Vers une disparition de la clause de conscience pour l'IVG ?

L'Assemblée Nationale s'est scindée en deux le 22 mars, lors d'un débat sur l'IVG et la clause de conscience médicale. Cette disposition permet aux médecins de ne pas pratiquer d'avortement s'il ne le souhaitent pas, mais pourrait bien disparaître, même si Agnès Buzyn, ministre de la Santé y voit une "fausse bonne idée".

Vers une disparition de la clause de conscience pour l'IVG ?
© Yuriy Klochan

C'est à l'occasion de l'examen du projet de loi Santé que l'ensemble du Palais-Bourbon s'est penché, le 22 mars 2019, sur la délicate question de la clause de conscience. Cette disposition protège le corps médical et permet aux médecins gynécologues-obstétriciens qui ne le souhaitent pas de ne pas pratiquer d'Interruption Volontaire de Grossesse sur une patiente. Si l'IVG est toujours un sujet tabou et brûlant tant dans la société que dans la sphère politique, des élus de La France Insoumise, du PCF et du Parti Socialiste ont profité du débat dans l'hémicycle pour "envoyer un signal fort" en présentant des amendements au projet de loi Santé visant à supprimer la clause de conscience. Que permet réellement cet acte ? Les médecins peuvent-ils vraiment refuser de pratiquer l'IVG ? Réponses. 

Clause de conscience : doit-on protéger les gynécologues qui refusent de pratiquer l'IVG ?

Inscrit dans le Code de Santé publique, la clause de conscience permet au corps médical de "refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles". Néanmoins, la loi a tout prévu et le texte stipule que le choix personnel du docteur ne doit pas aller à l'encontre de la santé de son patient ou "hors le cas d'urgence et celui où le médecin manquerait à ses devoirs d'humanité". S'il refuse de pratiquer l'avortement, le médecin doit "impérativement en avertir le patient, et transmettre sans délai à un autre médecin désigné par ce patient, toutes les informations utiles à la poursuite de la prise en charge", peut-on lire dans un communiqué de presse du Conseil de l'Ordre des médecins. 
Présente lors de cette discussion à l'Assemblée Nationale, Agnès Buzyn, ministre de la Santé et ancienne hématologue, s'est déclarée contre la suppression de cette clause en pointant du doigt le manque de sincérité du corps médical qui pourrait être fatal aux patientes"La clause de conscience, elle affiche la couleur. Ce n'est pas génial, je suis d'accord, mais je pense que pour les femmes en situation de détresse, ça apporte beaucoup plus de garanties d'un parcours simple que de la supprimer", a-t-elle expliqué.  
Au contraire, pour Caroline Fiat (LFI) députée de Meurthe-et-Moselle, cet acte mis en place "pour faire passer la loi Veil"  n'a "plus lieu d'exister". D'après la politicienne, la suppression de la clause de conscience serait "une belle occasion 44 ans après, de prolonger l'œuvre de Mme Veil". 

Un gynécologue doit-il forcément être pro-IVG ?

La clause de conscience soulève une interrogation-clé. Un gynécologue doit-il être pour l'IVG ? En septembre 2018, le docteur Rochambaut, gynécologue et président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens (Syngof), avait publiquement comparé l'IVG à "un homicide". Pour le moment, en France, il est impossible de connaître le nombre de praticiens qui utilisent cette roue de secours. Toutefois, comme le rappelle Caroline Rebhi, co-présidente du Planning Familial, dans les pages de l'Express, les professionnels de la santé peuvent user de malice pour tenter de faire culpabiliser ou changer d'avis leur patiente venue avorter : "les médecins ne l'invoquent pas de façon directe auprès de leurs patientes, c'est plus insidieux. Ils leur demandent de revenir plusieurs fois, de réfléchir, ou encore font écouter les battements du cœur de l'embryon". 
Pour l’archevêque de Paris, Monseigneur Michel Aupetit, anciennement médecin, la suppression de la clause de conscience est comparable à une "dictature". En septembre 2018, celui qui a soutenu "dans son expression" le docteur Rochambaut a déclaré au Parisien avoir déjà utilisé la clause de conscience lorsqu'il exerçait. "J'ai expliqué à la patiente : 'Moi, en conscience, je ne peux pas'. Le médecin est libre, c'est capital. Cela s'appelle la relation médecin-malade. Sinon, c'est une prestation de service". 
 

Clause de conscience et refus d'IVG : les gynécos contre-attaquent ?
 

Débat scandaleux ou questionnement freinant l'avancée des droits des femmes et de leurs libertés à disposer de leurs corps comme elles l'entendent, la clause de conscience peut cacher une problématique plus complexe qu'il n'y paraît. Selon Rebecca Amsellem, journaliste et fondatrice de la newsletter "Les Glorieuses"   un gynécologue ne souhaitant pas pratiquer une IVG ne doit pas se tourner vers une spécialité obstétricienne. En dehors de ce manque de logique qui subsiste dans cette spécialité, le problème pointé du doigt est le rapport de force entre hommes et femmes qui peut apparaître en filigrane, lorsqu'un médecin refuse une patiente. "Imaginons ensemble. Vous êtes enceinte. Vous ne voulez pas être enceinte. Vous décidez d'avorter. Vous vous tournez vers un·e professionnel·le de santé pour recourir à une IVG. Ce·tte médecin vous dit 'Je ne pratique pas cet acte, car je suis contre mais vous pouvez aller voir untel ou unetelle.' Que se passe-t-il alors ? Vous culpabilisez. Une fois de plus. Cette disposition ajoute une charge culpabilisante", déclare Rebecca Amsellem dans un édito publié le 27 mars.
Avant de conclure :"Les femmes sont seules maîtresses de leurs corps, c'est aux médecins qu'il incombe d'adapter leur pratique, pas aux patientes".