Kenzo Takada, Nippon des arts

Dans les 60's un vent frais venu du pays du soleil levant souffle sur la mode parisienne. Cette tornade colorée, libérée, imprimée, se nomme Kenzo Takada et durera près de 60 ans. Alors que le créateur vient de s'éteindre, retour sur cette aventure flamboyante.

Kenzo Takada, Nippon des arts
© Oliviero Toscani / Kenzo

Les éloges pleuvent suite à l'annonce de la disparition de Kenzo Takada à l'âge de 81 ans. Charmant rival pour ses homologues, figure bienveillante pour les générations suivantes, immense créateur pour tous, le couturier au sourire et à la créativité contagieux laisse un souvenir impérissable. Alors qu'il s'est éteint le 4 octobre des suites du Covid-19, retour sur l'itinéraire trépidant qui a mené ce timide japonais à mettre la mode parisienne à ses pieds, en toute humilité.  

Iconoclaste

La trajectoire de Kenzo Takada n'a rien d'ordinaire. Né en 1937 à Himeji, petite ville proche d'Osaka, il grandit dans un Japon morose mais immergé dans l'univers de Naniwaro, l'établissement nocturne que tiennent ses parents. Étoffes, costumes, art du spectacle traditionnel japonais, magazines de mode et films nourrissent cet enfant de famille nombreuse, plus proche en âge de ses sœurs que de ses frères. 

Si bien qu'il s'oriente vers la mode et figure parmi les premiers étudiants masculins de l'école de mode tokyoïte Bunka. Lauréat du prix du magazine de mode japonais historique Soen, sa carrière prend son envol. Mais c'est une autre opportunité qui le guidera vers la France. À la veille des JO de 1964, Kenzo Takada se voit offrir une compensation pour céder son logement. Avec cette somme, il embarque sur un paquebot direction Marseille, découvrant au passage "le lien entre style et culture", au cours d'un mois de voyage initiatique à travers l'Asie, l'Afrique et le Moyen Orient.

Paris gagnant

Arrivé à Paris dans les 60's, le créateur et sans le sous et perçu avec méfiance par les Parisiens. il parvient toutefois à vendre ses croquis et décroche un job dans un bureau de style.

C'est au cœur de la charmante galerie Vivienne que l'aventure prend un nouveau tournant, lorsqu'il pose ses valises dans une petite boutique sous le nom de Jungle Jap. Il y développe une mode jamais vue, aux lignes droites, aux imprimés fleuris et aux couleurs vives, marqué par un métissage raffiné. Parfaitement dans l'air du temps, sa "fraicheur et sa spontanéité", comme le décrit Bernard Arnaud, se fraye un chemin entre le déclin de la Haute Couture et l'essors d'une nouvelle catégorie plus jeune, plus sexy : le prêt-à-porter.

Boudé par les grandes institutions qui régissent le sévère milieu, il organise notamment au côté de Chantal Thomass des défilés festifs, peuplés de stars et de mannequins joyeux. "Il a largement contribué à faire de la fashion week de Paris un rendez-vous incontournable dans les années 70", rappelle d'ailleurs cette dernière sur Instagram. Il sera un des membres fondateurs du En 1970, il donne son prénom à ses créations, désormais baptisées Kenzo. 

Art de vivre ou vivre de l'art ?

Dans les année 1970 et 80, la croissance de Kenzo est palpable. Lignes homme (1983), jeans (1986), les licences mais aussi bien sûr les parfums (1978) contribuent au succès commercial de la firme. Le Japonais est une figure des soirées parisiennes admiré par ses pairs, il fait désormais l'unanimité dans ce milieu qu'on lui avait pourtant donné comme impénétrable. 

Or à mesure que le business s'accroît s'atténue l'appétit de Kenzo Takada. Il perd des proches collaborateurs et enterre son compagnon Xavier de Castella atteint par le Sida. En 1993, il accepte un rachat par LVMH et prend le titre de directeur artistique. Il donnera un dernier show mémorable en octobre 1999, devant 4000 personnes, avant de tirer sa révérence à la mode. Bienveillant, il restera proche de sa maison, jusqu'à venir assister au premier défilé de Felipe Oliveira Baptista l'an passé.

Mais l'esthète, designer de formation, a d'autres projets du côté de la maison. Avec sa marque de décoration d'intérieur K-3, lancée en janvier 2020, il achève son œuvre du côté de l'art de vivre, un art dont on peut dire qu'il est passé maître.