Fermeture des maisons closes en Tunisie: les travailleuses du sexe à la rue

En Tunisie, les prostituées ne sont plus qu'une dizaine à survivre dans les deux dernières maisons closes légales du pays. Pénalisation, poids de la religion, insécurité, précarité : les travailleurs du sexe subissent de plein fouet les conséquences de l'évolution d'un pays qui se cherche encore...

Fermeture des maisons closes en Tunisie: les travailleuses du sexe à la rue
© Katarzyna Białasiewicz

La montée de l'intégrisme religieux et la pauvreté auront-elles la peau des prostituées en Tunisie ? Ils ne subsistent plus que quelques travailleurs du sexe dans ce pays où la prostitution légale disparaît.
Pour les principales intéressées qui étaient une centaine en 2014 et qui ne sont plus qu'une douzaine aujourd'hui selon la BBC, l'avenir est incertain. Tant que le gouvernement tunisien n'assurera pas la dépénalisation de la prostitution et que les membres du parti conservateur Ennahdha continueront de batailler pour la fermeture des maisons closes, sous couvert de lutter contre une forme d'esclavage, les prostituées de Tunisie flirteront avec l'illégalité et se mettront en danger chaque jour pour vivre

Divorcée, Nadia, la quarantaine, travaillait dans un bordel de Tunis avant de tomber dans l'illégalité après les manifestations violentes de 2011 durant lesquelles de nombreux Tunisiens ont tenté d'incendier et de fermer de force des maisons closes. Elle raconte le changement qu'elle a vécu à la BBC. "Ce n'est pas la même chose que lorsque nous étions dans le bordel où on était protégé par un médecin qui nous faisaient les examens médicaux hebdomadaires, nous donnait un préservatif féminin et une dame qui surveillait la procédure. Maintenant, quand j'ai un client, j'ai peur parce que je n'ai personne qui puisse me protéger ou rester à mes côtés."

La prostitution, bientôt illégale en Tunisie :"Quelle est la solution ?"

Pourtant, la Tunisie a toujours cadré et réglementé, fiscalement mais pas seulement, cette activité dans des lieux spécialisés.
Les prostituées doivent répondre à certains critères comme avoir entre 20 et 50 ans, ne pas être mariée ni avoir de maladies sexuelles ou mentale, faire une demande au Service de prévention des mœurs et de la moralité publique.
Les tenancières, quant à elles, doivent êtres âgée de 35 à 60 ans, payer des impôts, etc. Le média indépendant Nawaat rappelle ainsi que, sous l'ère ottomane, les prostituées payaient des taxes en fonction de leur revenus, ce qui est toujours le cas de nos jours !

Mais depuis 2011, ce pays musulman semble faire marche arrière. La volte-face des politiciens, la montée d'un Islam plus rigoriste et la crise que traverse le pays depuis le Printemps arabe coupent les vivres à ceux et celles qui s'adonnent à ce métier. Ainsi, en 2016, la Tunisie adopte une loi contre la traite des êtres humains qui interroge la place de la prostitution légale dans la société... 
"Si nous fermons tous ces lieux et que le code pénal tunisien est appliqué, nous mettrons toutes ces femmes en prison, alors quelle est la solution ?", demande à la BBC Wahid Ferchichi, professeur de droit à l'Université de Carthage et défenseur des droits de l'homme.

De son côté, Raoudha Bayoudh, directrice du département de la protection sociale au Ministère de l'Intérieur tunisien, qui est pour la fermeture des maisons closes, affirme dans les colonnes d'Inkyfada : "S'il y a une loi pour lutter contre la traite et l'exploitation sexuelle et que ce genre de phénomène existe, il y a une certaine contradiction. C'est comme si l'État soutenait la traite. Il doit y avoir une adéquation entre le texte et les faits. Le pouvoir colonial a déjà abrogé ces dispositions, pourquoi les garder ?"

Pauvreté, sexualité, manque d'éducation : les problèmes sous-jacents à la prostitution

Pour Meherzia Labidi, membre d'Ennahdha et opposée à la prostitution, cette pratique est en inadéquation avec la religion étatique.
"Si les fondements de notre société pour ses valeurs sont violés, la famille sera violée, les valeurs avec lesquelles nous élevons nos enfants seront violées." Elle poursuit."Comment pouvons-nous leur assurer des soins de santé, un logement, de la nourriture et des moyens de subsistance ? En leur donnant un emploi, par exemple, et en les faisant accepter d'une autre manière par la société. Il ne s'agit pas seulement de lois et de décisions politiques, il s'agit de changer les mentalités", explique-t-elle au média britannique.

En effet, de nombreux travailleurs du sexe n'ont pas choisi cette vie et souhaiteraient réintégrer la société sans que leur passé ne leur colle à la peau. "Même si une ancienne travailleuse du sexe va travailler dans un restaurant pour faire la vaisselle, un ou deux jours plus tard, ils diront que cette femme travaillait dans un bordel et le patron dira : "Désolé, je ne peux pas vous engager", témoigne Afef, une ancienne maquerelle dont la maison close a été fermée.  

Mais qui sont ces personnes qui se retrouvent au coeur de ce débat politico-religieux contre leur gré ? Ont-ils choisi ou non cette voie ? Si aucun chiffre ne permet de trancher la question, des témoignages relayés dans différents médias prouvent que les deux cas co-existent. Mais les problèmes familiaux, de santé ou le manque d'éducation et d'argent peuvent pousser une personne à se prostituer.

Inkyfada raconte la triste histoire d'une mère de famille célibataire dont l'une des filles était atteinte du VIH, qui s'est tournée vers le bordel de sa municipalité dans l'espoir de gagner plus d'argent et de la soigner. A son arrivée en 2009, la maquerelle lui fait une avance de 2 000 dinars qu'elle doit rembourser intégralement en faisant des passes dont le prix est fixé à 8 dinars 500, mais sur lesquelles la prostituée ne perçoit que 3 ou 4 dinars en fonction de la générosité du client... En 2016, sa fille est décédée. La maman tente aujourd'hui de s'occuper de ses deux autres enfants et de trouver un autre métier, grâce à l'aide de l'association ATL MST Sida.

Le HuffPost Maghreb rapporte les propos d'un jeune homme de 21 ans qui fait parti de ce dernier cas de figure. Orphelin de mère, il se fait battre par son père qui n'accepte pas son homosexualité et quitte très tôt son foyer pour aller vivre chez sa grand-mère, "la seule qui a eu pitié de moi, la seule qui m'a compris", déclare-t-il sous un nom d'emprunt.
Lorsqu'elle meurt, il se retrouve totalement à la rue. "Je n'ai aucune qualification. J'ai essayé de travailler comme serveur mais mes manières d'être m'ont démasqué, j'étais la risée de tous". Les rues de Tunis deviennent alors son gagne-pain mais le jeune garçon risque chaque soir, soit de se faire tuer ou lyncher car homosexuel, soit de finir en prison pour prostitution. Des hommes et femmes se prostituent volontairement et ne voudraient changer de métier pour rien au monde.

Pénalisation de la prostitution : les travailleurs du sexe contre-attaquent

A Sousse, dans le sud du pays, ils se sont même mobilisés. "À la base, il y avait eu une pétition de citoyens, plus de 300 signatures, pour demander la fermeture de la maison close" et elles ont porté plainte contre le Ministère de l'Intérieur", résume Raoudha Bayoudh. "L'affaire est en cours", rapporte Inkyfada. 
Aujourd'hui, les association ne dénombrent plus que deux maisons closes dans toute la Tunisie : une à Sfax et la très connue Abdallah Guech, à Tunis. Mais en disparaissant, la légalisation de la prostitution laisse place aux hôtels de passes et au tourisme sexuel.
Les travailleurs du sexe tombent, tour à tour, dans l'illégalité et la pauvreté la plus totale et sont à la merci des maladies sexuellement transmissibles, des clients peu scrupuleux et des policiers soucieux de résultats chiffrés.