"C'est la fin d'année et on ne sait pas comment dépenser l'argent public" : ces achats forcés font halluciner les employés

Les règles de gestion budgétaire dans le secteur public suivent des principes précis qui structurent l'utilisation des fonds alloués. L'un de ces principes, l'annualité budgétaire, impose un cadre temporel strict pour la consommation des crédits. Cette contrainte a des conséquences concrètes sur l'organisation et les pratiques des services en fin d'exercice.

"C'est la fin d'année et on ne sait pas comment dépenser l'argent public" : ces achats forcés font halluciner les employés
© mudkung

Le budget d'une entreprise publique n'est pas une réserve d'argent que l'on peut garder d'une année sur l'autre. L'État vote une enveloppe annuelle, prévue pour couvrir les dépenses courantes, les projets et les achats. Ce principe, appelé annualité budgétaire, signifie que le budget est valable pour une seule année. Chaque service doit donc utiliser ses crédits entre janvier et décembre. Mais une question revient souvent et reste floue pour beaucoup : que se passe-t-il si, en fin d'année, une partie du budget n'a pas été dépensée ?

Les textes officiels répondent clairement : les crédits non utilisés ne sont pas automatiquement reportés. Le Sénat rappelle que le budget voté pour une année ne crée aucun droit pour l'année suivante. Seule une petite partie peut parfois être reportée, dans la limite de 3 à 5 %, et uniquement si une décision financière l'autorise. Dans la majorité des cas, l'argent non dépensé "tombe" à la clôture de décembre. Les services publics le savent : un budget sous-utilisé peut peser lors des arbitrages et entraîner une baisse de crédits l'année d'après. Pour éviter ce scénario, beaucoup cherchent donc à utiliser tout leur budget avant la date limite. C'est ce que les documents officiels appellent les "dépenses de fin de gestion".

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Une employée d'un établissement public dont le budget alloué par le gouvernement représente des millions d'euros nous a confié les sommes astronomiques restantes qui n'ont pas pu être dépensées au cours de l'année. Résultat : "on arrive en fin d'année et on ne sait pas comment dépenser l'argent de l'État", nous dit-elle. Pour ne pas être pénalisé sur l'année d'après, les salariés en profitent tout de même pour mettre en œuvre les projets en stand-bye qui n'ont pas pu être réalisés faute de temps et de budget les années précédentes. Mais elle admet aussi faire des dépenses impensables comme "un objet déco fait main à 15.000 euros ou l'achat de lampadaires à 2.000 euros chacun", permettant d'apporter un peu de lumière au lieu de vie... Lorsqu'il était salarié d'une société spécialisée dans le mobilier, Jean, aujourd'hui retraité, se souvient quant à lui avoir facturé un lot énorme de chaises... "Il y a une dizaine d'années, j'ai reçu un coup de fil d'une personne travaillant dans l'armée et qui devait dépenser le budget restant. Il m'a demandé de lui fournir des tas de chaises", nous confirme-t-il.  

Ces situations ne sont pas isolées : chaque fin d'année, de nombreux services publics accélèrent leurs commandes pour éviter une sous-consommation qui pourrait peser sur leur budget futur. Les rapports officiels parlent d'un véritable "pic de dépenses de fin de gestion", où l'enjeu n'est plus seulement de financer des besoins, mais d'éviter de perdre des crédits. Ce système interroge : il garantit que l'argent public est utilisé dans l'année, mais pousse parfois à des dépenses peu prioritaires. Beaucoup d'agents espèrent donc une évolution qui leur permettrait de planifier sur un temps plus long, sans attendre décembre pour utiliser à toute vitesse les derniers euros.