Au feu, sapeuse-pompière : l'Académie va féminiser la langue française

Les femmes pourraient bientôt bénéficier de la parité linguistique. Si l'Académie française a souvent freiné l'évolution de la langue et s'est opposée à l'écriture inclusive, l'institution est en pleine discussion quant à la féminisation des noms de métiers. Va-t-on bientôt dire "chercheure", "autrice" ou "écrivaine" ?

Au feu, sapeuse-pompière : l'Académie va féminiser la langue française
© Cathy Yeulet

Le combat pour la féminisation de la langue serait sur le point de connaître une fin heureuse. L'Express vient de révéler qu'un rapport sur le sujet sera voté et publié par l'Académie française dans les prochains jours. Une grande avancée. Il faut tout de même rappeler que l'Institution s'est toujours opposée à la féminisation de la langue et à l'écriture inclusive. Il faut attendre 1997, date à laquelle les femmes du gouvernement demandent à ce qu'on accorde leur titre au féminin, pour que le sujet soit mis sur la table. De quoi faire réagir l'Académie qui crie au barbarisme et rappelle qu'il faut se conformer aux règles linguistiques. 
En 2014, le débat resurgit grâce à un mini-scandale politique. Durant une séance à l'Assemblée nationale, Julien Aubert, député UMP, s'adresse à la Présidente, Sandrine Mazetier, en l'appelant "Madame le Président", ce qui n'a pas plu à cette dernière. Écopant d'un rappel à l'ordre, il a fait savoir qu'il s'en tenait aux règles de l'Académie, ce qui a rouvert les hostilités. À cette époque, dans un communiqué, l'Académie française affirme "rejette[r] un esprit de système qui tend à imposer, parfois contre le vœu des intéressées, des formes telles que 'professeure', 'recteure', 'sapeuse-pompière', 'auteure', 'ingénieure', 'procureure', etc., pour ne rien dire de 'chercheure', qui sont contraires aux règles ordinaires de dérivation et constituent de véritables barbarismes." 
Dans un souci d'égalité hommes-femmes, l'institution se doit de suivre le mouvement bien que cela ne lui déplaise... "La Compagnie fait valoir que brusquer et forcer l'usage revient à porter atteinte au génie même de la langue française et à ouvrir une période d'incertitude linguistique" , peut-on lire sur le site de l'Académie française, dans une publication de 2014. Le Français serait-il condamné à ne pas évoluer ? Certains professionnels s'amusent à lier ce refus de la féminisation de la langue à la misogynie qui règne sous la Coupole.

Féminisation de la langue française : des Académicien.nes trop traditionalistes ? 

Trop attachée aux traditions et majoritairement composée d'hommes, (5 femmes sur 40 membres), l'Académie ne serait pas la mieux placée pour causer égalité hommes-femmes. "Il n'y a plus aucun grammairien, lexicographe, ni linguiste à l'Académie française, mais ils ont cette tradition de s'opposer aux noms féminins qui désignent les professions qui autrefois étaient le monopole des hommes : avocate, conseillère, présidente…", souligne la linguiste Eliane Viennot, au micro de France Inter. Et d'ajouter : 'Autrice' est un mot qu'on a utilisé jusqu'à la fin du 17e siècle sans aucun problème (...) Puis des pages et des pages de Dictionnaire ont dit qu'il ne fallait pas dire ce mot, alors que les gens l'utilisaient". 
Le cercle fermé des Académiciens ne manque pas d'humour pour expliquer le rejet de la féminisation des noms de métiers. "Certains académiciens ont expliqué qu'ils n'aimaient pas 'doctoresse' parce que cela rime avec 'fesse', sans s'apercevoir que le terme rime aussi avec 'princesse' ou 'enchanteresse' ! Tel autre s'est opposé à 'rectrice', qui lui faisait penser à 'rectal', alors que tout le monde dit 'directrice'", déclare la linguiste Maria Candea, co-rédactrice de L'Académie contre la langue française, le dossier "féminisation". 

Féminisation de la langue française : un rapport bientôt voté 

Prévu au vote pour fin février ou début mars, un rapport fixera bientôt le sort de la féminisation des noms de métiers. Dominique Bona, académicienne et écrivaine, est à l'origine de cette proposition. Elle fait partie de la Commission qui se penche sur cet épineux sujet. "L'Académie s'est rendue compte qu'il existait un véritable malaise : comment aujourd'hui nommer les métiers, les grades, les titres et les fonctions des femmes ? Cette question nous a été posée plusieurs fois de la part d'avocates, de procureures, de femmes occupant des postes dans l'armée…", explique-t-elle au journal Libération.
"Nous avons travaillé dans un esprit d'ouverture sur le monde d'aujourd'hui. Le langage reflète l'évolution de la société, et de la place des femmes dans la société. Les mots 'générale' ou 'colonelle' ne désignent plus les épouses des généraux et des colonels, mais des femmes qui occupent ces grades", conclut celle qui est entré au sein de l'Académie française en 2013.
Il faudra donc attendre le verdict des Académiciens pour connaître le sort de ce dossier. Au Canada, Luxembourg, Belgique et en Suisse, les francophones ne font pas face aux mêmes difficultés puisque la féminisation de la langue y est instaurée depuis les années 70 ou 80.