"Pression commerciale", actes inutiles : ce que cache vraiment la hausse des prix chez le vétérinaire
Vous trouvez que la facture de votre vétérinaire a explosé ces dernières années ? Ce n'est pas un hasard : derrière les portes des cabinets, une révolution discrète est en marche, changeant les règles du jeu à votre insu.
943 euros, c'est la somme moyenne que dépensent les propriétaires d'animaux chaque année. Entre la nourriture, les produits de soins et d'hygiène, les accessoires et jouets, ou encore les services type garde, éducation ou toilettage… Le budget peut vite grimper quand il s'agit de s'occuper d'un compagnon à quatre pattes. Et c'est sans compter sur les frais vétérinaires, qui représentent le deuxième poste de dépenses après l'alimentation : 145 euros par an en moyenne, un montant qui ne cesse d'augmenter. Selon l'assureur Fidanimo, un chien consulte en moyenne 23 fois le vétérinaire au cours de sa vie et un chat, 29 fois. Mais bien sûr, pour un animal malade ou en fin de vie, qui nécessite plus de soins quotidiens, de médicaments, ou d'actes médicaux lourds, ce chiffre peut très vite grimper… ainsi que les dépenses qui vont avec. Le coût d'une opération à cœur ouvert, par exemple, peut ainsi atteindre les 30 000 euros.
Forcément, face à cette réalité, le budget est parfois un véritable frein dans l'adoption d'un chien ou d'un chat. C'est un fait : aujourd'hui, avoir un animal de compagnie est devenu un luxe. Mais comment se fait-il que les frais vétérinaires augmentent à ce point d'année en année ? Quelle est la vraie raison derrière cette flambée des prix ? Le Monde a enquêté sur les coulisses des cliniques vétérinaires, business très juteux qui attire les investisseurs. En effet, ces dernières années, plusieurs multinationales ont décidé de mettre leurs œufs dans le panier de la médecine vétérinaire. Et cela a des conséquences directes sur le portefeuille des propriétaires d'animaux.
En 2025, l'Autorité de la concurrence a constaté "une augmentation globale des tarifs des soins", et principalement chez "les vétérinaires ayant rejoint un réseau corporate". Eh oui, après un rachat, les grands groupes décident, pour la plupart, d'investir dans des rénovations ou dans de nouveaux équipements particulièrement coûteux… qu'il faut ensuite rentabiliser. Il faut dire qu'un appareil IRM coûte à lui seul environ 500 000 euros. Si l'avancée technologique est évidemment louable, le risque est de "vouloir amortir le matériel en multipliant les actes", comme le signale le Conseil national de l'ordre des vétérinaires. Les praticiens perdent leur indépendance, et parfois, leur pouvoir décisionnaire. Certains sont poussés à réaliser davantage de procédures (surtout les plus chères), là où, d'un point de vue strictement médical, ils ne les auraient peut-être pas recommandées. Une approche commerciale qui s'appuie "sur des algorithmes et une accumulation d'examens coûteux" plutôt que sur le pur "savoir-faire", comme le dénoncent les professionnels.
"J'ai quitté mon établissement quand il a été vendu à un groupe. Les financiers imposent une logique qui peut conduire à des excès", témoigne un vétérinaire de Corrèze. "Nous ne devrions pas devenir salariés : un vétérinaire doit rester pleinement responsable de ses actes et de ses décisions", ajoute une enseignante-chercheuse à l'École nationale vétérinaire d'Alfort. En plus des prestations parfois inutiles, une autre praticienne déplore une "pression commerciale bien réelle" de la part du groupe actionnaire, pour augmenter les prix et choisir des fournisseurs plus chers… qui appartiennent souvent à l'entreprise elle-même.
Parmi ces grandes multinationales, certaines sont très connues du grand public, qui ignore pourtant leur part de responsabilité dans la hausse des tarifs vétérinaires. Par exemple, en plus des célèbres M&M's, ou Snickers, le groupe Mars est propriétaire des croquettes Royal Canin, Sheba et Whiskas… ainsi que du réseau AniCura, qui possède 500 cliniques vétérinaires en Europe. De son côté, Nestlé possède également 20 % d'IVC Evidensia, premier groupe vétérinaire de France. Et ce ne sont que des exemples parmi tant d'autres, puisque plus d'un vétérinaire sur cinq exerce aujourd'hui dans un groupe. En 2028, ils seront un sur deux.
Comme de nombreuses autres, l'industrie des soins vétérinaires est tombée entre les mains de sociétés puissantes, qui imposent leurs choix et influent donc sur le quotidien des vétérinaires comme de leurs patients. Mais c'est un cercle vicieux : les établissements indépendants, eux, n'ont d'autre choix que de s'adapter afin de faire face à la concurrence. Et donc, d'augmenter leurs prix, eux aussi.