinaires dans l'histoire mais qui n'ont délibérément pas été mises en avant. J'ai aussi joué dans la série 30 vies ou j'incarne la mère d'une jeune fille violée. L'année prochaine je serai à l'affiche des films Chère Léa et Trois fois rien

Vous êtes aux côtés de Jean Luc Lemoine dans l'émission Samedi d'en Rire diffusé tous les samedis sur France 3 à 13h30. Est-ce que l'exercice vous plaît ?
Nadège Beausson-Diagne :
C'est une récréation. Jean Luc Lemoine est un chef de bande positif et bienveillant. Avec Marc Toesca et Yoann Riou, nous remettons en lumière des chansons et des sketchs et ça fait du bien surtout pendant la période que nous traversons !